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Afghanistan: les négociations avec les talibans en questions

Le Vif

Les talibans et les Américains ont annoncé la reprise de leurs contacts en vue de discussions de paix, après l’ouverture dans la journée d’un bureau de représentation taliban au Qatar, mais le président Karzai s’y oppose. Explications.

Après l’annonce de l’ouverture d’un bureau des Talibans au Qatar, le 18 juin, les Américains, face à la colère du président afghan Hamid Karzaï ont démenti que des discussions avec les insurgés afghans aient été « programmées » cette semaine. Que signifie cet imbroglio diplomatique?

Pourquoi les annonces des Talibans ont-elles lieu maintenant?

Après 18 mois de tractations secrètes, les Talibans ont annoncé l’ouverture à Doha, d’un bureau de représentation destiné à favoriser « le dialogue et l’entente avec les pays du monde ». Des diplomates américains Washington ont aussitôt évoqué une prochaine rencontre officielle avec les insurgés.
Cette annonce intervient le jour même où les forces afghanes ont pris le contrôle de la sécurité de l’ensemble du pays à la place de la force internationale de l’Otan.

« il s’agit d’une sorte de coup d’accélérateur. Les Américains, qui sont pressés de se désengager, s’impatientent des louvoiements du président afghan. Ils ont donc facilité l’ouverture de ce bureau au Qatar pour tenter de faire bouger les lignes », explique Gilles Dorronsoro, enseignant à Paris I, spécialiste de l’Afghanistan. Mais les protestations du président Karzaï qui a annoncé la suspension des négociations sur un accord de sécurité avec les Etats-Unis pour l’après 2014 ont mis, pour le moment, un coup d’arrêt à ces négociations.

Pourquoi Karzai y est-il si hostile ?

Le président afghan avait pourtant proposé dès 2010 de discuter avec les Talibans. Il avait pour cela créé un Haut conseil pour la paix (HCP). Mais quand les premières annonces sur l’ouverture d’un bureau taliban à Doha ont été révélées fin 2011, Hamid Karzaï s’y est opposé, de crainte que son gouvernement ne soit écarté des pourparlers entre les insurgés et les Etats-Unis. « Pour toute négociation avec les Talibans, Hamid Karzaï pose comme condition que ceux-ci reconnaissent comme point de départ la légitimité de son gouvernement et de la constitution actuelle. Il imaginait pouvoir leur céder quelques attributions marginales comme des postes de gouverneurs, tout en gardant les commandes du pays », complète Gilles Dorronsoro.

Quelle est la position des talibans ?

Après que le secrétaire à la Défense américain Robert Gates ait estimé que les Taliban font partie du « paysage politique », en 2010, des pourparlers secrets avaient été lancés avec les Etats-Unis. Avant cela, les Talibans avaient officiellement refusé de négocier tant que les soldats de l’Otan n’auraient pas quitté le pays. En janvier 2012, finalement, les insurgés pachtounes se sont dit « prêts » à ouvrir un bureau politique au Qatar pour des négociations de paix, mais se sont retiré des discussions deux mois plus tard, en incriminant les « incessants changements de position » des Etats-Unis, notamment sur la libération de détenus de Guantanamo.

Cette fois, ils ont fait un geste en s’engageant à « n’autoriser personne à utiliser le territoire afghan pour menacer la sécurité des autres pays » une allusion à Al-Qaïda, leur allié historique.
Par le passé, les talibans refusaient de discuter avec Hamid Karzaï, qu’ils considéraient comme une marionnette aux mains de Washington. Dans leur communiqué au moment de l’ouverture du bureau de Doha, mardi, ils ont parlé de « se réunir avec les Afghans ». S’ils n’ont pas cité précisément le gouvernement afghan ou le Haut conseil pour la paix, cela a été interprété comme un changement de position, souligne la BBC. « A l’opposé de la position de Hamid Karzaï, les Talibans envisagent de refonder totalement le système politique afghan. Ils seraient favorables à un format de discussion assez étendu, comme l’avait été la conférence de Bonn en 2001, qui avait réuni un large panel des composantes de la société afghane », explique Gilles Dorronsoro. Toutefois, contrairement à cette époque, « il serait difficile de réunir un grand nombre d’acteurs, les partis politiques actuels étant très affaiblis et fragmentés, sans représentativité réelle dans le pays ».
Quels sont les obstacles à la poursuite des discussions?
Kaboul a dénoncé le drapeau et la plaque installés sur le bureau taliban à Doha portant le nom d' »émirat islamique d’Afghanistan », appellation du gouvernement taliban entre 1996 et 2001. Celui-ci laisse entendre que les rebelles pachtounes constituent le gouvernement légitime du pays, et que ce bureau serait en quelque sorte leur représentation diplomatique. Mercredi, les talibans ont retiré leur drapeau blanc et la plaque en question.
A ce stade, la perspective de négociations de paix est donc bloquée par Hamid Karzaï. Depuis qu’ils ont engagé leur retrait, « les Occidentaux ont de plus en plus de mal à faire pression sur lui, observe Gilles Dorronsoro. Sa position s’affaiblit pourtant mécaniquement du fait de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays, et de la fin de son mandat dans quelques mois. A ce stade, tout le monde attend la présidentielle de 2014 qui doit trouver un successeur à Hamid Karzaï. »

Par Catherine Gouëset

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