Algérie: « Les ravisseurs ont frappé le coeur économique du pays »

Le Vif

L’armée algérienne est intervenue ce jeudi pour mettre fin à la prise d’otages sur le site gazier de Tiguentourine. Des otages auraient été tués lors de l’assaut. L’analyse de Francis Perrin, directeur de la rédaction de la revue Pétrole et Gaz Arabe.

Un jour à peine après la prise d’otages géante menée sur le site gazier de Tiguentourine, l’armée algérienne a donné l’assaut, libérant plusieurs centaines de personnes, mais provoquant également sans doute la mort d’un nombre indéterminé d’otages.

Le leader du commando proche d’Al-Quaïda, Mokhtar Belmokhtar, entendait punir « punir l’Algérie d’avoir ouvert son ciel aux forces françaises », et de soutenir ainsi l’intervention de la France au Mali. L’importance stratégique du gaz algérien explique-t-elle la rapidité et la virulence de la riposte algérienne? Le site de Tiguentourine présente-t-il un intérêt particulier ? Les réponses de Francis Perrin, directeur de la rédaction de la revue Pétrole et Gaz Arabe.

Pourquoi les ravisseurs ont-ils choisi le site de Tiguentourine ?

C’est simple. Il exporte 9 milliards de m3 de gaz par an. Pour vous donner un ordre de grandeur, sachez que l’Algérie exporte entre 50 et 60 milliards de m3 par an. Le site pèse donc pour 15% des exportations du pays. Le site d’In Amenas est entré en production en 2006. Les travaux avaient commencé dès 1998. Un contrat de co-exploitation avait au départ été signé entre l’américain Amoco et l’algérien Sonatrach. Mais le britannique BP a racheté l’américain en 2001. Deux ans plus tard, BP cédait la moitié de ses parts au norvégien Statoil. Sonatrach conserve donc 50% des participations du site. BP et Statoil se partagent le reste.
Les ravisseurs avaient donc la certitude de tomber sur un personnel international. C’est d’autant plus vrai que d’autres sociétés s’y implantent pour assurer les repas, la sécurité, etc. Une façon de toucher un maximum de pays et d’assurer une importante couverture médiatique.

L’importance stratégique du gaz peut-elle en partie expliquer la virulente riposte algérienne?

Certainement. Les ravisseurs ont frappé le coeur économique de l’Algérie. Nous parlons d’un pays riche en hydrocarbures, plus gazier que pétrolier. Les hydrocarbures représentent 97% des exportations du pays, c’est énorme. Dans la région, vous avez deux grandes puissances énergétiques, l’Algérie et la Libye. Sauf que la Libye, à l’inverse de l’Algérie, est davantage pétrolier que gazier. Si l’on fait un peu le tour des voisins, la Tunisie est un petit pays en termes de ressources naturelles. Le Maroc aussi, même s’il garde espoir de trouver des réserves importantes et ne renonce pas à ses recherches. Parlons du Niger aussi, qui dispose d’importantes ressources en uranium à défaut d’hydrocarbures. Même si la compagnie algérienne Sonatrach mène aujourd’hui des explorations à la fois au Niger et au Mali. On ne peut pas occulter l’Egypte, qui dispose d’importantes ressources. Mais le pays est difficile à classer géographiquement, entre Moyen-Orient et Afrique du Nord…

Où en est le pays en termes d’exploitation de ses ressources naturelles ?

La très forte dépendance algérienne aux hydrocarbures l’oblige à penser à l’avenir. Elle dispose de deux pistes. En premier lieu, de nombreuses zones du pays sont encore à ce jour sous explorées. C’est notamment le cas de certaines zones du nord ou de l’est du pays. L’Algérie s’est bel et bien lancée dans un mouvement d’intensification de l’exploration de son sol. Deuxième possibilité : se lancer dans l’exploitation des ressources non conventionnelles, je parle ici du gaz de schistes. Mais le pays cherche à attirer des investisseurs étrangers.

Comment?

Pour accélérer le mouvement, une révision de la loi sur les hydrocarbures, qui date de 2005, est actuellement en discussion à l’assemblée populaire nationale (l’équivalent de notre Assemblée Nationale, ndlr). L’objectif est d’attirer plus d’investissements étrangers. Des compagnies seraient prêtes à investir en Algérie, elles attendent pour cela que la loi soit adoptée. Tout le monde est d’accord pour dire que le pays a beaucoup de potentiel. Mais le problème est qu’ils estiment aussi que la rentabilité n’y est pas suffisante.
La loi sur les hydrocarbures est en fait trop restrictive, du fait notamment de dispositions fiscales assez contraignantes. Vous savez tout comme moi que les compagnies exploitantes ne s’intéressent pas à des rentabilités de 5%. Ils veulent un taux à deux chiffres, souvent plus proche des 20% que 10% d’ailleurs. Certaines dispositions du projet de loi visent à garantir une meilleure attractivité, en revoyant en partie ces restrictions.

L’attaque contre le site d’In Amenas pourrait-elle remettre en cause l’attractivité du pays?

Elle pose une question sous-jacente qui pourrait bien s’avérer cruciale. La prise d’otage intervient en plein milieu des discussions parlementaires. Il est très probable qu’elle soit adoptée. Reste alors à savoir dans quelle mesure ce qui vient de se passer pourrait refroidir les ardeurs de certaines compagnies. Il est bien sûr trop tôt pour le dire. Ce que l’on peut affirmer en revanche, c’est que les compagnies exploitantes sont tout à fait conscientes des dangers encourus et n’hésitent pas à mettre les moyens nécessaires pour assurer leur sécurité. Il y a bien sûr des limites. Je veux dire par là que vous ne trouverez pas de compagnie en Somalie par exemple. Mais prenez le cas de l’Algérie. Il y a toujours eu des exploitants présents sur place, y compris pendant les années 90, les « années de plomb », ainsi que dans les années 50.

Elles sont toutes conscientes du danger, mais présentent des profils de risques divers. Statoil par exemple, pourrait être grossièrement qualifiée de plus « raisonnable ». Ils ont d’ailleurs annoncé aujourd’hui le renforcement de leurs moyens de sécurité. Je ne veux pas tomber dans la théorie du complot. Je ne veux pas croire que les terroristes aient pensé un seul instant à ce projet de loi en lançant leur attaque. Mais le moment est très mal venu pour l’Etat algérien.

Propos recueillis par Ludwig Gallet

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