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Al-Qaïda tente de récupérer le mouvement égyptien

Le groupe jihadiste qui appelle les Egyptiens à la guerre sainte est pourtant déstabilisé par ce mouvement qui contredit ses thèses.

C’est la première fois qu’Al-Qaïda se fait entendre depuis le début de la crise égyptienne. La branche irakienne de l’organisation islamiste a appelé les manifestants égyptiens à la guerre sainte et à instaurer un gouvernement fondé sur la loi coranique (la charia), a indiqué mardi le centre américain de surveillance de sites islamistes (SITE). Le communiqué a été posté mardi sur des forums jihadistes.

Le groupe radical presse les Egyptiens d’ignorer « les chemins décevants » de la démocratie et du « nationalisme païen pourri ». « Votre jihad » lance le communiqué, est de soutenir l’islam, les faibles et les opprimés en Egypte, pour « votre peuple » à Gaza et en Irak et pour « chaque musulman qui a été touché par l’oppression du tyran d’Egypte et de ses maîtres à Washington et Tel-Aviv », selon une traduction du texte fournie par SITE.

Fin janvier, Al-Qaïda au Maghreb islamique avait salué la révolte en Tunisie et mis en garde ses habitants contre la tentative de Paris et Washington de remplacer le président déchu Ben Ali par un de leurs « agents », indiquait alors SITE.

Al Qaïda déstabilisé

Mais les soulèvements populaires pacifiques dans le monde arabe, leur succès en Tunisie et leurs éventuelles victoires ailleurs sont en fait des revers et pourraient être des catastrophes pour Al-Qaïda et les mouvements jihadistes, estiment des spécialistes.
Ces mouvements contredisent en effet le credo des jihadistes selon lequel seule la violence peut venir à bout de ce qu’ils considèrent comme des régimes impies, soutenus par l’Occident et oppresseurs de leurs peuples.

Ce qui se passe en Egypte « dément toute la théorie du recours à la violence » estime Maha Azzam, du programme « Moyen-Orient » de centre de réflexion londonien Chatham House. « Tous les groupes en Egypte, y compris les Frères Musulmans, réclament une transition démocratique du pouvoir. Ils condamnent tous la violence politique. S’ils y parviennent et si la transition est pacifique, si cela aboutit à un système politique incluant tout le monde, cela se fera au détriment des groupes radicaux », affirme-t-elle.

Même analyse pour Dominique Thomas, spécialiste de l’islamisme radical à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHHESS), « les groupes jihadistes sont à la croisée des chemins: si les événements font boule de neige, suscitent des vocations démocratiques dans la région et que les peuples parviennent à renverser des dictatures sous la seule pression de la rue, ce sera une réfutation cinglante de leurs thèses ».

« Al-Qaïda a été complètement prise de court par la contestation populaire dans le monde arabe », renchérit Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris et à l’Université Columbia. « Les manifestants ne prennent pas des risques (…) pour demander ‘l’Etat islamique’ ou l’établissement d’un ‘califat’, mais pour exiger la démocratie, les élections et la transparence du pouvoir, tous concepts absents de la vision d’Al-Qaïda », ajoute-t-il.

Le danger d’une coupure avec les peuples de la région et d’une marginalisation a été senti par un cyber-prédicateur radical, Abou Moundhir al-Shanqiti, qui écrivait le 31 janvier sur un forum jihadiste: « Ce serait une dangereuse erreur pour les jihadistes de s’éloigner des peuples ». « Séparer le mouvement jihadiste du mouvement musulman populaire signerait notre fin », écrivait-il, dans une contribution traduite par SITE.

En revanche, soulignent les trois experts, un échec du mouvement démocratique, une répression aveugle ou des coups d’Etat militaires seraient une aubaine et une validation de leurs thèses pour les partisans de l’islamisme radical.

Le Vif.be, avecL’Express.fr

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