Carte blanche

Les ours polaires vont bien, merci !

István E. Markó, professeur de chimie et chercheur à l’Université Catholique de Louvain, a rédigé un billet intitulé « Cette banquise Arctique qui n’en finit pas de fondre » [1]. Dans cette publication de décembre, le Prof. Markó remet en cause les impacts du réchauffement climatique, en limitant le débat aux questions de l’ours polaire et de la banquise Arctique.

En tant qu’étudiant(e)s en Ecologie sociale, à la Haute Ecole libre de Bruxelles, et sans grande prétention scientifique, notre futur rôle est de sensibiliser la population aux enjeux environnementaux et de dénoncer les discours erronés. Cette action de terrain devrait contribuer à un monde vivable pour les générations futures. Dans cette Carte Blanche, nous allons démontrer que les arguments défendus par la sphère climato-sceptique, et particulièrement par le Prof. Markó, sont réducteurs.

Puisqu’il se préoccupe tant de la fonte de la banquise et de l’ours polaire, parlons-en.

Concernant l’Arctique, elle ne fondrait plus depuis les années 2005-2006. Qu’en est-il vraiment ? Il est vrai que la glace se reconstitue au Groenland. C’est ce qu’il ressort des travaux de Hanna et Cappelen. La raison de cette exception est un phénomène local, l’oscillation de l’Atlantique Nord (NAO), qui ne remet pas en cause le réchauffement global [2].

Le raccourci du Prof. Markó est donc qu’il ne considère qu’une région du monde, et omet de considérer le réchauffement dans sa globalité. Si on s’en tient à la seule région Arctique, la banquise fond bel et bien, encore en 2016. Nous invitons à ce titre les lecteurs à consulter les images de la NASA [3]. Mais la rigueur oblige de ne pas se limiter à une échelle de quelques années : cette tendance remonte au moins au milieu du XXème siècle, comme le montrent les données librement accessibles du GIEC [4].

Quant à l’ours polaire, la disparition de la glace ne serait pas un problème pour le professeur. La banquise aurait disparu au début de l’Holocène et cet ours y aurait survécu. L’argumentation est basée sur une étude qui simule l’épaisseur de la banquise à cette époque, en tenant compte des variations d’éclairement solaire. Dans cette simulation, l’albédo (la proportion du rayonnement solaire qui est absorbé et renvoyé par la surface terrestre) est supposée être réduite par la fonte des glaces.

C’est en utilisant un albédo variable, que les auteurs de l’étude sont parvenus à la conclusion que l’épaisseur de la banquise avait brutalement chuté, jusqu’à temporairement disparaître, au début et au milieu de l’Holocène [5]. Or, cette étude, aussi respectable soit-elle, va à l’encontre de la grande majorité de travaux qui suggèrent le contraire, c’est-à-dire que la glace a bien fondu, mais qu’une disparition totale n’a jamais été observée. Elle ne fait donc pas l’unanimité.

En tant qu’étudiant(e)s, nous devons faire preuve d’une certaine rigueur dans notre travail de recherche : il est imprudent de construire une conclusion formelle sur un résultat aussi isolé et controversé.

S’il est incertain que la banquise ait totalement disparu sous l’Holocène, les arguments tendant à montrer que l’ours blanc n’est pas capable de s’adapter à la fonte des glaces sont nombreux. En se basant non pas sur les travaux d’une unique équipe, mais en compilant de nombreuses études, Stirling montre que l’ours n’est biologiquement pas capable de s’adapter à un tel changement. Il cite notamment les différences anatomiques avec son cousin, l’ours brun, plus adapté à la vie sur la terre ferme [6]. Par ailleurs, on peut s’interroger : le réchauffement récent s’est fait au rythme de près d’un degré en 200 ans : la rapidité du phénomène permet-elle vraiment aux espèces de d’adapter ?

En clair, le climat se réchauffe bien, la plupart des régions sont affectées, certes de manière inégale, et la faune ne s’adaptera pas toujours.

A part omettre sciemment des observations, une autre constante des climato-sceptiques est de nier l’origine humaine du réchauffement climatique. Le Prof. Markó ne fait rien d’autre au premier paragraphe de son texte, en ironisant sur le réchauffement climatique, « bien entendu d’origine humaine ».

Or, cette origine est bien établie. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter une des planches du rapport du GIEC [7]. Ce document porte sur le forçage radiatif, grandeur physique qui exprime la puissance moyenne transférée par m² à la surface du globe depuis 1750. Le GIEC a judicieusement séparé les composantes humaines et naturelles de ce forçage. Les secondes – les variations d’éclairement solaires – sont très faibles en comparaison des premières, CO2 en tête.

Pour conclure, la Carte Blanche parue en décembre illustre la stratégie typique des climato-sceptiques : répandre des informations tronquées voire fausses, étudier un problème sous un angle volontairement restreint et même crier au complot, en prétendant que certaines informations sont peu accessibles (nous avons trouvé aisément des informations sur la fonte des glaces avant 1979…). Cette attitude est bien légère face aux enjeux humains du réchauffement : îles menacées, problèmes d’accès à l’eau, progression du désert rendant des terres incultes,…

Dans cet exemple, l’auteur laisse le doute planer : s’exprime-t-il à titre personnel ou professionnel ? Il est professeur d’université, mais sa spécialité est la chimie organique, et non le changement climatique…

Les étudiants de BA1 en Ecologie sociale, Haute Ecole libre de Bruxelles – Ilya Prigogine (HELB-IP) : Nathan Birlé, Gautier Briade, Benjamin Brigode, Dimitri Buffin, Antoine Cassiers, Victor de la Motta, Ana Fernandez, Maxime Hecquet, Kilian Lochenie, Hamida Marzouki, Marie-Charlotte Noel, Dylan Pareo, Elida Rodriguez, Anissa Tahar, William Vander Veen, Emile Verbist.

Accompagnés de leurs enseignants, dans le cadre d’un exercice pédagogique : Pierre D’Ans, dr.-ir. (chimie de l’environnement) et Frédéric Couchard, lic. sci. zool. (biologie).

Cette Carte Blanche a été un réel sujet de débat et de réflexion, raison pour laquelle nous n’avons pas répondu de façon immédiate.

[1] I. Markó, « Cette banquise qui n’en finit pas de fondre », Le Vif en ligne, 22 décembre 2016

[2] E. Hanna, J. Cappelen, « Recent cooling in coastal southern Greenland and relation with the North Atlantic Oscillation », Geophysical Research Letters 30 (2003) 1132.

[3] NASA, « Yearly Arctic Sea Ice Age with Graph of Ice Age by Area: 1984 – 2016 ».

[4] GIEC, 2013: Résumé à l’intention des décideurs, Changements climatiques 2013: Les éléments scientifiques. Contribution du Groupe de travail I au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [sous la direction de Stocker, T.F., D. Qin, G.-K. Plattner, M. Tignor, S. K. Allen, J. Boschung, A. Nauels, Y. Xia, V. Bex et P.M. Midgley]. Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et New York (État de New York), États-Unis d’Amérique. (voir la figure b, page 10 : « Etendue de la banquise arctique en été »)

[5] C. Stranne, M. Jakobsson, G. Björk, « Arctic Ocean perennial sea ice breakdown during the Early Holocene Insolation Maximum », Quaternary Science Review 92 (2014) 123.

[6] I. Stirling, A. Derocher, « Effects of climate warming on polar bears: a review of the Evidence », Global Change Biology 18 (2012) 2694, accessible sur : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1365-2486.2012.02753.x/abstract

[7] Même document que [4], page 14.

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