Lawrence Watson

Un exemple de développement durable….qui dure!

Lawrence Watson Membre du Conseil consultatif de La Fondation Mae Fah Luang, Thaïlande.   

Lors de sa récente assemblée générale, l’ONU a fait le point sur le progrès qu’a fait le monde par rapport aux « OMD » (objectifs du Millénaire pour le développement) ; qu’elle s’était fixés il y a 15 ans. Lors de débats relatifs à ces objectifs pour les prochaines 15 ans, nous avons souvent entendus le mot « durable ».

Depuis quelques années, ce terme est évoqué de plus en plus souvent dans des rapports émis par les spécialistes de développement. Ce phénomène semble démontrer une attente accrue pour des projets capables de présenter non seulement des résultats tangibles pour la communauté, mais aussi la recherche d’une dynamique de fonctionnement qui va assurer une amélioration permanente de l’économie locale.

La Thaïlande est un exemple vivant en la matière. Depuis 15 ans, j’ai eu l’occasion d’observer une fondation royale thaïe qui atteint et même dépasse de tels résultats. La fondation MFL, créée par la reine-mère (et portant son petit-nom de « Mae Fah Luang »), a mis en oeuvre un processus de développement qui a commencé par la régénération de la forêt.

Un exemple de développement durable....qui dure!
© DR
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Ensuite, elle a mise en place non seulement la réalisation d’un nombre impressionnant d’objectifs chiffrables, mais aussi la création d’une série d' »entreprises sociales » dynamiques qui génèrent aujourd’hui des profits non négligeables. Ces profits sont, à leur tour, utilisés dans le développement de la communauté.

Dans le contexte du développement, que signifie exactement le mot « durable » ? Pour moi, rien que le mot « développement » suggère un voyage « dynamique », partant d’une situation inacceptable (pauvreté, absence de soins de santé, ou d’un système d’éducation appropriée…) pour arriver enfin à une situation où les dettes sont remboursées, et où les revenus de la famille permettent une vie « correcte » et où des économies sont générées afin de faire face aux accidents de la vie (mauvaises récoltes, inondations, ……). Par ailleurs, la richesse de la communauté ne cesse d’augmenter au fil des ans – d’où le concept d’un « voyage de développement dynamique ». Prises dans leur ensemble, ces étapes décrivent un processus de développement durable.

Un tel processus, soutenu par une amélioration de la qualité des soins de santé et l’accès à la scolarité, permettra progressivement la création de multiples activités économiques qui, au fil du temps, vont créer plus de la valeur ajoutée, faisant appel à des jobs plus complexes et mieux rémunérés (exigeant donc des systèmes d’éducation plus performants).

Autrement dit, un tel processus permettra un jour à la communauté de jouer son rôle dans la vie économique du pays, voire même, d’un jour payer des impôts.

Les Thaïlandais l’ont bien compris. Travaillant depuis 1988 avec les communautés de montagnards dans le « Triangle d’Or », ils ont réussi à remplacer la culture du pavot (matière première pour l’opium) par des produits alternatifs offrant des chaînes de valeur supérieures. Des initiatives telles que le projet de développement Doi Tung (créé par la fondation MFL) ont d’abord permis de reboiser les montagnes. Au fil des ans la forêt a été divisée comme suit :

• en haut, une nouvelle « forêt vierge » ;

• plus bas, ce qu’ils appellent « la forêt comestible » avec des plantes faciles à cultiver comme les bananes et le bambou – couvrant les besoins du village et/ou destinés à la revente.

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• plus bas encore, les vraies « forêts économiques » (café, noix de macadamia …) où les produits sont cultivés de façon professionnelle et destinés à la vente.

• finalement, près du village, les potagers fournissent plus de produits classiques (fruits et légumes) destinés à la consommation et à la vente.

En quoi cette nouvelle approche diffère-t-elle ? Trois points sont importants :

1. Le temps nécessaire

2. l’implication de la communauté dans toutes les étapes

3. la focalisation des activités économiques sur celles qui offrent des meilleures possibilités de valeur ajoutée tout le long du « voyage de développement ».

1. Le développement prend du temps. Des projets rapides – un « coup » de 2 ans, peut – bien sûr – avoir un certain impact ‘temporaire’ mais ne représente que la première étape de 2 kms d’un marathon de 40 ! Il s’agit peut-être d’un projet d’infrastructure (ex : une école) mais pour être durable, il faut que les salaires des professeurs soient assurer pour les années à venir !!

2. L’implication et l’intégration réelle de la communauté au processus de développement sont vitales – et tellement différentes de ce que l’on voit trop souvent. Car l’histoire nous montre combien de projets et de « solutions » sont imposés – typiquement par des organisations bien intentionnées mais souvent étrangères. L’approche thaïe s’assure que les problèmes, solutions et planning sont établis avec la communauté locale. De ce fait, celle-ci a le sentiment de faire partie de la solution plutôt que du problème.

A Doi Tung, les différentes étapes que j’ai pu observer n’ont pas été le fruit de la réflexion d’agronomes à Bangkok (bien qu’ils aient apporté leur aide). Elles ont été développées avec la communauté lors de dizaines de réunions villageoises organisées par la Fondation. Les problèmes ont été mis en évidence, les données socio-économiques collectées (fournissant une ligne de base pour mesurer les progrès) et « la sagesse locale » identifiée (les connaissances que la communauté pourrait apporter au projet). La Fondation a suivi la même approche consultative en Myanmar/Birmanie ou encore avec ses projets en Afghanistan

3. L’identification d’opportunités permettant de créer une valeur ajoutée supplémentaire (et la recherche du profit) est également essentielle, afin de s’assurer qu’un projet deviendra, un jour, durable. La méfiance de beaucoup d’agences de développement au concept de bénéfices (et du commerce en général) se traduit souvent dans un processus de développement qui est, à terme, non durable.

Une absence de préoccupation du côté lucratif ne peut qu’engendrer une dépendance et combien de projets (voire combien de pays) sont devenus dépendants de l’aide de pays donateurs. S’il n’y pas (à terme) des profits et des excédents disponibles pour financer d’autres projets de développement, la communauté restera pauvre et les projets ne deviendront jamais durables.

Le café à Doi Tung est un excellent exemple. Dans un premier temps, la communauté a appris comment faire pousser un produit de meilleure qualité – tout comme des milliers de projets de café similaires de par le monde (ex : le commerce équitable). Mais la plupart de ces producteurs restent au bas de la pyramide, même si les producteurs « équitables » touchent une prime. Pour les autres, le prix de base est celui qui est dicté par la bourse de Chicago sur laquelle le producteur n’a aucun contrôle. (Le prix mondial est aux alentours de $3.50/kg).

Dans un premier temps, Doi Tung a vendu son café à des torréfacteurs à ce prix du marché. Mais dès que les agriculteurs ont maîtrisé la culture, la récolte et la qualité, la Fondation a créé une usine de torréfaction, formant des opérateurs à de nouveaux métiers afin de produire un excellent café moulu. Cette étape a permis à l’usine à vendre son café torréfié en vrac à d’autres acheteurs en aval (hôtels et compagnies aériennes par exemple) et a permis de multiplier le prix par trois – pour atteindre $11/kg !

L’étape suivante a été de développer la marque « Doi Tung » s’adressant aux consommateurs thaïlandais. Grâce au conditionnement dans des emballages sous vide fort attrayants et un marketing professionnel, le prix au détail dans les supermarchés locaux a atteint les $34 / kg !

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Finalement, Doi Tung a mis en place un réseau de 17 magasins de café (les « coffee-shops »). La vente de café dans une tasse est extrêmement rentable (en effet, il faut 7 grammes pour faire un café – donc 142 expressos/kg). Sur base du prix pratiqué en Thaïlande, nous obtenons des revenues d’environ $115 /kg (par rapport à environ $450 aux prix pratiqués en Belgique !).

Voilà un bel exemple illustrant la nécessité de bien choisir son produit, prévoir les différentes étapes afin de générer non seulement un revenu attractif et profitable, mais aussi de créer des jobs pour la communauté.

C’est pour toutes ces raisons que la Fondation a reçu la reconnaissance internationale tant convoitée – « The Social Entrepreneur of the Year » de la Fondation Schwab en 2009.

Cette approche générale, même au sein d’une entreprise sociale, a eu pour conséquence qu’aucune subvention gouvernementale n’a été nécessaire depuis 2002. Le revenu par

habitant à Doi Tung a augmenté plus de 20 fois en 25 ans – (de $108/PA en 1988 à $2.170 aujourd’hui) – bien au-dessus de la moyenne provinciale. La communauté a payé ses dettes, a investi dans l’amélioration du logement et des moyens de transport et a été en mesure d’envoyer ses meilleurs élèves à l’université.

Mais une telle approche, est-elle « transposable/exportable » ? C’est une question valable. Un projet royal bénéficie implicitement de soutien de la population locale qui reconnaît et apprécie l’implication du roi et de sa deuxième fille – la Princesse Sirindhorn – dans le développement rural depuis de nombreuses années.

Mais cette philosophie de développement a été transportée au-delà des frontières – au Myanmar (Birmanie) depuis 2002 – et même en Afghanistan depuis 2003, là où « la sagesse locale » a montré la nécessité d’un projet d’élevage de moutons, accompagné d’un programme vétérinaire. Un tel projet a remplacé la culture de l’opium et commence à créer une économie rentable. La régénération économique qui en résulte a largement contribué depuis 2007 à faire de Balkh l’une des rares provinces sans opium, générant de nouveaux flux de revenus provenant d’une industrie du mouton (viande, cuir, laine, tissage …).

Grâce à cette expérience sur le terrain, la Fondation a été un acteur clé dans la définition des « Principes Directeurs » du développement alternatif pour les Nations Unies, en mettant à la disposition du monde cette expérience de 40 ans. Car malgré le travail accompli dans de nombreuses parties du monde, le défi reste énorme ; l’argent doit être utilisé là où les chances de résultats cohérents et durables sont élevées. Cet article a tenté de décrire un processus de développement centré sur la communauté, basé sur des exemples de la vie réelle en Thaïlande – validées en Afghanistan, au Myanmar et en Indonésie – afin que les communautés pauvres puissent développer leurs propres compétences et d’éliminer progressivement la pauvreté et ses conséquences – une belle définition de la durabilité !

www.maefahluang.org

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