" De faux intellectuels, de faux blogueurs, de faux philosophes et de faux économistes répandent de fausses informations sur les ONG qui sauvent des migrants en Méditerranée. " Ici, à bord de l'Aquarius, en septembre 2017. © T. Gentile/Reuters

« Salvini veut détruire l’Europe »

Le Vif

L’écrivain antimafia Roberto Saviano accuse le ministre italien de l’Intérieur d’instrumentaliser le dossier des migrants. Le bras de fer entre les deux hommes se réglera devant les tribunaux.

Finie la guerre des tweets. Le prochain duel des deux hommes aura lieu au tribunal. Le 20 juillet dernier, Matteo Salvini a porté plainte pour diffamation contre Roberto Saviano, l’écrivain et journaliste antimafia. La raison ? Ses critiques virulentes contre la politique migratoire menée par le ministre de l’Intérieur, que Saviano n’hésite pas à appeler  » il ministro della malavita « , le ministre de la pègre. En attendant un éventuel procès, Matteo Salvini a menacé de supprimer la protection policière dont l’auteur de Gomorra bénéficie depuis 2006.  » Tu crois que tu me fais peur ? Bouffon ! « , a réagi Roberto Saviano, avant d’appeler les Italiens, fin juillet, à  » rompre le silence contre le mensonge « . Il s’explique dans Le Vif/L’Express.

Salvini sera invité à dire la vérité devant les tribunaux, ce qui sera une expérience nouvelle pour lui

Suppression de votre escorte, attaque en diffamation… Gênez-vous Salvini ?

Qu’un ministre de l’Intérieur veuille supprimer la protection policière d’un écrivain, qui enquête sur la criminalité organisée et veut simplement exercer son droit de critique, est préoccupant, d’autant qu’il a porté plainte sur du papier à en-tête du ministère, c’est-à-dire qu’il implique le gouvernement dans son action judiciaire et qu’il n’agit pas à titre personnel. Mais je suis prêt, car je m’y attendais. Je demanderai à être interrogé et Salvini sera invité à dire la vérité devant les tribunaux, ce qui sera une expérience nouvelle pour lui.

Comment analysez-vous son succès politique ?

Pour l'auteur de Gomorra, Salvini fait preuve d'une
Pour l’auteur de Gomorra, Salvini fait preuve d’une  » inconscience totale  » à l’égard du crime organisé.© L. CENDAMO/LEEMAGE/AFP

La Ligue de Salvini ainsi que le Mouvement 5 étoiles ont fait campagne en s’appuyant sur le mécontentement. Ils n’offrent pas de solutions, mais proposent des boucs émissaires. Leur rhétorique est dangereuse. Elle perd complètement de vue la réalité et la tourne en dérision. Il suffit de voir comment ce gouvernement a traité le président de l’Institut national de prévoyance sociale ( NDLR : l’équivalent de la sécurité sociale belge), Tito Boeri, parce qu’il avait osé donner des estimations négatives sur les réformes du travail ! Toute déclaration critique provoque des réactions haineuses sur les réseaux sociaux. De faux intellectuels, de faux blogueurs, de faux philosophes et de faux économistes propagent des fake news. Ils sont payés pour répondre aux objections et créer une narration contraire, simple à comprendre. Ils répandent par exemple de fausses informations sur les ONG qui sauvent des migrants en Méditerranée, affirmant qu’elles sont financées par le philanthrope américain d’origine hongroise, George Soros. C’est une simple propagande, basée sur la haine.

Sujet majeur, la « politique migratoire » n’en occulte pas moins tout le reste…

En effet. Il distrait l’opinion publique, qui, du coup,  » oublie  » de se demander où sont passés les 49 millions d’euros de financement public volés par la Ligue à l’Etat Italien.

Les comptes courants de la Ligue ont été saisis, mais l’argent n’a pas été retrouvé…

L’ex-trésorier de la Ligue, Francesco Belsito, est accusé d’avoir eu des rapports avec des hommes proches de la mafia calabraise, la Ndrangheta, et d’avoir, par leur entremise, effectué des investissements à l’étranger pour le compte de la Ligue. Matteo Salvini fait preuve, à l’égard de la mafia, d’une inconscience totale. Le 17 mars, il s’est rendu à Rosarno, petite localité de Calabre, dont il est devenu sénateur, après les élections du 4 mars. Il y a tenu un discours. Au premier rang, dans l’assemblée, étaient assis des membres de la famille mafieuse des Bellocco et d’autres, apparentés aux Pesce, une autre famille de la Ndrangheta. Qu’a fait Salvini ? Il a dit :  » Savez-vous pourquoi cette ville est connue ? Parce que l’on y trouve une « baraccopoli » (bidonville).  » Pour le ministre de l’Intérieur, le problème de Rosarno n’est pas la Ndrangheta, mais les baraques des immigrés…

Depuis son entrée au gouvernement, Salvini est partout, il s’exprime sur tous les sujets. Que cherche-t-il ?

Les élections européennes ont lieu l’an prochain. L’objectif de Salvini est de détruire l’Europe, telle que nous la connaissons. Il veut la prendre en tenaille, à partir du sud, et avec Poutine, à l’est, comme allié principal.

Comment jugez-vous l’attitude de la France, et plus particulièrement d’Emmanuel Macron, dans la crise des migrants ?

Ce qui se passe à la frontière entre la France et l’Italie est à vomir, autant que le comportement de Salvini en Méditerranée. La France criminalise l’accueil des migrants et la solidarité, comme le fait l’Italie. L’affaire Benoît Ducos est exemplaire. Le guide alpin a été convoqué par la police après avoir secouru une migrante enceinte. Ce cas nous montre ce qui arrive lorsque des gouvernements, pour combattre les extrémistes de droite, finissent par les dépasser sur leur propre terrain.

Par Charles Haquet.

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