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A Mossoul après l’EI, le mariage est devenu un luxe

Le Vif

A 24 ans, diplôme universitaire en poche, Khouloud tourne en rond dans la maison de ses parents. Comme des milliers d’autres, cette jeune Irakienne de Mossoul, dévastée par trois ans d’occupation jihadiste et de combats, attend toujours son « prince charmant ».

« Je n’ai trouvé ni mari, ni emploi: ma vie se résume aux tâches ménagères », se lamente la jeune femme, voile marron encadrant son visage.

« Ma soeur aînée, qui a 37 ans, a déjà quatre enfants et s’est mariée à 18 ans. Moi, à 24 ans, j’ai peut-être encore une chance de trouver un mari, mais ma soeur de 29 ans, beaucoup moins », poursuit-elle, un sourire triste aux lèvres.

Avant que le groupe Etat islamique (EI) n’en fasse sa « capitale » irakienne, Mossoul, carrefour commercial historique du Moyen-Orient était connue pour ses traditions bien ancrées et son conservatisme. Alors, rares étaient les jeunes filles atteignant la vingtaine sans avoir été mariées ou fiancées.

Aujourd’hui, dans la ville qui se relève de neuf mois de combats meurtriers et destructeurs, une timide reconstruction a bien débuté, mais la tâche est énorme. 21.500 habitations ont été détruites ou largement endommagées, selon les autorités irakiennes.

– Un ou deux salaires? –

L’attente pour les jeunes souhaitant convoler se fait donc de plus en plus longue. Les prétendants ne parviennent pas à réunir assez d’argent pour subvenir aux besoins d’une famille ou même seulement pour payer dot et fête de mariage.

Dans le même temps, les jeunes filles, même diplômées, sont généralement sans emploi et ne peuvent contribuer aux besoins du ménage.

Moumen Abdallah, lui aussi, « rêve de mariage ». Mais à 38 ans, il vit toujours « dans la maison familiale avec sept personnes » et ses maigres revenus de chauffeur de taxi lui permettent à peine de contribuer au loyer.

« Je suis diplômé en économie mais cela ne m’aide pas à réaliser mon rêve », se lamente-t-il, attablé à la terrasse d’un café bondé de jeunes hommes aux grandes espérances souvent déçues.

Face à de telles difficultés économiques, « beaucoup d’hommes préfèrent épouser une femme qui travaille pour contribuer aux dépenses du foyer », explique Manaf Khaled, travailleuse sociale de 32 ans.

Et pour donner un coup de pouce aux jeunes couples, des associations vont même jusqu’à prendre en charge les frais de mariages collectifs.

L’organisation de Hamid Zabar, 45 ans, a ainsi récolté auprès de donateurs de quoi organiser une dizaine d’unions ce jour-là. Dans une salle des fêtes de Mossoul, au milieu de centaines d’invités, il supervise la distribution du repas de fête.

Mohammed Sami, forgeron de 27 ans, est l’un des heureux élus du jour. Il est payé à la journée et boucler les fins de mois relève du calcul quotidien. Pour lui, le coeur est à la fête, même s’il n’a pas pu se payer un costume ni une robe blanche pour sa future épouse.

– Discussions au Parlement –

Pendant les trois années de règne du « califat » auto-proclamé par l’EI, Mossoul a été coupée des autorités centrales à Bagdad. Durant toute cette période, les salaires des fonctionnaires n’ont plus été versés et aujourd’hui encore, certains d’entre eux attendent depuis des mois la fin d’enquêtes de sécurité pour être réintégrés.

« Le chômage et la longue interruption des salaires a empêché de très nombreux jeunes, désireux de fonder une famille, de se marier », explique à l’AFP Achraf Ismaïl, qui travaille dans le domaine de la protection sociale des femmes.

Pour tenter de résoudre ce problème, une députée se bat depuis des mois au Parlement à Bagdad. Jamila al-Obeïdi a proposé une solution inédite. Elle veut, affirme-t-elle, « allouer cinq millions de dinars (soient 4.000 dollars) à chaque homme souhaitant se marier, puis un million (environ 800 dollars) à chaque enfant qui naîtra de cette union ».

Dans sa proposition, pas encore adoptée mais déjà signée par 70 députés, elle ne pose qu’une seule condition: que « la future épouse ait dépassé l’âge habituel du mariage ou divorcée ou veuve de guerre ».

Une telle loi, si elle était votée, pourrait aider Rim. A 38 ans, elle affirme que pour elle, « un époux pourrait ne plus jamais se présenter ». « Jeune, j’ai refusé des prétendants pour finir mes études et voir arriver le prince charmant. Aujourd’hui, les chances de le rencontrer sont minces », se lamente-t-elle.

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