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Mieux comprendre les enjeux de la COP21

Muriel Lefevre

Dimanche commencera la COP21, à Paris. Une énième conférence sur le climat ? Pas vraiment, puisqu’on la dit déterminante pour l’avenir de la planète. Voici quelques clés pour mieux comprendre les véritables enjeux de la 21e conférence sur le climat.

Pas moins de 117 chefs d’État, dont Poutine, Obama, le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre indien Narendra Modi, se retrouveront le 30 novembre à Paris pour la 21e conférence sur le climat. Au total 146 États, sur les 195 que compte le Monde, se sont déjà engagés à une contribution nationale pour tenter d’atténuer, à défaut de pouvoir l’arrêter, le processus de changement climatique. Pour que la lutte soit efficace, il est impératif que chaque nation s’implique, tant le phénomène est global. Personne ne conteste plus l’importance d’une telle conférence et tout le monde s’accorde sur l’urgence de la situation. On est face à un véritable compte à rebours qui entraîne dans son sillage le premier exemple de solidarité obligatoire de l’histoire humaine. Mais quels sont les véritables enjeux de cette conférence et les risques si on n’arrive pas à un accord ? Tentative d’explication à travers trois angles.

1 – La turbulente et frustrante histoire des conférences sur le climat

À la fin des années 80, de plus en plus de scientifiques s’inquiètent du réchauffement climatique. Pour y répondre, les Nations unies créent, en 1988, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, le Giec. Cette institution est chargée de réaliser une synthèse de la connaissance mondiale sur le climat. Depuis sa création, le Giec a remis cinq rapports qui font office de référence. Ces derniers ne feront que confirmer ce que l’on supposait déjà: la Terre se réchauffe inexorablement suite à un phénomène d’effet de serre. Un réchauffement dans lequel l’homme joue un rôle actif depuis l’avènement de l’ère industrielle.

En 1992, les Nations unies organisent le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, au Brésil. Si l’initiative est louable, puisqu’elle vise à informer et inciter tous les pays du monde à trouver des solutions face à une situation de plus en plus alarmante, elle n’aura qu’un impact très limité. La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC ou United Nations Framework Convention on Climate Change, UNFCCC en anglais) sera bien ratifiée par 196 « parties » (195 pays, plus l’Union européenne), mais celle-ci ne donnera naissance à aucune mesure concrète dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Les signataires de la convention-cadre sur le climat signé à Rio de Janeiro sont regroupés sous l’appellation « parties ». Les « conférences of the parties » donneront le nom COP. A Paris aura donc la 21e conférence du genre.

Pour des mesures concrètes, on devra attendre 1997 et le Protocole de Kyoto. Celui-ci stipule que ce sont les émissions de gaz à effet de serre qui sont responsables du réchauffement climatique et demande aux « pays industrialisés historiquement responsables », 37 au total, de réduire leurs émissions par rapport à 1990. Avec pour chaque pays un objectif obligatoire à atteindre pour la période entre 2005 à 2012. Un mécanisme d’échange de quotas devait permettre à ces mêmes pays de s’arranger entre eux pour atteindre les objectifs de Tokyo. Il ne rentrera cependant en vigueur qu’en 2005 lorsque 55 pays auront ratifié le protocole et sans les États-Unis qui étaient pourtant les plus gros pollueurs d’alors (aujourd’hui c’est la Chine).

En 2009, a lieu, à Copenhague, la 15e conférence réunissant les « parties ». Les COP étant organisées chaque année dans l’espoir de voir le modèle de Kyoto, alors limité aux pays « historiquement responsables », étendu à tous les pays. Annoncée comme celle de la dernière chance, la conférence de Copenhague sera considérée comme un échec et va anéantir pratiquement tous les efforts fournis depuis 1992.

Cependant devant l’urgence de la situation, les pays comprennent rapidement qu’ils n’ont d’autre solution que de se mettre autour d’une table pour trouver une nouvelle stratégie qui tienne compte des erreurs du passé. Car, qu’on le veuille ou non, le climat est un bien public mondial ou autrement dit un bien commun à tous et il est impératif d’arriver à des avancées. C’est donc une nouvelle dynamique qui sera jouée lors de la COP21 à Paris. La COP22 est cependant déjà planifiée en 2016 au Maroc.

2 – Les enjeux de la COP21

La COP 21 est vue, ou du moins annoncée, comme une étape décisive pour la lutte contre le réchauffement climatique. Voici quelles sont les pistes pour un éventuel accord.

La mission de cette COP21 est que les 196 « parties » signent un accord contraignant et universel visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre. Cet accord devrait remplacer dès 2020 l’accord de Tokyo.

Pour éviter que la débâcle de Copenhague ne se reproduise, l’idée est d’arriver avec un texte relativement abouti à la conférence de Paris au travers de différentes vagues de négociations en amont. Dans cette optique, et pour faciliter ces mêmes négociations, il a été demandé aux pays de faire connaître leurs « intentions de développement » pour la période 2020/2050 avant le 1er octobre 2015. Ce que 146 pays, représentant 87% des émissions, on fait.

Pour parvenir à leur « intention de développement », les pays peuvent soit s’engager à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, entamer des politiques visant à réduire les effets déjà perceptibles du dérèglement climatique ou encore combiner les deux.

Il est aussi important de préciser que les négociations se déroulent à deux niveaux: celui des gouvernements et celui de la société civile. De quoi assurer davantage d’ouverture. Autre point qui pousse les organisateurs à se montrer confiant, c’est que l’on constate que le monde des finances et des entreprises s’intéresse lui aussi de plus en plus au problème.

Si les résultats des différentes phases de négociations restent à l’heure de publier ces lignes sans certitudes, quelques pistes dominent pourtant et Laurent Fabius, futur président de la conférence, s’est montré optimiste à la sortie de la pré-Cop, la dernière en date et qui a eu lieu ce 9 novembre. Voici résumé, dans les grosses lignes, ce à quoi pourrait ressembler cet accord.

Un processus évolutif

Plutôt que d’imposer un modèle comme à Copenhague, on a cherché ici à créer un processus évolutif qui pourra être ajusté, et ce tant sur les ambitions initiales que sur la manière de l’appliquer. Une révision quinquennale à la hausse des engagements des États est par exemple envisagée.

Ne pas dépasser les deux degrés

Éviter que le réchauffement climatique ne dépasse pas les 2°C à la fin de ce siècle. C’est le but affiché de la conférence. Néanmoins, pour certains pays directement menacés par la montée des eaux, comme les Maldives, ce cap est déjà trop élevé et ces derniers souhaitent que celui-ci soit limité à 1.5.

100 milliards par an pour le Sud

Le financement des politiques climatiques des pays du Sud par le Nord est l’un des principaux points d’achoppement. Ceux-ci devraient fournir 100 milliards de dollars par an pour permettre au Sud de se développer de manière « propre ». Pourtant de nombreux destinataires de ce financement le trouvent insuffisant et aimeraient voir ce dernier augmenter après 2020, date d’entrée en vigueur de l’accord. Laurent Fabius cherche donc à rassurer lorsqu’il annonce que l’idée que cette enveloppe ne soit qu' »un plancher semble acceptée ». Qu’importe si l’enveloppe financière des 100 milliards eux-mêmes n’est pas encore bouclée puisque la répartition entre prêts et dons fait encore débat.

Le moment et la manière d’une nécessaire transition énergétique

Pour arriver aux objectifs, il devra aussi y avoir un tournant économique en modifiant nos principales sources d’énergie. Les modalités et des dates pour une nécessaire transition énergétique restent cependant beaucoup trop floues pour de nombreux observateurs. Seule l’idée d’une « trajectoire d’émissions bas carbone et adaptée au climat » a été retenue lors de la pré-Cop précise Le Monde. Le terme est effectivement un peu vague, surtout qu’il n’est assorti d’aucune précision sur la manière ou un éventuel planning.

Un traité contraignant ou non

La nature du document final pose aussi question. L’Union européenne souhaite un traité contraignant, ou dit autrement qui oblige à certaines actions. Sauf que pour beaucoup – les États-Unis en tête (un tel document ne peut y être ratifié par le sénat puisque les républicains ne croient pas au réchauffement climatique) – y sont opposés et limiteraient du même coup leur engagement. Il faudra donc trouver une parade. Par exemple un texte qui n’est pas formellement un traité, mais qui comporterait des clauses imposant un suivi des engagements de chaque pays. Il ressort un peu plus chaque jour qu’il s’agit là de l’un des principaux défis de cette conférence.

On notera au passage que si pour Laurent Fabius, le futur maître de cérémonie, il y a « une obligation absolue de succès », il est aussi régulièrement admis que la conférence de Paris sur le climat sera un échec si la Chine, l’Inde et la Russie repartent sans avoir signé un engagement fort.

3 – Les deux degrés, la réduction de l’effet de serre et le mix énergétique

L’enjeu principal de la COP21 est donc de trouver des solutions pour que le réchauffement climatique ne dépasse pas les deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle, soit avant 1880. Pour y parvenir, il faut réduire drastiquement les gaz à effet de serre. Mais pourquoi deux degrés et comment s’y prendre ?

La question de la température de la planète est un défi en soi et une constatation relativement récente. Les premières prises de mesures scientifiques ne datent que de quelques décennies et on a longtemps manqué d’une vision globale permettant de tracer des tendances planétaires. Établir une température moyenne terrestre est aussi rendu compliqué, voire impossible, par le nombre de paramètres à prendre en compte (air, océan, etc.). Par ailleurs, selon l’endroit où l’on se trouve, la température sur terre peut varier de 60 C°.

Ce sont les glaciologues qui vont les premiers apporter quelques pistes sur l’histoire du climat sur terre grâce à l’analyse de bulles d’air coincées dans des strates de glaces datant de différentes époques. Ils constatent alors que la Terre a déjà subi des variations de température au cours de son histoire. Pas vraiment un scoop, puisqu’on connaissait déjà les périodes glaciaires. Rapidement, ils se rendent compte que depuis le début de l’ère industrielle, l’ascension de la courbe des températures s’envole sans commune mesure. Ce qui au début n’était qu’une vague inquiétude va rapidement se transformer en terreur dans de nombreux milieux scientifiques. La Terre est en train de se réchauffer à un rythme jamais vu. On est alors dans les années 80. S’en suivront la création du Giec et les jusqu’à présent peu fructueuses conférences sur le climat.

Ces dernières années, les pires craintes se confirment et la communauté scientifique est de plus en plus inquiète. En 2012, une vingtaine de chercheurs publient dans la revue Nature une étude sur l’état de la biosphère. Il constate que les grandes crises planétaires, comme celle qui a entraîné la disparition des dinosaures, se sont étalées sur plus de 1000 ans avant que des changements biologiques importants ne se fassent ressentir. On se trouve aujourd’hui face à un même genre de mécanique, mais celle-ci s’emballe. À titre d’exemple, on observe en ce moment une extinction toutes les 20 minutes, alors qu’en 500 millions d’années, il n’y en aurait eu qu’une par million d’années.

Le changement climatique n’a, en effet, plus rien d’un lointain épouvantail. Ces dernières décennies, les scientifiques ont répertorié une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes. Méga ouragans et sécheresses intenses ne sont plus des exceptions. Rien qu’en Europe, on a constaté que les pluies diluviennes ont été multipliées par huit en 150 ans. Un milliard d’hectares de forêt ont disparu en près de 200 ans. Soit une surface aussi grande que la Chine.

Aujourd’hui, on estime que l’on se trouve déjà face à une hausse de 0.85°C par rapport à l’ère préindustrielle. Pour avoir une chance de rester en dessous d’une hausse de 2°C d’ici la fin du siècle, on doit impérativement diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 40% à 70% d’ici 2050 et atteindre le zéro émission carbone pour la fin du siècle. Il y a d’autant plus urgence que le CO2 « diffusé » aujourd’hui va agir dans l’atmosphère jusqu’en 2135. On ne peut pas le récupérer et on assiste donc à un phénomène d’entassement.

Pour pouvoir atteindre cette réduction, il existe trois voies possibles et de préférence combinables: la première est d’économiser l’énergie en en utilisant moins ou en augmentant l’efficacité énergétique. La seconde est ce qu’on appelle la séquestration du carbone : on le capture grâce aux forêts ou de manière industrielle. Et la troisième consiste à délaisser les énergies fossiles (charbon, du pétrole et du gaz naturel) productrices en CO2 pour des énergies renouvelables (soleil, eau, vent). En 2013, l’énergie dans le monde était fournie à hauteur de 78.3% par des combustibles fossiles, 19,1 % par des sources d’énergie renouvelables et 2,6 % d’énergie nucléaire. Il existe donc une importante marge de manoeuvre dans ce domaine qui risque de vivre une véritable révolution dans les années à venir. D’autant plus que des investisseurs toujours plus nombreux semblent y voir leur intérêt et que les coûts diminuent de façon drastique.

Le Giec estime cependant que si rien n’est fait, le réchauffement devrait s’élever à 4,8 °C à l’horizon 2081-2100. Certains chiffres parlent même de 6°C, soit le même ordre de grandeur que ce qui nous sépare de l’ère glaciaire. Avec des conséquences désastreuses pour l’être humain. En effet, une augmentation de plus de deux degrés de la température mondiale bouleverserait l’ordre alimentaire, ferait disparaître 30% de la biodiversité, augmenterait dramatiquement l’acidité des océans. On assisterait également à une hausse d’un mètre du niveau des mers d’ici à 2100. Provoquant le déplacement de 400 millions de personnes et une grave crise économique puisque plus de la moitié des 20 plus grandes villes du monde sont portuaires.

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