Eternit © Belga

Amiante: Eternit condamné en Belgique

Muriel Lefevre

Durant des décennies, un village au centre de l’Inde a été contaminé par les déchets d’amiante. La fabrique qui traitait les déchets dans les années 90 appartient au groupe belge Etex, ex-Eternit. Ils veulent maintenant que le site soit nettoyé. Une histoire de David contre Goliath. L’occasion de revenir sur cette « poussière du diable » qui contamina aussi la Belgique. Et dont l’un des combats judiciaires emblématiques vient de franchir une nouvelle étape.

Le village de Kymore servait de déchetterie pour les fibres d’amiante. Celles-ci ont pollué les nappes phréatiques, qui ont à leur tour contaminé les animaux et les hommes. Provoquant au passage des cancers et des troubles respiratoires. Ils sont nombreux à être touchés parmi les 8000 villageois qui habitent autour de la fabrique. Il faut dire qu’à l’heure de lire ces lignes on y utilise encore et toujours de l’amiante dit De Standaard.

Poussière du diable

Depuis que, l’année dernière, des experts canadiens harnachés dans des masques sont venus sur place, il est apparu aux yeux de tous que cette poussière blanche qu’on retrouvait partout était plus dangereuse qu’il n’y paraissait au premier abord. Les habitants demandent dès lors justice. Celle-ci devrait venir de Belgique et plus précisément du quartier général d’Etex Group, mieux connu sous son ancien nom Eternit.

Ce groupe belge spécialisé dans la construction était connu dans le passé comme l’un des principaux fabricants de produits finis à base de cette fibre. Dans les années 1960, Eternit employait 3 000 personnes notamment à Kapelle-op-den-Bos (près du canal de Willebroek). L’amiante, ou asbeste, est presque inaltérable et très résistant au feu. Il était donc fort apprécié dans la construction et l’industrie qui en fait son produit star. Au point d’être utilisé à toutes les sauces.

S’il est pratique, il est aussi redoutablement dangereux sous sa forme pulvérulente, car celui-ci se désagrège en fibres extrêmement fines qui sont si légères qu’elles planent longtemps dans l’air et sont facilement respirées.

Depuis le milieu des mêmes années 1960, il est en effet scientifiquement démontré qu’en inhaler régulièrement la poussière provoque l’asbestose (une fibrose du tissu pulmonaire entraînant une insuffisance respiratoire chronique) ou le cancer du poumon, du larynx et, surtout, le mésothéliome, soit le cancer de la plèvre (le revêtement des poumons). Particulièrement vicieuses, ces maladies surviennent des dizaines d’années après l’exposition à l’amiante.

A Kapelle, dont Eternit avait pourtant fait la fortune, il y a aussi eu des morts. Là-bas, on l’appelle la « poussière du diable ». C’est vrai qu’on y meurt onze fois plus du mésothéliome que dans le reste du pays.

L’un des cas emblématiques est celui de la famille Jonckheere qui est en procès contre la société Eternit depuis près de deux décennies. Cette famille a été lourdement touchée par l’amiante. Pierre Jonckheere était ingénieur chez Eternit. Avec les siens, il résidait à proximité de l’usine de Kapelle. Il est décédé d’un mésothéliome en 1987, à l’âge de 60 ans. La mère, Françoise, décédera en 2000 de la même maladie. Deux de leurs cinq enfants ont subi le même sort en 2003 et 2009 à 44 et 43 ans.

L’entreprise avait été condamnée en 2011 à les indemniser à hauteur de 250.000 euros. Selon le tribunal de première instance, l’entreprise avait continué à utiliser le matériau et minimisé sa dangerosité alors qu’elle la connaissait. L’entreprise avait fait appel de cette condamnation. La cour d’appel de Bruxelles vient de rendre son arrêt. Elle condamne Eternit à verser des dommages et intérêts . Le montant de 250.000 euros accordés à la famille en première instance a été ramené à 25.000 euros par la cour. La famille s’est néanmoins dite satisfaite de l’arrêt. La société Eternit peut néanmoins toujours se pourvoir en cassation.

Le Fonds amiante

La Belgique a été pendant de nombreuses années le plus grand utilisateur d’amiante au monde en kilos par habitant. Ce n’est qu’en 2001 qu’il y aura une interdiction générale de produire, d’utiliser et de commercialiser de l’amiante dans notre pays. Tout cela fait qu’elle est particulièrement touchée par le phénomène.

Depuis avril 2007, « un Fonds amiante (AFA, au sein du Fonds des maladies professionnelles) indemnise les victimes (à raison d’un montant forfaitaire net de 1 560 euros) et leurs éventuels proches (une somme unique de 15 000 à 31 000 euros). L’année suivante, il faisait déjà face à plus de 300 cas. »

Entre le 1er avril 2007 et le 31 décembre 2016, 1870 personnes ont reçu une indemnisation à la suite de la reconnaissance d’un mésothéliome. Au cours de la même période, 305 personnes ont reçu une indemnisation pour asbestose. Enfin, 494 personnes ont été indemnisées pour des épaississements pleuraux diffus bilatéraux, qui sont assimilés à l’asbestose. En 2016, l’AFA a reconnu 210 nouvelles victimes de mésothéliome et 41 victimes d’asbestose ou d’épaississements pleuraux diffus bilatéraux. Ces chiffres suivent la tendance de ces dernières années et sont donc relativement stables. En Belgique, la moyenne est de 2,5 cas de mésothéliome par 100.000 habitantsselon un communiqué de l’AFA.

Certains pensent que ce Fonds n’est pas une réponse adéquate, voire que c’est une injustice : pour bénéficier de l’aide du Fonds, les victimes doivent renoncer aux procédures, même celles déjà engagées.

David contre Goliath

Tublu Krishnendu Mukherjee parcourt l’Inde à la recherche de victime de l’amiante. Cet avocat idéaliste a lâché une carrière riante à Londres pour faire de la lutte contre les ravages de l’industrie de l’amiante en Inde son combat. Il veut que les compagnies responsables de cette catastrophe crachent au bassinet. Et, au sommet de sa liste, on retrouve Eternit.

En collaboration avec l’avocat belge Jan Fermon, qui défend en Belgique les victimes de l’amiante, il souhaite que le groupe Etex Group nettoie les sites de Kymore et Kalhara. Pour cela il a porté l’affaire devant un tribunal en Inde. Il souhaite désormais récolter des fonds pour porter l’affaire devant la justice belge, dit-il dans De Standaard qui l’a joint par Skype.

Cette demande n’est pas anodine et pourrait coûter une fortune au groupe puisque la facture pourrait s’élever entre 49 et 83 millions d’euros. Encore faut-il qu’elle aboutisse.

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