© Reuters

A qui Cornelius Gurlitt vendait-il ses tableaux pris aux collectionneurs juifs?

Le Vif

1500 oeuvres d’art prises aux Juifs ont été découvertes chez Cornelius Gurlitt, sur lequel la douane a trouvé 9000 euros en liquide. Mais la galerie suisse qui lui aurait acheté des tableaux nie toute implication.

La galerie suisse Kornfeld, mentionnée par l’hebdomadaire Focus qui a révélé dimanche la découverte en 2011 de 1500 oeuvres de grands maîtres, certaines ayant appartenu à des juifs spoliés par les nazis, a pris lundi ses distances avec cette affaire. « Les derniers contacts professionnels et personnels entre la galerie Kornfeld à Berne et Cornelius Gurlitt remontent à 1990 », précise la galerie dans un communiqué.

A cette époque, la galerie avait alors permis à Cornelius Gurlitt, fils du collectionneur Hildebrand Gurlitt, de vendre aux enchères – pour 38.250 francs suisses (29.860 dollars de l’époque, il n’y avait pas encore l’euro) – des travaux sur papier réalisés par différents artistes. Ces travaux vendus avaient été retirés des musées allemands en 1937 par les nazis qui les considéraient comme de l' »art dégénéré », explique la galerie. En 1938, ils avaient été achetés « à bas prix » par le père de Cornelius, Hildebrand Gurlitt, poursuit-elle. Ces oeuvres « provenaient vraisemblablement » de collections saisies par les nazis, rachetées à bas prix par Hildebrand Gurlitt, le père de Cornelius, a admis Kornfeld, tout en soulignant que « leur commerce ne peut être contesté » juridiquement.

Selon Focus, la galerie Kornfeld à Berne était la destination que Cornelius Gurlitt avait donnée aux enquêteurs de la douane qui l’avaient contrôlé en septembre 2010 dans un train Zurich-Munich avec 9000 euros en liquide sur lui, point de départ de toute l’histoire.

La galerie Kornfeld a assuré lundi n’avoir rien à voir avec ce voyage de Cornelius Gurlitt en Suisse.

Un magot difficile à évaluer

Les autorités ont admis travailler depuis des mois sur cette affaire, mais observaient un mutisme presque complet, renvoyant au parquet de la ville bavaroise d’Augsbourg, qui a annoncé une conférence de presse pour mardi. « Je pense que c’est la plus grande découverte de tableaux volés dans le cadre de l’Holocauste depuis des années », a déclaré dans un entretien avec l’AFP Julian Radcliffe, président du Registre des oeuvres d’art perdues, dont le siège est à Londres, même s’il ne semblait pas disposer d’une liste des oeuvres concernées.

Le gouvernement allemand a admis être au courant « depuis plusieurs mois » de la découverte, par la voix de son porte-parole Steffen Seibert. Il a affirmé tout ignorer d’éventuelles demandes de restitution. Focus a estimé que la valeur totale des 1500 dessins, croquis et tableaux retrouvés – certains étant signés Picasso, Matisse ou Chagall – dépasserait le milliard d’euros, mais une experte travaillant sur l’affaire et jointe par l’AFP a jugé impossible toute évaluation. Ces dessins et tableaux, dont la plupart étaient considérés comme perdus à jamais, ont été trouvés au printemps 2011 dans l’appartement munichois de Cornelius Gurlitt, où s’amoncelaient également ordures et boîtes de conserve périmées, parfois depuis près de 30 ans.

Selon les premiers éléments de l’enquête, il vivait depuis des décennies sans existence légale en Allemagne et sans travail. Il subvenait à ses besoins grâce à la vente occasionnelle d’oeuvres amassées dans son appartement à des galeries peu regardantes sur leur origine. Cornelius Gurlitt, un octogénaire manifestement atteint de syllogomanie, trouble obsessionnel qui pousse à une accumulation compulsive d’objets divers, avait été contrôlé en septembre 2010 par les douanes allemandes non loin d’Augsbourg, dans un train reliant la Suisse à l’Allemagne, avec 9.000 euros en liquide dans une enveloppe, selon Focus. Tout cela était parfaitement légal, mais les enquêteurs, intrigués, avaient fini par obtenir quelques mois plus tard l’autorisation de perquisitionner chez lui.

Cornelius avait hérité de la collection de son père, un marchand d’art mort en 1956. Menacé dans un premier temps, notamment parce qu’il avait une grand-mère juive, Hildebrand Gurlitt avait servi le régime hitlérien en écoulant à l’étranger des oeuvres volées ou saisies. Selon Focus, au moins 300 oeuvres avaient par ailleurs été saisies par les nazis au motif qu’elles étaient considérées comme de « l’art dégénéré » et au moins 200 font l’objet de demandes officielles de recherche.

Les autorités allemandes ont maintenu le secret en raison de la tâche immense que représentent l’identification des oeuvres et la recherche des ayants-droit, affirme l’hebdomadaire.
Parmi elles se trouverait ainsi un tableau d’Henri Matisse ayant appartenu au collectionneur juif Paul Rosenberg, forcé d’abandonner sa collection lorsqu’il a fui Paris, et dont l’héritière légitime est la journaliste française Anne Sinclair, écrit Focus.
Le long silence des autorités allemandes était critiqué lundi par des spécialistes.

« Il y a un manque total de transparence et nous espérons qu’ils vont, dans les prochains jours, communiquer, publier une liste et donner un calendrier pour la restitution des oeuvres », a déclaré Anne Webber, fondatrice et directrice de la Commission pour les oeuvres d’art pillées en Europe.

Le président du Conseil central des juifs allemands, Dieter Graumann, a demandé que les recherches soient menées aussi rapidement et complètement que possible, pour que les propriétaire légitimes ou leurs héritiers soient identifiés, dans un entretien à la presse allemande.

Néanmoins, contrairement aux musées, les particuliers ayant hérité légalement d’oeuvres ne sont pas liés par l’Accord de Washington sur la restitution d’oeuvres volées aux juifs. Le parquet d’Augsbourg n’enquête d’ailleurs que sur un soupçon de fraude fiscale.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire