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Affrontements en Turquie: comment la démolition d’un parc a pu provoquer autant de colère?

Les violents affrontements qui ont lieu depuis deux jours à Istanbul résultent d’une grogne générale contre le gouvernement islamo-conservateur du Premier ministre Erdogan. Explications.

« On les a soutenu car ils avaient promis plus de démocratie et mettre fin à la tutelle des militaires. Mais à sa place, on a eu un dictat civil qui se mêle de notre vie privée. On en a marre ». Sevil, étudiante en économie, résume ainsi sa déception et son ras-le-bol vis à vis du gouvernement de l’AKP (conservateur) au pouvoir depuis une dizaine d’années en Turquie. Elle fait partie des nombreuses jeunes qui manifestent depuis cinq jours sur la place de Taksim.

Parti d’une simple initiative pour protéger un parc et ses arbres, les manifestations d’Istanbul se sont propagées à d’autres villes et devenues un immense mouvement de contestation. On a pu y voir des groupes qui n’ont jamais manifesté ensemble dans le passé: des groupes de supporters de foot, habituellement apolitiques, ont marché avec des groupes socialistes, conservateurs et nationalistes ou encore des Kurdes et des Kémalistes. Tout a commencé avec un projet d’aménagement de Taksim pour rendre piétonne cette place centrale. Il était ainsi prévu de démolir le parc Gezi, qui surplombe la place, pour y construire la réplique d’une caserne ottomane abritant un centre commercial et des résidences de luxe.

Avec le début des travaux, un millier de personnes a commencé à camper au parc pour protéger les arbres. Ils ont été évacués vendredi matin de manière très violente par la police. La réaction des Stambouliotes s’est agrandie au fur et à mesure des répressions: des heurts ont éclaté dans des nombreux quartiers d’Istanbul et la protestation s’est propagée à une quarantaine de villes.

Comment la démolition d’un parc a pu provoquer autant de colère chez les Turcs?
Pour de nombreux citoyens, elle est devenue le symbole des dérives autoritaires du gouvernement. Depuis sa réélection avec 49.9% des votes en 2011, le gouvernement de l’AKP a donné des signaux alarmants d’une tentative d’islamisation en douceur de la société, basée sur une politique économique ultralibérale. L’attitude inflexible et intolérante envers toute critique du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a contribué au ras-le-bol. La restriction récente de la vente d’alcool, les gigantesques opérations immobilières sans prendre en compte les contestations des habitants, la pression sur les medias allant au licenciement de nombreux journalistes opposants a accentué ce sentiment. »

Ce qui m’a énervé le plus, c’est quand Tayyip (le prénom du Premier ministre Erdogan, ndlr) a déclaré qu’il se foutait complètement de notre opinion et quoi qu’on fasse, il ne changeait pas sa décision », affirme Ersin, chauffeur de taxi. Il raconte avoir transporté gratuitement plusieurs blessés a l’hôpital. Des écoles, centres commerciaux ou les hôtels de luxe ont ouvert leur porte aux manifestants blessés et fuyant le gaz lacrymogène.

Une solidarité spontanée, se faisant entendre sur les réseaux sociaux, à cause d’un blocage médiatique, s’est mise en place. « S’il n’y avait pas les réseaux sociaux, on n’avait presque aucun moyen de s’informer. Ça montre à quel point le gouvernement exerce une pression sur les medias », estime Pinar, avocate. Les manifestants ont pu entrer samedi après-midi sur la place de Taksim. Apres cinq jours de répression, les policiers les ont finalement laissés y entrer. Mais les heurts dans d’autres secteurs continuaient samedi. « Si Erdogan insiste à ne pas comprendre le sens des événements de Taksim, ce sera vraiment dommage », écrivait le chroniqueur Cengiz Çandar. « On peut empêcher certaines choses par la force. Mais la tache de honte ne peut être effacée ».

Burçin Gerçek, L’Express.fr

Les Affaires étrangères conseillent d’éviter la place Taksim à Istanbul

Il est conseillé aux Belges présents en ce moment en Turquie d’éviter la place Taksim à Istanbul et Kizilay à Ankara, indiquent les Affaires étrangères sur leur site internet. « Dans le reste du pays, et plus particulièrement dans les régions touristiques, les manifestations se sont déroulées paisiblement », assurent les Affaires étrangères. Celles-ci précisent que si voyager actuellement en Turquie ne pose pas de problème, « les prochains jours et semaines, de nouvelles manifestations ne peuvent pas être exclues. C’est pourquoi nous vous conseillons d’éviter la place Taksim à Istanbul et Kizilay à Ankara. En cas de nouvelles manifestations, il faut compter sur de sérieuses perturbations des transports publics locaux ».

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