André Brink, en 1983. © AFP

André Brink: « On doit garder la foi en la lumière, car cet espoir rend la vie possible »

Décédé samedi à l’âge de 79 ans, l’écrivain sud-africain André Brink nous avait accordé une interview exclusive lors de la sortie de son dernier roman, Philida, où une esclave lumineuse se bat contre vents et marées, pour pouvoir exister.

« Les lâches sont ceux qui n’ont pas le courage de résister. » Tel n’est pas le cas de Philida (Actes Sud), héroïne du nouveau roman d’André Brink. Elle est digne de ce grand auteur engagé (cf. Une saison blanche et sèche, Prix Médicis), qui lutte pour l’égalité au sein d’une société scindée. Il ravive ici l’histoire de cette esclave, qui a eu quatre enfants avec l’un de ses ancêtres. Mais « sans liberté réelle, on ne peut pas aimer librement. » Aussi cette guerrière a-t-elle la volonté de s’affranchir, malgré sa condition précaire. Un magnifique portrait de femme, qui transcende ses drames pour imposer son droit à la liberté. Interview exclusive.

« Chacun a sa propre histoire », en quoi la vôtre et celle des autres est-elle inspirante ?

L’histoire est la clé qui permet d’accéder à la compréhension de la vie. Comme on ne peut pas tout inventer, j’interroge mes souvenirs d’enfance sur l’avenir possible. Le récit des adultes, qui m’entouraient, m’a éclairé sur le passé de ma famille, ma nation et mon peuple. Cette collection d’histoires, tombées du ciel, a suscité l’inspiration. J’y ajoute une couche de vérité et de vécu pour voir ce qui se cache derrière le réel. Au centre de mes livres, se trouve la différence accablante entre noirs et blancs, maîtres et esclaves. J’aime m’approprier un monde qui n’est pas le mien.

Qu’est-ce qui vous touche chez Philida, cette esclave qui se sert de la loi pour contrer son sort ?

Son désir de s’affranchir. Indomptable, Philida s’oppose à tout ce qui se dresse contre elle. Cette femme croit en la vie, qu’elle ose imaginer différente, voire meilleure. Grâce à ce personnage, je m’ouvre au rêve… Il est nécessaire de s’inventer une existence pour pouvoir l’accomplir. Or Philida est entourée de lois, d’interdictions et de privations. Sa philosophie lui permet de dépasser sa réalité quotidienne. C’est dans l’acte de révolte qu’on se trouve et se retrouve. Tout être humain peut aller plus loin, en luttant contre les restrictions de liberté. En Afrique du Sud, on vit en des temps turbulents et inspirants, qui imposent de profonds changements. Les oppressés parviennent de plus en plus à se réaliser, à s’exprimer et à dire non. C’est leur façon de dire oui à la vie. Philida se moque du monde en s’imposant comme femme et être libre. Tant qu’on n’est pas libre dans sa tête, il n’y a pas de progrès.

« J’ai plus ma place à moi. » Est-ce finalement de ça que parlent tous vos livres ?

La liberté s’écrit. Ainsi mon héroïne doit dépasser ce qu’elle est : une femme et une esclave. Sa richesse ? Se définir en tant qu’être humain grâce à ses enfants qui l’obligent à se réinventer constamment. La religion est sa seule issue pour imaginer un autre univers. Plus qu’un lieu, la place comprend une dimension spirituelle, celle où l’on se réalise pleinement, celle où le monde commence. Connaître sa place est peut-être la question centrale de la vie. A près de 80 ans, je vois que ce processus évolutif est infini ! L’amour aussi est un éternel recommencement. On doit garder la foi en la lumière car cet espoir rend la vie possible.

Qu’en est-il de votre espérance pour l’Afrique du Sud ?

L’Afrique incarne un continent très ancien, renfermant tant de potentialités. Je me sens Africain car je me retrouve dans ce continent, historique et mythologique, représentant le berceau du monde. J’espérais que mon pays allait avancer, mais il semble misérable depuis l’élection de Zuma. Ce président autoritaire va à contre-sens de la nouvelle expérience africaine. C’est un homme politique du passé, trop borné pour saisir les possibilités qui sont à sa portée. Le pouvoir d’un écrivain consiste à inventer, en se glissant dans la peau d’un autre. Une manière de garder les fenêtres ouvertes sur le monde et sur sa propre lumière intérieure.

Philida, par André Brink, éd. Actes Sud, 373 p.

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