David Engels

« A force d’attiser les questions identitaires, les petits foyers provoqueront de grands incendies »

David Engels Historien.

Depuis quelques jours, l’Allemagne est de nouveau secouée par un scandale identitaire, et ce alors que le pays est tiraillé entre une énième coalition des  » perdants  » menée par la chancelière Merkel et des partis populistes de plus en plus vigoureux. De quoi s’agit-il cette fois-ci ?

Le fabricant de confiserie Katjes vient de mettre en scène, pour promouvoir sa nouvelle gamme de sucreries végétariennes (et donc sans gélatine porcine), une femme toute vêtue de rose portant le hijab musulman et avouant, avec un sourire aguicheur, qu’elle aussi aime bien grignoter. Ce qui pourrait sembler un fait purement anodin – quoi de mal à ce qu’une entreprise commerciale tente d’atteindre un nouveau public ? – l’est beaucoup moins si l’on regarde d’un peu plus près le contexte, et c’est justement à ce niveau qu’une lecture renouvelée de Michel Houellebecq peut s’avérer plus qu’éclairant.

Postulant que l’économie du marché avait gagné le terrain des liens émotionnels et des activités sexuelles, l’auteur a dressé, depuis Extension du domaine de la lutte, un tableau sans merci de la dégénérescence des relations entre les sexes, de l’atomisation des individus et de la résurgence des extrêmes. Or, avec l’extension de la publicité aux communautés religieuses, un nouveau pas, peut-être décisif, vers la mercantilisation des relations humaines vient d’être franchi. Tout d’abord, qu’un marchand de bonbons connu pour l’usage qu’il fait de déchets animaliers lance une gamme spécifiquement halal pour remplir ses caisses est déjà assez utilitariste, pour ne pas dire hypocrite. Mais utiliser une femme voilée et habillée en rose afin de cibler l’ensemble de la communauté musulmane (l’umma) outre-Rhin relève déjà d’un niveau supérieur dans l’usage des stéréotypes : réduire l’umma allemande au voile (alors que, partout dans le monde musulman, les femmes se trouvent persécutées pour vouloir librement disposer de leur corps), et la femme à la couleur rose et au grignotage de sucreries bafoue allègrement l’ensemble des acquis de l’émancipation religieuse et sexuelle.

Mais le pire dans l’histoire : l’actrice en question, Vicenca Petrovic, d’origine serbe, a derrière elle une carrière fulgurante de mannequinat en petites tenues et se trouve dans l’interdiction contractuelle de se prononcer sur son appartenance religieuse, laissant peu de place au doute quant à sa crédibilité de musulmane exemplaire. Dès lors, la publicité de Katjes véhicule non seulement des stéréotypes sexuels et religieux pour le moins douteux, mais se sert en plus d’un personnage à l’opposé des codes de conduite visée, et ce à une époque où les personnes de couleur blanche voulant s’habiller selon les normes d’autres cultures se font régulièrement accuser de  » blackfacing  » et donc, de racisme. Décidément,  » l’extension du domaine de la lutte  » a atteint un nouveau stade inouï, et il ne faudra pas s’étonner qu’un jour, à force de verser de l’huile sur le feu des questions identitaires, les petits foyers provoquent de grands incendies…

Extension du domaine de la lutte, par Michel Houellebecq, éd. Maurice Nadeau, 1994, 180 p.

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