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Quand la protection de l’environnement chasse les autochtones

Le Vif

D’importantes associations environnementales violent les droits des peuples autochtones en soutenant des projets qui les chassent de leurs domiciles ancestraux au nom de la protection de la nature, dénonce un rapport de l’ONU.

Assassinats, expropriations ou utilisation de terres sans le consentement des populations qui y vivent sont quelques-unes des pratiques recensées par l’experte des Nations unies Victoria Tauli-Corpuz. Des millions d’indigènes sont victimes de ces abus en Afrique, en Asie et en Amérique latine, selon la rapporteuse.

« Des projets soutenus par de grandes organisations de protection de l’environnement continuent à déplacer des populations locales de leurs habitations ancestrales », a affirmé Mme Tauli-Corpuz en début de semaine à Honolulu devant le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la plus grande réunion des défenseurs de l’environnement.

La spécialiste ne cite aucun nom dans son rapport mais a confié à l’AFP que parmi les associations visées figuraient le World Wide Fund (Fonds mondial pour la nature), la Wildlife Conservation Society (Société pour la conservation de la vie sauvage) et Conservation International.

Ces associations « devraient être tenues responsables de ce qui se passe », a-t-elle affirmé à l’AFP en marge du congrès, qui réunit quelque 9.000 défenseurs de l’environnement et chefs d’Etat à Hawaï pendant 10 jours.

Des tigres ou des hommes

L’an dernier, Mme Tauli-Corpuz a voyagé au Honduras, au Brésil et a rencontré les populations Samis (laponnes) dans les régions arctiques de Finlande, Norvège et Suède.

Au Honduras, elle a rencontré la militante des populations Lenca, Berta Caceres, quatre mois avant qu’elle ne soit assassinée en mars « pour s’être opposée au projet de barrage Agua Zarca et ce en dépit de mesures de protections allouées par la commission inter-américaine des droits de l’homme », explique le rapport.

Au Brésil, Mme Tauli-Corpuz s’est inquiétée de la poursuite des « assassinats et des expulsions violentes des populations Guarani-Kaiowa à Mato Grosso ».

Une des principales menaces qui pèsent sur les droits des populations Samis est « le renforcement de l’extraction minière et le développement des énergies renouvelables », a ajouté le rapport.

Selon l’ONG Rights and Resources Initiative, qui défend les droits des peuples autochtones, d’autres violations subsistent comme l’expulsion de populations locales dans la réserve de tigres du parc de Kanha, en Inde, même s’il a été prouvé que tigres et humains pouvaient vivre ensemble dans la même région.

La région de Chure au Népal a été déclarée zone protégée en 2014 sans que les responsables des communautés autochtones, qui représentent 5 millions d’habitants, aient été consultés.

Or les populations autochtones « sont mieux équipées pour protéger les forêts les plus menacées au monde et elles l’ont fait pendant des décennies », fait valoir le coordinateur de RRI, Andy White.

Obstacles ou partenaires

« Cependant beaucoup d’organisations de protection de l’environnement et de gouvernements les considèrent encore comme des obstacles plutôt que comme des partenaires ».

Les territoires de ces populations sont de plus en plus intégrés dans des « zones protégées », qui ont presque doublé ces vingt dernières années, passant de 9 millions de kilomètres carrés en 1980 à 16 millions en 2000.

Ces terres sont particulièrement précieuses car elles représentent un quart de la surface des terres mais 80% de la biodiversité de la planète.

Elles finissent souvent par appartenir aux Etats mais les associations environnementales sont « celles qui facilitent l’apport d’argent » et peuvent faire pression sur les autorités, explique Mme Tauli-Corpuz.

Ces problèmes remontent à l’expulsion par les Etats-Unis des Amérindiens des terres devenues ensuite les parcs nationaux du Yellowstone en 1872 et de Yosemite en 1890.

« C’est une vieille histoire », estime John Robinson, vice-président pour la préservation et la science à la Wildlife Conservation Society.

Mais Mme Tauli-Corpuz, ex-responsable des populations autochtones Kankanaey Igorot aux Philippines, n’est pas d’accord. « Bien sûr que non. (…) Ça continue encore aujourd’hui ».

Le directeur du World Wildlife Fund (WWF), Marco Lambertini, estime lui que ce rapport est une « importante contribution à l’avancée des bonnes pratiques en matière de droits des autochtones dans la protection de l’environnement ». Il assure que le WWF « s’est engagé à collaborer avec les populations autochtones ».

« C’est la base des droits de l’Homme (…) de décider par soi-même de ses propres terres », renchérit le président de Conservation International, Peter Seligmann.

Mme Tauli-Corpuz présentera son rapport à l’Assemblée générale de l’ONU à la fin du mois, dans l’espoir que les gouvernements mettent fin à ces abus.

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