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Anders Breivik : un crime d’imitation

Fondamentaliste chrétien, tenant d’une idéologie haineuse, Anders Breivik est avant tout un tueur de masse. Il en a les caractéristiques : introverti, fasciné par les armes, fana de jeux vidéo… Son portrait avec Stéphane Bourgoin, spécialiste des serial killers (1).

Le Vif/L’Express : Le tueur de Norvège ressemble-t-il aux autres tueurs de masse ?

Stéphane Bourgoin : Tout à fait. D’ailleurs, de manière générale, les tueurs de masse se ressemblent tous. Sur 113 tueries recensées ces vingt dernières années, 111 ont été commises par des hommes. Dans 95 % des cas, il s’agit de tueurs solitaires. Ce sont des individus isolés, introvertis, qui ont subi des brimades durant leur enfance, qui n’ont pas ou peu d’amis proches, pas de relation sentimentale non plus ou alors exceptionnellement. Breivik n’a connu qu’une amourette durant l’adolescence. Très souvent aussi, ils préparent minutieusement leur crime, parfois des années à l’avance. Breivik a commencé à écrire son Manifeste en 2002. Cinq ans plus tard, sur des forums de discussion, il affirme renoncer à adhérer au parti populiste parce que l’action politique et démocratique mène à une impasse. En 2009, il crée sa société Geofarm, qui lui sert de couverture à la fabrication de ses bombes.

Les tueurs de masse se disent victimes de la société…

Oui, et tous vouent une haine farouche aux institutions gouvernementales. Comme les tueurs en série, ils n’éprouvent aucun remords. Eux seuls comptent. Leurs victimes sont chosifiées. La plupart sont aussi fascinés par les armes à feu et par la chasse. Ils se réfugient dans un monde virtuel, Internet et les jeux vidéo, et laissent presque toujours un testament numérique, comme le Manifeste de Breivik.

Le goût du déguisement s’inscrit-il dans leur profil ?

Absolument. Au lycée de Columbine, en 1999, Dylan Klebold et Eric Harris étaient entièrement vêtus de noir, tout comme le tueur finlandais Matti Saari dans son lycée de Kauhajoki, en 2008, ou Kim De Gelder, à Termonde, en 2009. Certains revêtent le treillis militaire. D’autres, un uniforme de policier. Anders Breivik en portait un. De même que Freidrich Leibacher, l’auteur de la tuerie au parlement de Zoug en Suisse, il y a dix ans. Ces uniformes leur permettent de montrer leur toute-puissance. Ce sont de pauvres types qui n’ont rien réussi, qui ont une piètre opinion d’eux-mêmes. En se déguisant, ils rêvent de devenir des super-héros. Dans sa vidéo, Breivik se compare à un croisé des temps modernes. Il fait référence à Conan le Barbare… Aujourd’hui, il veut comparaître devant le tribunal en uniforme militaire. Cela dénote son état mental. Il a besoin d’une armure, en quelque sorte, pour être quelqu’un, pour afficher son hyper-puissance devant le monde entier.

Les jeux vidéo font également partie de l’univers des tueurs de masse…

Sur 113 tueurs, on constate que 108 étaient des fanatiques de jeux vidéo violents, soit de manière addictive soit de manière régulière. Dans son Manifeste, Breivik consacre une dizaine de pages à sa consommation de jeux vidéo, en précisant que ceux-ci ont été essentiels dans la construction et la structuration de son acte meurtrier. Il indique même son niveau pour World of Warcraft.

Soyons clair : les jeux vidéo, même violents, ne sont pas dangereux pour une personnalité tout à fait saine. Le problème est que, sur des individus qui souffrent de troubles psychologiques profonds ou psychiatriques avérés, ces jeux ont une influence. Ils exercent une forme de désensibilisation par rapport à la violence.

Les joueurs vidéo contestent ce genre de lien de cause à effet. Pour eux, rien n’a jamais été démontré.

Mon constat est objectif. Cela ne concerne qu’une infime minorité de joueurs, mais, quand ceux-ci passent du monde virtuel au monde réel, cela peut causer d’énormes dommages… On peut faire un parallèle avec les tueurs en série : 95 % d’entre eux ont subi, durant l’enfance, un abandon parental, des maltraitances physiques, sexuelles ou psychologiques. Cela ne signifie pas que tous les enfants maltraités deviennent des serial killers !

Y a-t-il des éléments qui distinguent Breivik des autres tueurs de masse ? Il a commis ses meurtres sur deux lieux, avec des modes opératoires différents. C’est assez exceptionnel. Autre distinction : il n’est pas suicidaire. Or 75 % des tueurs de masse le sont. Soit ils se suicident après leur forfait, soit ils se laissent abattre par les forces de l’ordre, ce qui est un suicide par police interposée.

Breivik, lui, est tellement narcissique et mégalomane qu’il a prévu d’être présent à son procès pour témoigner.

Vouloir l’inculper de crime contre l’humanité, comme l’envisage la justice norvégienne, n’est-ce pas lui faire trop d’honneur ?

Oui, c’est lui accorder une importance majeure qu’il ne mérite pas. Cela nourrit son narcissisme. J’espère que son procès se déroulera à huis clos et qu’on ne lui offrira pas une tribune.

La sexualité a-t-elle une influence sur les tueurs de masse ?

La plupart n’ont pas de relations sexuelles. Cette sexualité absente va se manifester à travers une démonstration de force, c’est-à-dire l’acte meurtrier. Un peu comme pour les violeurs en série : le sexe importe peu, c’est le sentiment de toute-puissance qui les motive. Le peu de relations sexuelles que Breivik a eues, c’était avec des prostituées, lors d’un voyage à Prague, lorsqu’il tentait d’approcher des Hells Angels pour acheter des armes illégales.

Dans son Manifeste, Anders Breivik se réfère à Timothy McVeigh, le tueur d’Oklahoma. Est-ce caractéristique ?

Oui. Surtout depuis Columbine, les tueurs de masse s’inspirent les uns des autres. La bombe d’Oslo est la copie conforme de celle que McVeigh a utilisée, en 1995, pour faire exploser un bâtiment fédéral à Oklahoma, c’est-à-dire du fuel et de l’engrais chimique. Breivik s’est aussi inspiré des suprématistes blancs, dont McVeigh faisait partie. Très souvent, les tueurs de masse prennent d’autres tueurs comme modèle. Ils utilisent les mêmes codes vestimentaires, les mêmes modes opératoires… C’est pour cela qu’on peut qualifier les tueries de masse de crime d’imitation.

C’est plutôt inquiétant…

En effet. Car le phénomène a tendance à s’amplifier. Par son hypermédiatisation, le massacre de Columbine a constitué un tournant. La circulation des testaments numériques y contribue aussi. Le seul moyen d’enrayer cela, ce serait de ne jamais publier l’identité des tueurs, puisque leur motivation extrême est de passer à la postérité. Les médias de certains pays le font. Mais cela semble impossible à généraliser. Il faudrait, en outre, interdire la diffusion des testaments numériques. Ce serait très frustrant pour ces tueurs et cela permettrait sans doute d’éviter d’autres tueries.

La motivation de Breivik est-elle davantage idéologique ou psychologique ?

Je pense qu’il s’agit d’un mélange des deux. Cela dit, son discours politique n’est pas toujours très cohérent. Il se réfère autant à Charles Martel qu’à Max Manus, héros de la résistance norvégienne contre les nazis. Ce qu’on peut constater, c’est que les idéologies et les discours extrémistes constituent un terreau particulièrement fertile pour ce genre de personnalités dérangées et dangereuses.

L’extrême droite a-t-elle une responsabilité ?

A l’évidence. Les déclarations de certains membres du Front national en France, dont Jean-Marie Le Pen lui-même, après la tuerie de Norvège, le démontre de manière indiscutable.

(1) Stéphane Bourgoin vient de publier une nouvelle édition augmentée de son best-seller Serial Killers, Grasset.

ENTRETIEN : THIERRY DENOËL

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