« Les contes de fées et les blockbusters sont parfois catastrophiques pour la réputation des animaux »

Selon notre confrère de Knack, Dirk Draulans, les contes de fées et les blockbusters se révèlent catastrophes pour la réputation de certains animaux. « Rudyard Kipling, l’auteur du Livre de la Jungle, mérite des éloges, car il dépeint les loups comme les bons, et atténue ainsi un peu la réputation déplorable que le petit Chaperon le Rouge a infligée au loup. »

Pour mes quatorze ans, mon grand-père m’a offert une traduction du « Livre de la Jungle » de l’écrivain britannique Rudyard Kipling. C’était une révélation. J’étais en train de devenir un grand amateur de la nature, et le livre m’a fait découvrir le monde sauvage de la jungle, dont je ne pouvais que rêver. Je ne savais pas qu’un jour moi aussi j’allais vivre des aventures dans une jungle.

Le livre est toujours dans ma bibliothèque, en souvenir d’une belle jeunesse. Il comporte même des notes au crayon : un jour j’ai lu une partie à haute voix, pour le cours de néerlandais.

Beaucoup de gens connaissent le Livre de la Jungle du dessin animé de Walt Disney, un beau film, mais où la dureté de la jungle disparaît un peu dans l’humour et les personnages caractéristiques Disney. Le livre, paru en deux parties en 1894 et en 1895, est évidemment bien plus passionnant, même si on raconte que Kipling l’a surtout écrit pour sa fille Josephine, décédée à six ans d’une pneumonie. Ce n’est pas vraiment un livre pour enfants, mais adolescent, j’étais absolument fasciné par les histoires de l’enfant trouvé Mowgli élevé par une famille de loups dans la jungle, avec l’aide de nombreux animaux.

Les contes de fées et les blockbusters sont parfois catastrophiques pour la réputation des animaux

Le livre mérite tous les éloges: il dépeint les loups comme les bons, et compense un peu la réputation déplorable que le petit Chaperon rouge et d’autres contes ont infligée au loup. Les contes de fées et les blockbusters peuvent se révéler catastrophiques pour la réputation d’animaux : le requin blanc ne se remettra jamais de l’atteinte que « Jaws » a infligée à sa réputation.

Il est simplement dommage que le tigre Shere Khan trinque tant dans « Le Livre de la Jungle » – il est le mauvais de service. Partout dans le monde, le tigre est menacé d’extinction, hormis dans les jardins zoologiques, et particulièrement en Inde, où se situe le Livre de la Jungle. Cependant, les histoires ont besoin d’un mauvais et la bande de singes qui enlève Mowgli ne peut jouer ce rôle, car ils ne sont pas assez sérieux. C’est d’ailleurs symbolique que ce soit le tigre qui déclare que l’humain perturbe la jungle : c’est l’homme qui l’a mené au bord de l’extinction.

Au fond, les histoires de Kipling sont des fables d’animaux humanisés qui donnent des leçons de morale. Il n’est pas étonnant que le nom du meneur de loups (Akela) joue un rôle clé dans la vie des scouts. Les leçons de sagesse sont parfois un peu forcées : ne pas être lâche, aider les autres, affronter ses peurs, écouter les bons conseils. Il y a aussi des messages subliminaux : ne pas trop réfléchir à ce qu’on fait, se contenter de ce qu’on a (ce qui n’empêche pas d’aspirer à plus). C’est beau de voir Baloo (dépeint comme un joyeux noceur, ce qui ne correspond absolument pas au caractère de l’ours) expliquer à Mowgli que généralement la plus grande joie dans la vie vient seule, sans gros efforts.

Finalement Mowgli retourne dans le monde des hommes. Cela aussi pourrait être un message, aujourd’hui peut-être encore plus pertinent qu’autrefois : les humains n’ont rien à faire parmi les animaux sauvages.

Aujourd’hui, les rôles sont inversés, ce sont les animaux qui doivent s’adapter à la vie de l’homme s’ils veulent survivre. Le tigre n’y arrive pas, mais en Inde il y a de plus en plus de panthères (comme Bagheera : la panthère noire dans le livre) qui dévalisent les villes et les villages la nuit. Chez nous, le loup revient après des siècles de poursuites où il ne fuit plus l’infrastructure et la présence humaines. On dirait le Livre de la Jungle inversé : nous devons embrasser la nature pour l’aider, ce n’est pas la jungle qui doit aider le petit humain à survivre.

Malgré son contexte fabuleux, j’ai toujours lu Le Livre de la Jungle comme un livre sur la nature sauvage, avec ces lois dures qui peuvent se traduire scientifiquement en « c’est le mieux adapté qui survit » de la théorie évolutionnaire de Charles Darwin. Le Livre de la Jungle a peut-être été ma première introduction en biologie de base, longtemps avant que je lise « L’Origine des espèces » de Darwin, qui est d’ailleurs beaucoup plus ennuyeux.

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