Corrado Rodio au pied de ses oliviers dont certains sont âgés de plus de 2 000 ans. La bactérie se trouve aux portes de sa propriété, dans la commune d'Ostuni dans les Pouilles. © DEE VAN DIEST

La peste végétale envahit l’Europe

Le Vif

Oliviers, vignes, amandiers, cerisiers, pruniers… La bactérie Xylella fastidiosa envahit le bassin méditerranéen, s’attaquant à une multitude d’espèces végétales. Pour l’heure, aucun traitement ne permet de l’arrêter. Reportage au coeur des oliveraies séculaires des Pouilles, dans le sud de l’Italie. Où tout a commencé.

 » Notre futur ici, il est sans travail, sans huile d’olive ni production. Regardez ces arbres : il y a dix ans, ils regorgeaient d’olives ; aujourd’hui, il n’y a plus rien. Trente hectares de terrain et 5 000 arbres presque tous infectés.  » Antonio, 54 ans, gestionnaire du terrain ravagé, a le visage empreint de consternation. Nous sommes à Surbo, dans la péninsule du Salento, dans les Pouilles, le talon de la botte. C’est ici qu’a émergé en Europe la bactérie Xylella fastidiosa, sous-espèce pauca, en 2009.

Présente sur le continent américain depuis plus d’un siècle, officiellement identifiée en Europe en octobre 2013, elle aurait été importée via des plants de caféiers ornementaux en provenance du Costa Rica et du Honduras notamment. Les conditions climatiques méditerranéennes,  » extrêmement favorables  » à la bactérie, ont fait le reste : en quelques années, la Xylella fastidiosa a infecté une grande partie des oliviers du Salento. Arbres desséchés, brûlés, abattus, le paysage est sidérant. Bercé entre les mers Ionienne et Adriatique, ce qui fut autrefois un tapis vert d’oliviers, à perte de vue, se dresse aujourd’hui en cimetière d’arbres à ciel ouvert. Les chiffres donnent le vertige : dix millions d’oliviers sont affectés par la bactérie, soit 1/6e de la totalité des oliviers apuliens. La zone infectée s’étend sur 5 000 kilomètres carrés, selon l’université de Bari.

Arbres desséchés après avoir été contaminés par la Xylella fastidiosa.
Arbres desséchés après avoir été contaminés par la Xylella fastidiosa.© DEE VAN DIEST

Une épidémie européenne

Définie comme l’une des bactéries végétales les plus dangereuses au monde, la Xylella fastidiosa peut toucher plus de 200 espèces d’arbres et de plantes, dont elle bloque la circulation de la sève. Conséquence : la plante dessèche progressivement. Le pathogène est transmis par des insectes suceurs de sève. En Italie, c’est le cercope des prés (Philaenus spumarius) qui est responsable de sa transmission. Long de 6 millimètres, ce petit insecte-vecteur abonde dans les oliveraies des Pouilles : jusqu’à un demi-million de jeunes par hectare.

Et ce qui semblait confiné au sud de l’Italie s’érige désormais en fléau pour tout le bassin méditerranéen. Début décembre 2017, une conférence ministérielle européenne s’est tenue à Paris, deux semaines après une importante conférence scientifique à Majorque. Et pour cause :  » l’Ebola des oliviers  » touche à présent aussi la France, l’Espagne et l’Allemagne.  » Il n’existe aucune preuve que l’infection s’est déplacée d’un site européen à un autre « , affirme pourtant le professeur émérite de pathologie végétale, Giovanni Martelli, à l’université de Bari. Pour autant, la bactérie a été détectée en France, en juillet 2015, la sous-espèce multiplex y affectant, en Corse, les oliviers et les pruniers et, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les plantes ornementales du paysage méditerranéen.

En Espagne, l’alerte a été donnée en octobre 2016, à Majorque : trois cerisiers attaqués par la Xylella fastidiosa sous- espèce fastidiosa. Depuis, les trois îles des Baléares (Majorque, Minorque et Ibiza) sont contaminées par trois sous-espèces : fastidiosa, pauca et multiplex. Vignes, oliviers, lauriers-roses, lavandes, amandiers et cerisiers sont atteints.  » La bactérie est présente partout « , conclut Alberto Fereres, professeur au Conseil supérieur de la recherche scientifique à Madrid.

En juin 2017, c’est au tour de l’Espagne continentale : les amandiers d’Alicante sont contaminés par la Xylella fastidiosa sous-espèce multiplex.  » La bactérie pourrait s’étendre à d’autres cultures, comme les olives, les pêchers ou les cerisiers, très sensibles à cette sous-espèce et dont la valeur économique est très élevée « , alerte le professeur.

Une économie en péril

Le poids économique de la Xylella, la région du Salento en a déjà fait les frais.  » En 2017, environ 20 % des moulins à huile d’olive n’ont pas ouvert leur porte. Les pertes économiques s’élèvent à un milliard d’euros. C’est très certainement sous-estimé « , explique Giovanni Martelli.

Dans une coopérative d’huile d’olive, à Surbo, les pertes sont sans appel :  » Il y a trois ans, nous avons pressé 1 600 tonnes d’olives, assène Raffaele Mancarella, vice-président. Il y a deux ans, c’était 200. En 2017, aux alentours de 100. Nous sommes morts.  » Selon le Consortium national des oléiculteurs italiens, la production d’huile d’olive des Pouilles a accusé une perte de 5 à 10 % depuis le début de l’épidémie.

Et la bactérie progresse vers le nord. Selon des experts du Centre commun de recherche de la Commission européenne, la proximité géographique des oliveraies apuliennes augmente leur vulnérabilité à la contamination. La Xylella se dirige donc à présent vers Bari. Où se trouvent les zones les plus importantes de production d’olives des Pouilles.

Premier producteur mondial d’huile d’olive, l’Espagne retient son souffle : la perspective de voir ses océans d’oliviers se transformer en désert, comme au Salento, fait trembler ses agriculteurs. A elle seule, la péninsule ibérique représente 34 % de la production mondiale d’olives, grâce à ses 340 millions d’arbres et la plus vaste superficie d’oliviers au monde (2,5 millions d’hectares)…

S’ajoute le dommage sentimental. L’or vert de la Méditerranée, c’est l’histoire de tout un peuple, certains arbres datant d’avant l’époque romaine. Corrado Rodio nous ouvre les portes de son oliveraie à Ostuni, village apulien où a été localisé, il y a quelques semaines, un premier foyer. L’oléiculteur, regard tourné vers un olivier de plus de 3 000 ans, sait que la bactérie est là :  » J’ai ouvert les yeux sur le monde en voyant ces arbres. L’olive et l’huile ont permis à des dizaines de générations de survivre dans ces terres arides et sèches…  »

La menace ne pèse pas uniquement sur les oliviers. La sous-espèce fastidosia présente dans les vignes à Majorque est la même que celle qui, aux Etats-Unis, dévaste les vignes californiennes depuis la fin du xixe siècle. Elle est responsable de la  » maladie de Pierce « . L’industrie du vin en Europe pourrait-elle donc être touchée ? Le risque est considéré comme  » occasionnel  » en Europe centrale et occidentale en raison des températures froides en hiver :  » La Xylella n’aime pas les climats extrêmes avec des hivers froids et des étés très chauds, commente Alberto Fereres. C’est une maladie tropicale, dès lors mieux adaptée à un climat chaud.  » Par conséquent, les hivers doux rendent les régions viticoles méditerranéennes vulnérables, surtout en bord de mer. En France, les crus provençaux, bordelais et languedociens sont donc menacés .

La Xylella multiplex, elle, a été détectée au Canada et au nord des Etats-Unis, la bactérie pouvant s’immiscer dans des racines ou des troncs d’arbres qui l’isolent du froid. Pourrait-elle s’étendre au nord de l’Europe ?  » Il reste des questions sur les risques, qu’il ne faut pas minimiser, répond le professeur Claude Bragard, de l’UCL. On pourrait imaginer des présences dans des pays plus au nord sans que nécessairement on ait une épidémie et un problème majeur sur le plan économique.  » Des études sont en cours en Belgique pour comprendre quels insectes vecteurs pourraient transmettre la bactérie et quelles plantes en seraient hôtes.

La peste végétale envahit l'Europe

Une stratégie d’endiguement

A ce jour, aucun traitement n’a été trouvé.  » La seule chose que nous pouvons faire, c’est de tenter d’empêcher la propagation, assure le professeur Martelli. Essayer de maîtriser la maladie, la contenir dans la zone infectée.  » C’est la stratégie adoptée par la Commission européenne qui a mis en place un plan de confinement. Il prévoit des zones tampons et des mesures d’éradication des végétaux hôtes de la Xylella fastidiosa dans un rayon de 100 mètres autour de la plante infectée. Une mesure qui passe mal auprès des agriculteurs européens, qui tentent d’éviter ces abattages par des actions en justice. Comme à Oria, petite ville des Pouilles.  » En mars 2015, un foyer y a été identifié, raconte Giovanni Martelli. Quelques arbres, qu’on a marqués d’une croix rouge pour être arrachés. Mais les propriétaires et le tribunal administratif régional ont tout arrêté. En décembre, l’abattage pouvait reprendre mais c’est le procureur de la République de Lecce (une province apulienne) qui est intervenu. Certains arbres à croix rouge sont donc toujours là.  » Et la zone est aujourd’hui complètement infectée.

D’autres mesures de prévention sont de mise, comme diminuer au maximum les populations de cercopes des prés. Mais face à l’abandon de nombreuses oliveraies en Italie, en raison notamment de la concurrence de pays comme la Tunisie, la mesure semble fragile.  » Sur ces terrains, les insectes s’y reproduisent en masse. La prévention peut nous aider mais le traitement nous sauvera « , confie Corrado Rodio.

Le plus grand espoir repose sur la résistance des espèces végétales : deux variétés d’oliviers se sont montrées tolérantes. Ces arbres sont infectés mais ils continuent à pousser et à produire. Bruxelles vient d’ailleurs de donner son feu vert au replantage de variétés d’oliviers tolérantes au pathogène dans les zones infectées, pratique jusqu’alors interdite. Et les chercheurs européens tentent de croiser des oliviers naturellement tolérants dans le but de produire des variétés résistantes à la Xylella fastidiosa. C’est peu dire qu’il y a urgence.

Par Stéphanie Laduron.

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