Un guide attend des touristes le long de la Climate Change Route, à Huaraz. © reuters

Un Péruvien s’attaque au plus gros pollueur d’Europe

Stagiaire Le Vif

Parce que son village est directement menacé par la fonte des Glaciers des Andes, Saúl Luciano Lliuya a décidé d’appeler à l’aide l’entreprise la plus polluante d’Europe : RWE. Il lui réclame des dédommagements.

Le petit village de Huaraz, où vit Saúl Luciano Lliuya, est situé au coeur de la cordillère des Andes. Juste en dessous du lac Palcacocha, alimenté par les Glaciers des Andes. Un cadre en apparence idyllique, si ce n’est qu’il est constamment menacé par le dérèglement climatique. Les montagnes fondent à vue d’oeil, mettant en danger les habitations en contrebas. Selon un rapport publié dans la revue Climatic Change, le volume du lac Palcacocha aurait été multiplié par trente en seulement quatre décennies. Une équipe avait été embauchée pour donner l’alerte en cas d’effondrement d’un bloc de glace, mais, faute de moyens, elle a déserté depuis quelques mois. Pourtant, les risques sont bien réels. En 1941, 5000 habitants étaient tués dans le village après un tel événement. Une époque où la situation était pourtant bien moins préoccupante. Pour protéger sa maison et celles de ses 55 000 voisins, Saúl Luciano Lliuya a lancé un appel à l’aide à l’entreprise allemande RWE.

Le village de Huaraz, au pied des glaciers, est directement menacé par le réchauffement climatique.
Le village de Huaraz, au pied des glaciers, est directement menacé par le réchauffement climatique.© Wikipédia

Un cas « exemplaire »

C’est à l’occasion de la conférence sur le climat de Lima, en décembre dernier, que le guide de montagne a sonné l’alarme. Dans son village, il a invité Christophe Bals, le responsable politique de Germanwatch, une ONG allemande. Ce dernier ne peut que constater l’étendue du problème. Sensible à la détresse de Saúl Luciano Lliuya, l’ONG met l’homme en relation avec une avocate. Roda Verheyen est allemande, et elle n’a jamais défendu de tels cas avant. « C’est un cas inédit, mais aussi absolument exemplaire dans l’histoire du droit européen », explique-t-elle à We Demain.

Saúl Luciano Lliuya a besoin d’une aide financière pour installer des protections, comme des barrages, autour de sa petite ville. Comme l’État et la commune n’ont pas assez de moyens, il s’est tourné vers ceux qu’il estime responsables de son malheur : les entreprises les plus polluantes. C’est à l’aune de la lecture d’un rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) qu’il a établi ce lien. Le Péruvien a finalement sélectionné RWE. Selon une enquête menée par le Carbon Disclosure Project en 2013, elle serait l’entreprise européenne la plus polluante. Saúl Luciano Lliuya lui demande de prendre les mesures nécessaires pour que Huaraz ne finisse pas sous les eaux. Et ce, à hauteur de 0,47 % du montant total des travaux, qui s’élèvent à 3,5 millions d’euros. Un pourcentage qui se veut proportionnel au rôle de la firme joué dans la pollution : entre le début de l’industrialisation et aujourd’hui, RWE serait responsable de 0,5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

A Huaraz, des touristes viennent découvrir l'étendue des dégâts à dos de cheval.
A Huaraz, des touristes viennent découvrir l’étendue des dégâts à dos de cheval.© reuters

Un mois pour se décider

« On cherche à appliquer la même logique que pour un litige de voisinage, c’est-à-dire que chacun est responsable de sa propriété uniquement, sauf si elle a des conséquences sur celle de son voisin », a expliqué à We Demain Roda Verheyen. L’avocate a fait parvenir au géant de l’énergie une lettre. Le Business and Human Rights Center a sommé l’entreprise allemande d’y répondre. « Nous avons bien reçu la lettre de l’avocat de monsieur Saúl Luciano Lliuya« , a déclaré en retour RWE. « Nous avons, comme nous le faisons pour toute demande écrite, commencé à l’examiner. Nous donnerons notre position à une date ultérieure« . La firme a jusqu’au 21 avril pour se décider. Passé ce délai, c’est devant les tribunaux allemands que se réglera l’affaire.

Le Code Civil du pays, et notamment sa loi fédérale relative aux émissions de gaz à effet de serre, pourrait jouer en faveur du Péruvien. Mais encore faut-il que la Cour accepte qu’elle soit appliquée dans un cadre international… La proximité de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, qui aura lieu dans quelques mois, pourrait aussi peser dans la balance.

Perrine Signoret

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