Wolfgang Schäuble © Reuters

Adieu européen pour Wolfgang Schäuble, l’homme de fer de Berlin

Le Vif

Aussi « délicieux » qu’inflexible, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble participera lundi à son dernier Eurogroupe, institution européenne dont ce vétéran de la politique, ultra-populaire outre-Rhin et très respecté à Bruxelles, était le membre le plus influent.

Ce fidèle de la chancelière Angela Merkel, même s’ils n’étaient pas toujours d’accord, s’apprête, à 75 ans, à prendre la présidence du Bundestag, le Parlement allemand, après avoir tenu les Finances d’une main de fer pendant huit ans. Figure du parti démocrate-chrétien, Wolfgang Schäuble a oeuvré sans relâche pour maintenir l’intégrité de la zone euro pendant la crise financière, aux dépens d’une santé fragilisée par un attentat perpétré par un déséquilibré, qui le cloue dans un fauteuil roulant depuis 1990.

Parmi les 19 ministres de la zone euro, l’Eurogroupe, il était de loin le plus ancien, le seul à pouvoir se targuer d’avoir connu l’ensemble la crise de la dette grecque, au cours de laquelle cet europhile convaincu a parfois endossé un costume de « père fouettard ».

Son départ constitue « un bouleversement pour l’Eurogroupe », estime le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, qui participe lui aussi à ces réunions ministérielles. « Quel que soit son remplaçant, il y aura un avant et un après. » Le Français décrit à l’AFP un homme « exigeant » et « capable de dureté », tout en louant « son humour, son intelligence, son courage » et « son énergie ».

« Dommage qu’un esprit clair et analytique comme le sien quitte le groupe », renchérit l’Autrichien Thomas Wieser, un haut responsable de la zone euro, chargé de préparer ces réunions. « Je suis presque sûr qu’un hommage important lui sera réservé (lundi à Luxembourg, où aura lieu l’Eurogroupe), mais connaissant sa personnalité, lui ne se montrera pas particulièrement sentimental », s’amuse-t-il.

– ‘Bad cop’ –

Direct, obstiné et belliqueux, ne mâchant pas ses mots, la moindre de ses déclarations était guettée par l’Eurogroupe, où rien ne se décide sans l’assentiment allemand. Au plus fort de la crise grecque, en 2015, le puissant ministre, intraitable tout au long des tractations pour sauver la Grèce, était allé jusqu’à prôner une sortie temporaire du pays de la zone euro, ce qui lui vaut encore de solides inimitiés à Athènes.

Alors ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, une personnalité de gauche controversée connue pour ses critiques contre l’Eurogroupe, l’avait accusé d’avoir « mené l’Europe dans l’impasse ».

Dans un livre de souvenirs, M. Varoufakis détaille, amer, leur premier rencontre: « Il était assez amical au départ, insistant pour qu’on s’appelle l’un et l’autre par nos prénoms. Mais immédiatement après, il a fait clairement comprendre qu’il n’en avait rien à faire de ce que je venais de dire. » « J’ai bien compris que j’étais une foutue nuisance pour lui », ajoute le Grec.

« Varoufakis détestait tout le monde sauf lui-même » et Wolfgang Schäuble a toujours « conservé une maîtrise de lui-même » face à lui, répond sèchement le ministre français des Finances à l’époque, Michel Sapin, interrogé par l’AFP.

Elogieux à l’égard de l’Allemand, M. Sapin qualifie cependant son idée de « Grexit » temporaire d' »erreur majeure ». Avant de s’interroger: « Je ne sais pas s’il l’a fait par conviction (…) ou si c’était une tactique. » « Il y avait un jeu subtil entre lui et la chancelière (…) un côte +good cop, bad cop+ », développe-t-il.

Au final, le pragmatisme de Mme Merkel l’emportera sur la rigueur de M. Schäuble, permettant à la Grèce de bénéficier d’un plan d’aide décisif en juillet 2015. Mais le ministre allemand a ensuite maintenu une grande fermeté envers Athènes, faisant barrage à un allègement significatif de sa dette.

Son départ va entraîner une redistribution des cartes au sein de l’Eurogroupe, d’autant plus que son président actuel, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, souvent sur la même ligne, quittera lui aussi son poste en janvier.

Schäuble, homme « délicieux », incarnation du « sérieux allemand »

Après avoir côtoyé pendant trois ans son homologue allemand Wolfgang Schäuble, figure politique outre-Rhin et dans l’UE qui participe lundi à son dernier Eurogroupe, le ministre français des Finances entre 2014 et 2017, Michel Sapin, décrit un homme à la fois « dur » et « délicieux ».

Comment décririez-vous la personnalité de Wolfgang Schäuble ?

« C’est un personnage très paradoxal. Il est extrêmement dur dans ses convictions, dans ses expressions, dans les rapports de force, y compris à l’Eurogroupe. Mais c’est par ailleurs un homme extrêmement compréhensif, prêt à trouver des compromis. Pour un ministre français, c’est un interlocuteur très précieux par son côte francophile et europhile. Il a une connaissance très intime de la vie politique et économique française. Il lisait +Le Monde+ tous les jours. Il lui est même arrivé qu’il m’appelle sur une question d’actualité que je n’avais pas vue sur la France. Il a une forme de tendresse vis-à-vis de la France ».

Comment se comportait-il lors des Eurogroupes (les réunions mensuelles des ministres des Finances de la zone euro ?)

« Schäuble incarne en quelque sorte le sérieux et la brutalité allemande, mais c’est aussi quelqu’un de délicieux. C’est par ailleurs le seul qui pouvait dire: +J’ai connu la crise grecque depuis le début+. La caractéristique qui m’avait le plus frappé, c’est son côté européen, même s’il était de plus en plus critique vis-à-vis de l’UE. Il trouvait la Commission trop politique, la BCE (Banque centrale européenne) trop laxiste. Ca l’avait rendu plus sceptique par rapport à l’intégration européenne, mais pas sur la construction européenne. Certains pensent que son départ peut faciliter les compromis. Ce n’est pas forcément vrai. Les vrais compromis, ceux qui tiennent, sont passés entre gens exigeants ».

Est-il allé trop loin en 2015 quand il a estimé que la Grèce, alors en pleine crise, devait quitter temporairement la zone euro ?

« C’est une erreur majeure, le point sur lequel nous nous sommes le plus vivement affrontés. Il y avait un désaccord total. C’était une erreur à la fois technique et politique. Au final, je ne sais pas s’il l’a fait par conviction, pensant que ça permettrait à la Grèce de se refaire et de revenir dans la zone euro, ou si c’était une tactique. Il y avait un jeu subtil entre lui et la chancelière, y compris sur ce point là, un côte +good cop, bad cop+ (gentil flic, méchant flic) ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire