Angela Merke © REUTERS

Allemagne: Pourquoi Angela Merkel est si certaine de remporter les élections

Jeroen De Preter Rédacteur Knack

Pourquoi l’Allemagne ne se lasse-t-elle pas d’Angela Merkel? D’où vient ce goût pour la stabilité ? Bernd Ulrich, rédacteur en chef politique de l’hebdomadaire allemand Die Zeit, vient d’écrire un livre sur le sujet. Entretien.

Après douze ans, les Allemands ne semblent pas lassés de la chancelière Angela Merkel. Cet engouement est-il dû à son talent politique où au goût allemand pour la stabilité ?

Bernd Ulrich: Les deux ne s’excluent évidemment pas, mais il me semble clair qu’il y a un besoin de stabilité. Sans l’aide d’une Allemagne stable, le président français Emmanuel Macron n’arrivera à rien. Sans stabilité interne allemande, l’Union européenne pourra exercer beaucoup moins de pression sur la Hongrie et la Pologne. Qui d’autre que l’Allemagne pourra mettre le Royaume-Uni économiquement sous pression lors des négociations sur le Brexit ?

Les électeurs sont-ils conscients de cette responsabilité?

La plupart oui, j’en suis sûr. Beaucoup d’Allemands sont inquiets de ce qui s’est produit dans le monde, et ils veulent prendre leurs responsabilités. Il y aura toujours moyen d’expérimenter plus tard, se disent les Allemands.

Cela explique-t-il aussi pourquoi le parti de droite populiste AfD affiche de moins bons résultats en Allemagne que des partis comparables dans les pays voisins ?

Bien qu’en chiffres absolus, l’Allemagne ait accueilli de loin le plus de réfugiés de l’UE, l’AfD semble effectivement remporter peu de voix. C’est non seulement étonnant, mais c’est aussi une belle prestation de la démocratie allemande, même s’il y a évidemment aussi un revers de la médaille. Merkel a durci sa politique de réfugiés, notamment pour endiguer la montée de l’AfD. Beaucoup de réfugiés qui auraient le droit de s’installer en Allemagne en paient le prix.

L’AfD n’obtiendrait-il pas de bien meilleurs scores s’il était moins décidé?

(D’un ton décidé) Non. Peu importe ce que dit ou fait ce parti. Seul le nombre de réfugiés qui entre dans le pays détermine la popularité du parti et la colère de la minorité.

Bart De Wever, le politique le plus influent de Belgique a déclaré après le fameux ‘Wir schaffen das’ de Merkel que ce serait sa fin politique. En pleine crise de réfugiés, avez-vous pensé la même chose?

Non. En septembre 2015, énormément d’Allemands étaient gagnés pour la Wilkommenskultur, non seulement en théorie, mais aussi en pratique. On était prêt, et certainement au début, d’en supporter les inconvénients. La capitulation n’a jamais fait partie des possibilités. Merkel n’avait rien à craindre du deuxième parti du pays, le SPD, parce que ce dernier approuvait la politique menée. Il en va de même pour les partis d’opposition Die Linke et Die Grünen. La plus grande menace venait du partenaire de coalition bavarois CSU, mais celui-ci est à ce point dépendant du CDU qu’il n’a pas de marge de négociation. Si le président du CSU Horst Seehofer aboie de plus en plus fort, c’est parce qu’il est tenu en laisse.

Dans votre livre qui vient de paraître « Guten Morgen, Abendland » vous écrivez que Merkel est aussi le produit d’un pays qui, suite à son histoire chargée, a développé une aversion fondamentale du masculin autoritaire.

Il y a à propos de l’Allemagne, parmi les Allemands, mais aussi à l’étranger, un malentendu qu’au fond, c’est un pays autoritaire. Cette image, qui provient évidemment de la Seconde Guerre mondiale et du national-socialisme, n’est plus exacte. La génération au pouvoir après la guerre était – certainement aux yeux des générations qui ont suivi – encore infectée par le nazisme. Mais à partir de la fin des années soixante, nous avons combattu de plus en plus durement tout ce que notre société comptait encore d’autorité. Lors de ce combat, nous nous considérions probablement comme plus autoritaires que ce que nous étions en réalité. Et nous n’étions pas contredits par les autres, au contraire. Si un Belge nous avait dit que les Allemands étaient un peuple autoritaire, nous aurions confirmé alors qu’en Allemagne, plus qu’en France par exemple, nous avons combattu pour sortir le masculin autoritaire des institutions. C’est ce qu’on voit à nos universités, où il n’y a pas de clubs masculins aux rituels démodés. Et cela peut aussi expliquer pourquoi une femme comme Angela Merkel peut tenir aussi longtemps au sommet de la politique.

Le seul véritable concurrent de Merkel, Martin Schulz, était président du Parlement européen, mais s’est rendu à Berlin comme lapin blanc du SPD. Cela a entraîné un effet Schulz non allemand. Mais c’est devenu aussi vite un défaut Schulz.

C’est une question compliquée que je ne peux pas expliquer. Cet effet Schulz a prouvé clairement que les socio-démocrates sont sous-évalués. Le SPD a un potentiel plus important. Il faudra encore beaucoup de doctorats pour expliquer pourquoi il a implosé. J’imagine que c’est dû à un manque de constance. La socio-démocratie allemande est facile à déséquilibrer. C’est pourquoi après trois défaites aux élections régionales le SPD a trop rapidement renoncé à son thème de justice sociale.

La justice sociale semble effectivement le bon thème électoral pour les socio-démocrates, également et peut-être surtout en Allemagne. La classe moyenne rétrécit, les inégalités augmentent, et de plus en plus de travailleurs sont pauvres. Pourquoi ce thème est-il mal reçu par les électeurs ?

On entend beaucoup trop peu la voix des gens qui vivent en conditions précaires. Et c’est non seulement la faute du SPD, mais aussi celle des médias. À cet égard, ils ne sont si assez sensibles, ni assez curieux. On entend toujours que l’Allemagne va très bien. Cependant, ce n’est pas le cas de tout le monde en Allemagne, et l’Allemand moyen est de moins à prêt à tolérer cette inégalité. Tant le SPD que les médias doivent prendre les devants pour appuyer ce nouveau mouvement.

Partout en Europe, la socio-démocratie traverse des temps difficiles. Est-elle, comme le pensent certains politologues, condamnée ?

Pour ce qui est de l’Allemagne, je pense et j’espère que l’avenir du SPD se jouera dans l’opposition. Mais plus généralement je ne pense pas qu’il faille désespérer. On voit qu’il y a toujours une énergie forte de gauche répartie en Europe. Pensez à l’énergie Corbyn au Royaume-Uni, l’énergie Iglesias en Espagne, l’énergie Tsipras en Grèce et finalement l’énergie Schulz en Allemagne. Toutes ces énergies réunies devraient pouvoir mener à un nouveau mouvement socio-démocrate fort. Mais je ne pense pas que ce sera pour demain.

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