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Affrontements en Turquie: « La police a agi de façon extrême » selon Erdogan

Des affrontements opposent la police et les manifestants depuis vendredi dans le centre d’Istanbul. Notre journaliste Eric Pelletier était sur place, dans un hôtel de la place Taksim. Récit de plus de 24h de protestations émaillées de violences.

« Vendredi matin, vers 5h, j’étais sur les lieux, place Taksim, quand on a commencé à entendre des clameurs monter du côté nord de la place. L’ambiance était plutôt bon enfant. Les gens scandaient des slogans, s’applaudissaient. Avec le lever du soleil, les forces de police se sont déployées et sont intervenues, selon les manifestants, sans sommation et de manière violente.

A 8h, j’ai vu arriver les premiers camions à eau. Et j’ai vu plusieurs blessés légers, des femmes, plutôt jeunes. C’est un peu l’étincelle qui a créé une explosion dans une partie de la population d’Istanbul. A la base, la mobilisation visait à préserver le parc Taksim sur la partie nord, un espace vert qui doit être rasé prochainement.

Ceux qui défilent dans la journée vendredi ne sont pas de prime abord des extrémistes. Mais c’est cette intervention policière musclée qui semble fédérer pas mal de Stambouliotes. Il faut s’imaginer des foules entières qui montent de tous les coins de la ville notamment de Galatasaray et de Beyoglu, en empruntant notamment la principale artère commerçante et piétonne qu’est l’Istiklal. Se mêlent à ce moment-là des groupes de touristes, des jeunes qui s’applaudissent beaucoup. Ça reste bon enfant.

Au départ, on pouvait encore sortir. Il y avait quelques gaz lacrymogènes mais ça ne perturbait pas la vie d’Istanbul ou du quartier.

Des milliers de jeunes

Vers 19h, l’atmosphère se tend au moment de l’arrivée de gens que l’on identifie comme les premiers supporters de Galatasaray qui se sont groupés un peu en contrebas de la place Taksim, en commençant à chanter des slogans comme ‘sors ta matraque, envoie les gaz, la résistance est partout, et pas seulement à Taksim’. C’est là que l’on a senti les choses tourner et que l’on a su qu’Istanbul se préparait à vivre une nuit agitée. D’autant que la rumeur annonçait l’arrivée de 1500 autres supporters du Besiktas, cette fois-ci.

Aux alentours de 20h sont arrivés les bataillons de la gauche beaucoup plus nombreux. Les slogans étaient clairement politiques puisque l’on réclamait la démission du Premier ministre Erdogan.

Taksim est un promontoir. La foule arrivait par tous les coins. Il y avait des milliers et des milliers de jeunes. C’était très impressionant.

Peu de temps après, les véritables affrontements ont éclaté. C’était essentiellement un face-à-face très tendu entre la foule qui voulait occuper Taksim et les policiers, relativement peu nombreux mais très déterminés. Ils tiraient très régulièrement des gaz lacrymogènes. En face, les jeunes cognaient sur les rideaux de fer des boutiques, chantaient, applaudissaient.

Avec les gaz lacrymogènes, les groupes à l’avant-scène redescendaient et ils étaient renouvellés par d’autres groupes dans un va et vient incessant. Aux avant-postes, il y avait une toute petite minorité de jeunes radiaux, certains casqués, qui insultaient les forces de l’ordre, lançaient des projectiles. Derrière, tout le monde se protégeait comme ils pouvaient, en achetant des citrons dans les petits magasins restés ouverts pour se les passer sur les yeux. Les plus organisés avaient avec eux un petit liquide blanchâtre miracle qui soulageait beaucoup les irritations. L’ambiance était irrespirable. Je n’ai été témoin que d’un blessé à la joue qui saignait abondamment.

Feux d’artifice contre les policiers Dans cette ambiance troublée, les touristes de Taksim étaient piégés par les gaz lacrymogènes, confinés dans leurs hôtels ou dans l’impossibilité de regagner leur hôtel.

Vers 23h, un hélicoptère a survolé au moins à deux reprises les lieux. A l’arrière, on a vu arriver des jeunes – qui n’avaient pas l’air de casseurs – qui ont collecté les premières poubelles et containers pour les incendier. Ils ont gagné du terrain. Vers 1h du matin, ils ont réussi à pénétrer sur la partie sud de la place Taksim. Il y avait des barricades enflammées un peu partout. Là, les policiers ont lâché du terrain. Ils ont été harcelés à coups de feux d’artifice tirés directement sur eux. Chaque éclat était accueilli par des clameurs de joie.

Au milieu de la nuit, il ne restait plus que des groupuscules, beaucoup plus radicaux et violents que les vagues de manifestants de l’après-midi. Ils cherchaient véritablement à en découdre avec des policiers qui, je pense, ont reflué tactiquement pour éviter ce corps-à-corps. Parmi les manifestants, on voyait beaucoup de drapeaux rouges. C’est l’extrême gauche qui était présente.

Vers 4h30, ils ont fini par refluer et se disperser. J’ai vu arriver les premiers policiers qui avaient relevé la visière de leurs casques et qui reprennaient possession de la place. Pour quitter mon hôtel, ils m’ont évacué par le local à poubelles, les vitres de l’hôtel étaient très endommagées. Les gaz lacrymogènes pénétraient partout. C’était irrespirable. Quand j’essayais de quitter la place, d’autres touristes n’avaient toujours pas réussi à regagner leur hôtel. Il est alors 5h. Istanbul s’éveille. Sonnée.

La police turque s’est retirée samedi en milieu d’après-midi de la place Taksim, au centre d’Istanbul, immédiatement occupée par des milliers de personnes au deuxième jours de violentes manifestations contre le gouvernement, ont constaté, de leur côté, des journalistes de l’AFP.

Erdogan reconnait que « la police a agi de façon extrême »

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a concédé samedi que la police avait agi dans certains cas de façon « extrême » pour réprimer les violentes manifestations. « Il est vrai qu’il y a eu des erreurs, et des actions extrêmes dans la réponse de la police », a estimé M. Erdogan dans un discours. « Les mises en garde nécessaires ont été faites ».

79 blessés, 939 interpellations (ministre Intérieur)
Les violents affrontements entre manifestants et policiers survenus à Istanbul et dans d’autres villes ont fait en deux jours 79 blessés, dont 53 civils et 26 policiers, et 939 manifestants ont été interpellés, a annoncé samedi le ministre turc de l’Intérieur, Muammer Guler.

Le ministre a précisé que ces 939 interpellations avaient été effectuées par la police au cours de plus de 90 manifestations survenues dans 48 villes de Turquie.


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