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Afghanistan: « le sommet de Chicago a acté la défaite de l’Otan »

L’Alliance atlantique, a présenté, lors du sommet de Chicago cette semaine, comme « irréversible » le retrait de ses soldats déployés en Afghanistan, dix ans après le début de guerre. L’analyse de Gilles Dorronsoro, chercheur en sciences politiques, spécialiste de l’Afghanistan, enseignant à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Que change le sommet de l’Otan à Chicago?


Il n’y a pas eu en soit d’annonce nouvelle sinon la confirmation que la phase III du retrait est bien engagée. Celui-ci est désormais irréversible. On peut dire que le sommet de Chicago a acté la défaite des pays occidentaux en Afghanistan. La stratégie du « surge » (l’envoi de renforts, en 2009, pour faire pencher la balance en faveur des forces occidentales) en particulier, a été sans succès. Les talibans ont mis en échec, après 10 ans de guerre, une armada surarmée de 130.000 hommes. L’autre constat que l’on peut tirer du sommet de Chicago est que la situation de l’Afghanistan après 2014 est tout sauf claire.


L’intervention occidentale n’est pas parvenue à affaiblir les talibans…

Au contraire. On peut estimer qu’un tiers des provinces (100 à 150 districts) devraient passer sous leur contrôle. Environ 80% du territoire afghan sera confronté à des actions de la guérilla. Même les régions du Nord n’ont pas les moyens de résister à une offensive des rebelles. Ils y sont d’ailleurs déjà largement présents. En fait, les talibans ont renforcé leur présence dans tout le pays à partir de 2002. Leur progression est en partie dû à la bureaucratie de l’Otan qui n’a pas su identifier son ennemi. Ils ont été vus comme des groupes locaux, sans stratégie nationale.

Les talibans ont ils changé par rapport à l’époque où ils étaient au pouvoir, de 1996 à 2001 ?


Il est difficile de faire la part des choses entre le discours tactique et leurs intentions réelles. Ils se sont en tout cas modernisés en ce qui concerne leur pratique des outils technologiques et des médias. Ils utilisent maintenant couramment internet. Mais leur politique, une fois qu’ils seront remis en selle, dépendra de la façon dont ils auront repris le pouvoir. Ils feront plus de concessions s’ils y parviennent au terme d’une négociation que s’ils s’emparent de pouvoir par les armes.


Peut-on craindre la réinstallation d’Al Qaïda en Afghanistan ?


Là aussi, des conditions de leur réinstallation au pouvoir dépendra de l’attitude des talibans vis-à-vis des djihadistes internationaux. S’ils reviennent au pouvoir dans le cadre d’un accord avec les pays occidentaux, peut-être ne laisseront-ils pas les djihadistes agir à leur guise sur leur territoire. En cas contraire, l’Otan n’a de toute façon pas de stratégie de rechange si ce scénario se produit. Les drones ne suffiront pas à y mettre un terme. Et après avoir quitté le pays au terme d’une guerre longue et coûteuse, il sera bien sur hors de question d’envisager de renvoyer des troupes sur place. En termes de sécurité, ce n’est sans doute pas pour les pays occidentaux que l’instabilité de cette zone sera le plus préjudiciable, mais pour l’Afghanistan et le Pakistan.


Que signifient les assassinats récents de personnalités proches du président Hamid Karzaï?


Les assassinats de personnalités du Haut Conseil pour la paix chargé des contacts avec l’insurrection sont une réponse à la tactique d’assassinats ciblés conduite par les forces spéciales américaines contre les commandants talibans.


Les négociations semblent dans l’impasse…


En effet, le processus de Doha, une initiative qui aurait pu porter ses fruits, a échoué, parce que, de part et d’autre, personne n’a voulu faire les concessions nécessaires. Les talibans prêts à négociés ont été éliminés par les services pakistanais.


A quoi pourrait ressembler l’Afghanistan en 2014?


On va revenir en fait à la situation antérieure à 2001, avant la chute des talibans, voire même à une situation empirée. Avec quelques différences toutefois: il y avait à l’époque un gouvernement solide à Kaboul. Alors qu’aujourd’hui, le gouvernement Karzaï est très fragile. Il peut s’effondrer dans les années qui suivront le retrait des troupes occidentales. Largement corrompu, il ne survit que par la captation des ressources envoyées par l’Occident.


Autre différence: la situation à la frontière pakistano-afghane s’est compliquée. Des mouvements très durs, sur lesquels les autorités pakistanaises ont peu de prise, ont émergé dans cette zone.

Quel en seront les conséquences au Pakistan?


Le Pakistan a déjà commencé à payer le prix de cette déstabilisation. L’armée pakistanaise a joué avec le feu en soutenant les talibans afghans. Cela a favorisé le développement de groupes rebelles sur le sol pakistanais, dont les autorités se sont accommodées dans un premier temps, mais qu’elles contrôlent de moins en moins. Talibans pakistanais et talibans afghans ont des liens, mais leurs objectifs sont distincts. Les talibans afghans ont longtemps utilisé les zones tribales pakistanaises comme sanctuaire, mais ils n’avaient pas d’ambition hors de leur propre pays. Désormais, ce sont les talibans pakistanais qui utilisent les zones frontalières à l’intérieur de l’Afghanistan comme base de repli pour préparer les attaques contre le Pakistan. Et l’Etat a disparu de zones entières du Pakistan.

Le Vif.be avec L’Express.fr

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