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L’arbrisme est un humanisme

Peter Wohlleben est vulgarisateur, Eduardo Kohn théorise. Pourtant, La Vie secrète des arbres et Comment pensent les forêts établissent un parallèle entre la vie d’une forêt et la vie en société.

Déjà tiré à 650 000 exemplaires en Allemagne et traduit dans 32 langues, La Vie secrète des arbres de Peter Wohlleben (Les Arènes) cartonne en France et en Belgique. Après l’avoir lu, vous ne considérerez plus jamais les arbres comme un élément du décor ou l’ancêtre d’une planche. Responsable d’une forêt communale à Hümmel (Eifel), Peter Wohlleben a certes appris des chercheurs de l’université d’Aix-la-Chapelle qui étudiaient son district. Sa sensibilité et son talent de vulgarisateur ont fait le reste.  » Ces grands végétaux n’ont pas de cerveau, ils ne peuvent se déplacer que très lentement, leurs préoccupations sont sans rapport avec les nôtres et leur quotidien se déroule dans un ralenti extrême « . Et pourtant, on ne doute plus de leurs capacités cognitives ni de leur vie sensorielle.

L'arbrisme est un humanisme

En voici quelques exemples. Les réseaux de champignons qui enveloppent la pointe des racines et les racines elles-mêmes permettent aux arbres de communiquer, de s’entraider et de rediriger des nutriments vers les plus jeunes ou les plus faibles. Les forêts sont des superorganismes, des organisations structurées comme le sont par exemple les fourmilières.  » Deux véritables amis veillent d’emblée à ne pas déployer de trop grosses branches en direction de l’autre. Ces couples sont liés si intimement par leurs racines qu’ils meurent parfois en même temps « , s’attendrit Peter Wohlleben. Lorsqu’ils sont attaqués par des parasites, les chênes de première ligne émettent des signaux chimiques qui préviennent les suivants de se gorger de tanin pour les éloigner. Les champignons transmettent aussi de l’information grâce à leurs filaments souterrains (les hyphes) semblables à la fibre optique.  » Au fil des siècles, un unique champignon peut ainsi s’étendre sur plusieurs kilomètres carrés et mettre en réseau des forêts entières « , relève Peter Wohlleben.

Le champion de nos forêts, le hêtre, apprécie de vivre serré-collé car il partage ses ressources souterraines. Un réflexe de survie pour l’espèce. En effet, seule une faîne parmi les 1,8 million produites par un hêtre en quatre cents ans d’existence deviendra arbre à partir de sa maturité sexuelle (entre 80 et 150 ans). Dans une forêt naturelle, les mères-arbres n’accordent que 3 % de lumière à leurs enfants, histoire de les forcer à pousser lentement, gage de longévité, mais elles ne mégotent pas sur la nourriture qu’elles leur envoient par les racines. En conclusion de son best-seller, le garde-forestier allemand plaide pour que, à l’instar des animaux, les arbres soient dotés d’une forme de personnalité juridique qui interdirait de leur infliger des douleurs inutiles comme l’élevage forcé en sylviculture.

Une leçon d’humilité

L'arbrisme est un humanisme

L’anthropologue américain Eduardo Kohn se décrit comme un  » diplomate cosmique « . Son livre événement, Comment pensent les forêts, vient d’être édité en français par la maison d’édition Zones sensibles d’Alexandre Laumonier, qui a quitté Molenbeek pour Jette. A l’instar de Peter Wohlleben, mais dans une langue infiniment savante et cependant jolie, Eduardo Kohn invite à réfléchir à la vie en société en observant la forêt. Familier des Quichuas Runa d’Avila (Equateur), il a noté leurs interactions réelles, rêvées pendant leur sommeil ou imaginées de vive voix avec les occupants de la forêt amazonienne, l’écosystème le plus riche et le plus dense de la Terre.  » Une anthropologie au-delà de l’humain consiste pour une large part à apprendre à reconnaître que l’humain est aussi un produit de ce qui se trouve au-delà des contextes humains « , écrit-il. La  » forêt qui pense  » invite à se défaire de l’anthropocentrisme au profit d’une  » écologie des sois « . Pour survivre, les Runa sont habitués à se mettre dans la peau des autres, jusqu’à interpréter les rêves de leur chien, endosser les pouvoirs du jaguar ou deviner les raisons de la colère d’un mort. La chasse joue un rôle très important chez les Runa. Elle est à la base de leur vie sociale (manger ensemble) mais elle est aussi exemplaire de la relation entre la proie et le prédateur dont les rôles sont toujours interchangeables. Rien de figé sous les frondaisons :  » Ce vaste et fragile domaine de relation, qui se déploie dans la forêt et dans ce domaine futur qui abrite les nombreux passés de la forêt, restera un monde de possibilités tant que trop de ces relations ne seront pas tuées « , conclut Eduardo Kohn.

À lire aussi :

Le grand livre de la forêt, sous la direction de Philippe Blerot (DNF), préfacé par René Collin, éd. Forêt.Nature.

La Forêt en Belgique, par Olivier Baudry, expert forestier indépendant, et le photographe Frédéric Demeuse, préfacé par les trois responsables régionaux des forêts belges, Racine, 2014.

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