Il veut faire revenir la mer en Serbie. Il a 25 ans, des babouches blanches et un chignon de samouraï. Ecoeuré par la corruption de la classe politique, Luka Maksimovic, un étudiant en communication, s'est présenté à l'élection présidentielle serbe, le 2 avril dernier, "pour rire". Il est arrivéà la troisième place. © Reuters

À la découverte des partis les plus dingues d’Europe

Le Vif

Clown hongrois, punk islandais ou samouraï serbe… Aux électeurs, exaspérés par l’incurie de l’offre politique, ils promettent la lune. Et la décrochent parfois.

A peine sort-il d’une formation accélérée à la carrière de politicien. Au programme :  » L’art de la langue de bois « ,  » La corruption en dix leçons « ,  » Ouvrir un compte off-shore pour les nuls « . Grand gaillard pince-sans-rire aux yeux cernés, Imre Toth appartient au Parti hongrois le Chien à deux queues, un mouvement satirique qui mène la vie dure au Premier ministre, Viktor Orban. Le 23 avril dernier, il s’est présenté aux élections de Zuglo, un arrondissement de Budapest. Il y a récolté 7 % des suffrages, davantage que le Parti des travailleurs et que les écologistes.

Créée en 2006, en pleine bataille législative, cette formation politique n’est alors qu’une blague de potaches. Agacés par les promesses sirupeuses des candidats, mais aussi par la crédulité de leurs concitoyens, de jeunes graphistes de Szeged, ville du sud du pays, organisent une fausse campagne électorale. Sur des affiches, placardées dans toutes les rues, ils offrent aux habitants la vie éternelle, la bière à volonté et deux couchers de soleil par jour.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Gergely Kovacs, le chef de file du mouvement, décide d’aller plus loin. Ulcéré par la dérive autoritaire d’Orban, ce grand échalas aux yeux rieurs se lance en politique. En 2014, son Chien à deux queues devient un  » vrai  » parti.  » En Hongrie, l’opposition est faible, voire inexistante, déplore-t-il. Nous voulons offrir une vraie alternative au Fidesz, le parti nationaliste d’Orban.  » Lorsque le Premier ministre hongrois fait les yeux doux à Vladimir Poutine, le Chien à deux queues suggère d’abandonner la monnaie nationale et d’adopter le rouble. En 2015, il tourne en dérision la campagne anti-immigrés lancée par le gouvernement. Le 22 avril dernier, le mouvement satirique, qui compte plus de 250 000 followers sur les réseaux sociaux, a rassemblé plusieurs milliers de manifestants dans le centre de Budapest pour protester contre des mesures de rétorsion prises par le gouvernement à l’encontre des ONG et des universités étrangères. Aujourd’hui, le turbulent canidé se prépare à la prochaine échéance : les élections législatives de 2018.

La dérision pour protester contre l’incurie du monde politique ? L’idée fait du bien dans une Europe affaiblie, de plus en plus soumise aux poussées nationalistes et populistes. D’Anvers à Zagreb, partis extrémistes et  » loufoques  » prospèrent d’ailleurs dans le même terreau : une vive défiance envers les forces politiques  » conventionnelles « , accusées d’immobilisme, de promesses intenables (et non tenues), de gaspillage d’argent public, d’incompétence et même de corruption…

Les pionniers Pirates

S’il fallait trouver une origine à cette vague contestataire, ce serait la Suède. Revendiquant un Internet libre et une meilleure protection de la vie privée, le Parti pirate connaît son heure de gloire en 2009, lorsqu’il fait élire deux députés aux élections européennes. Le mouvement s’étend. En 2012, les Piraten allemands décrochent plusieurs sièges aux élections régionales (Sarre, Schleswig-Holstein et Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Le mouvement libertaire aborde ensuite les côtes islandaises. En octobre 2016, sa version locale obtient 14,5 % aux élections législatives.

L’île viking est propice aux abordages. En 2010, déjà, un ancien bassiste de punk, Jon Gnarr, avait conquis la mairie de Reykjavik en promettant, notamment, la distribution de serviettes gratuites dans les piscines municipales.  » Plutôt que de se tourner vers l’extrême droite, les électeurs se laissent séduire par ces partis humoristiques, qui, en jouant sur l’absurde et la parodie, soulignent les faiblesses de l’establishment politique, observe Florian Bieber, professeur à l’université de Graz, en Autriche. De tels exemples existent un peu partout sur le Vieux Continent, y compris au Royaume-Uni, mais c’est surtout dans les pays d’Europe centrale, soumis à des régimes autocratiques, que cet « anti-système » connaît le plus grand succès. C’est le cas de la Hongrie et de la Serbie.  »

La dérision traduit une forme de désespérance. Ces partis satiriques en sont l’émanation

Dégaine à la Borat, costume blanc et chignon de samouraï, Ljubisa Preletacevic ( » Celui qui change de camp comme de chemise « , une allusion à la politique serbe) est  » le plus beau  » des hommes politiques. C’est du moins ce qu’il prétend. Le 2 avril dernier, cet étudiant en communication de 25 ans, qui s’appelle en réalité Luka Maksimovic, a fini troisième à l’élection présidentielle, avec 9,3 % des suffrages. Le programme de ce clown serbe ne manquait pas de panache :  » Quelles que soient les promesses que vous ont faites les autres candidats, je vous en donnerai trois fois plus !  » ;  » Je vais faire venir la mer jusqu’en Serbie, parce que le peuple serbe a besoin d’une plage !  » Ou encore :  » Je vais mettre fin à la corruption, sauf à mon profit. Donnez-moi directement l’argent !  » Déjà, en 2016, son jeune parti, Sarmu probo nisi ( » Vous n’avez pas goûté au chou farci « ), avait réalisé un joli score (20 %) aux élections locales de Mladenovac, sa ville natale. Mais l’exploit du 2 avril lui donne une nouvelle dimension.  » Je suis très surpris par ce succès, reconnaît-il. Cette campagne n’était qu’une vaste rigolade. Mon score montre à quel point le malaise est profond dans le pays. Plus de 300 000 Serbes ont voté pour un personnage fictif…  »

Rire et désespoir

Mais, lorsque 1 actif sur 5 est au chômage et que la corruption est endémique, que reste-t-il, sinon l’humour ?  » Quand un peuple ne croit plus à la capacité du système politique à produire du bien commun, la dérision traduit une forme de désespérance, commente Christian Lequesne, professeur à Sciences Po Paris. Ces partis satiriques en sont l’émanation. Malheureusement, ils s’éteignent souvent par manque de cohésion ou en raison de fortes contradictions internes. En Italie, le Mouvement 5 étoiles, fondé par Beppe Grillo, connaît ce problème.  » L’ancien acteur comique est entré en politique de façon burlesque, lui aussi. Mais ses pitreries et sa tignasse ébouriffée ne font plus rire grand monde en Italie. Deuxième formation politique du pays derrière le Parti démocrate, le Mouvement 5 étoiles pourrait-il emporter les prochaines élections législatives, prévues au début de 2018 ? C’est possible, tant les Italiens sont lassés de l’inconstance et des rodomontades de leurs leaders traditionnels. Mais Beppe Grillo doit maintenant prouver qu’il peut passer de l’exercice de style à celui du pouvoir. Féru de démocratie participative, à l’instar des  » pirates  » suédois, le Génois au verbe acide n’en reste pas moins très flou sur certains sujets de fond, notamment sa position à l’égard de l’Europe.  » Ces partis atypiques ont tous la même faiblesse, remarque Florian Bieber. Ils perdent souvent du terrain lorsqu’ils doivent prendre des positions tranchées. C’est le cas du Mouvement 5 étoiles. L’exemple serbe est différent. Luka Maksimovic est un clown, mais il dispose d’une équipe très professionnelle. Il peut offrir une réelle alternative politique.  » Oui, mais laquelle ? A la question de savoir quelle serait sa première mesure, s’il était, un jour, élu président, le samouraï serbe a répondu au Vif/L’Express :  » Je ne laisserai pas le Kosovo échapper à la Serbie.  » Sans doute de l’humour au second degré…

Par Charles Haquet.

Il offre la vie éternelle aux Hongrois

À la découverte des partis les plus dingues d'Europe
© Polaris

Son mouvement, le Chien à deux queues, n’était, à l’origine, qu’une blague de potaches. Ulcéré par la politique xénophobe du Premier ministre hongrois, Gergely Kovacs mène des campagnes humoristiques contre le pouvoir. Très actif sur les réseaux sociaux, il compte plus de 250 000 followers. « Aujourd’hui, confie-t-il, on nous prend au sérieux. » Un comble.

Beppe Grillo – Il est hors de contrôle

À la découverte des partis les plus dingues d'Europe
© REUTERS

Ancien acteur comique, Beppe Grillo aime tourner ses adversaires en dérision en les traitant de « nain psychopathe » ou de « sac à m… », et son slogan « Vaffanculo ! » (Va te faire foutre !) est devenu célèbre. Mais, aujourd’hui, le leader du Mouvement 5 étoiles ne fait plus rire grand monde.

Suède – Sur Internet, ils hissent le pavillon noir

Depuis la création, en Suède, en 2006, du Parti pirate, ses membres veulent saborder les systèmes partisans et partir à l’assaut des institutions pour imposer leur doxa : promotion d’un Internet libre, défense de la vie privée et liberté d’opinion. C’est en Allemagne qu’ils ont remporté leur dernier succès électoral.

Dark Vador contre Theresa May

La Première ministre britannique et l'énigmatique Lord Buckethead, son rival aux élections générales à Maidenhead, le 7 juin.
La Première ministre britannique et l’énigmatique Lord Buckethead, son rival aux élections générales à Maidenhead, le 7 juin.© Alastair Grant/AP/SIPA

Européens, méfiez-vous ! La perfide Albion ne veut pas seulement quitter l’Union européenne, elle veut également mettre la main sur la Bretagne. C’est, du moins, ce qu’affirme l’Official Monster Raving Loony Party (le Parti officiel foldingue et monstrueux). Depuis 1983, cette bande de Britanniques déjantés, qui n’ont rien à envier aux Monty Python, sème la pagaille outre-Manche. Comptant plus de 1 300 adhérents, ces politiciens clowns qui enchaînent les bides électoraux n’en dénoncent pas moins l’incurie du monde économico-politique. Lors des élections générales du 8 juin, ils ont notamment proposé de « complexifier le système d’imposition », afin d’empêcher les multinationales de trouver des niches fiscales. Leur activisme forcené a fait des émules. Guerrier solitaire, coiffé d’un seau noir, Lord Buckethead est venu des confins galactiques pour affronter Theresa May sur ses terres de Maidenhead, dans le comté du Berkshire. Pas moins de 49 électeurs ont donné leur voix à ce Dark Vador dégingandé, dont personne ne connaît l’identité, le visage… ou le programme. Tout juste sait-on qu’il voudrait mettre fin aux ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Faut-il venir de la planète Mars pour avoir des idées pareilles…

Islande – Il a voulu se débarrasser des pères Noël

C’est en proposant cette mesure, pour faire des économies, que Jon Gnarr s’est fait élire maire de Reykjavik, en 2010. Il promettait aussi d’éradiquer la drogue dans le Parlement. Fantasque, cet ancien punk a fait rire les Islandais, assommés par la crise financière de 2008. Son bilan de maire à la fin de son mandat, en 2014, n’en est pas moins excellent : la gestion de la ville est assainie et la fréquentation touristique a bondi de 20 %.

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