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Greenpeace : « L’ancien modèle économique est cassé »

Comment va la planète ? Il reste du travail, soupire Kumi Naidoo, patron de Greenpeace International. Il faut, surtout, inventer un nouveau modèle de croissance. Car la surconsommation n’est tenable pour personne.

Le Vif/L’Express : La crise financière sévit depuis des mois à l’échelon de la planète. Craignez-vous qu’elle ralentisse la réponse internationale au défi du réchauffement climatique ?

Kumi Naidoo : Les responsables politiques les plus puissants du monde, réunis lors du G20, ont montré qu’ils n’étaient pas capables de s’occuper de la crise financière et du réchauffement climatique en même temps. Or les citoyens attendent de ces leaders qu’ils soient aptes à gérer plusieurs tâches simultanément et rencontrent leurs espérances en particulier sur deux points : d’abord que ces décideurs politiques ne prennent pas la crise financière comme excuse pour relâcher les efforts en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Et ensuite qu’ils prennent en compte la crise dans toutes ses dimensions, sans négliger l’interconnexion entre ses différentes facettes, comme par exemple la pauvreté et l’environnement, qui sont évidemment liés.

Croyez-vous que les gouvernements en place combleront cette double attente ?

Le leadership mis en place par les gouvernements n’a, jusqu’à présent, pas été brillant. Et quelques-uns nient toujours le problème du réchauffement climatique…. Encore une fois, je pense qu’il est immoral d’utiliser la crise financière comme un prétexte pour ne pas agir.

Il y a juste deux ans que vous occupez le poste de directeur exécutif de Greenpeace International. Comment avez-vous trouvé l’organisation à votre arrivée et que souhaitiez-vous y apporter comme éventuel changement ?

Tout ce que j’ai réellement fait depuis que je suis à la direction, c’est presser l’organisation de bouger plus vite. Nous travaillons plus aussi avec les syndicats et avec les organisations de développement. Notre but est de mettre l’accent sur ce qui unit ces différentes structures, afin de représenter une large voix citoyenne. Bref, j’ai trouvé à mon arrivée une organisation qui remporte des batailles importantes mais qui reconnaît aussi qu’elle a besoin de changements pour être aussi efficace qu’elle devrait l’être.

Justement, votre mode d’action, souvent très « coup de poing », donc prompt à être relayé par les médias, est-il toujours le plus efficace pour changer le monde ? Ou toujours aussi efficace ? L’opinion publique ne se lasse-t-elle pas de ce type d’opérations ?

Ces actions, qui correspondent en général à l’image que l’opinion publique se fait de Greenpeace, ne sont que l’une de nos méthodes de travail. Nous comptons, dans nos rangs, des scientifiques, des juristes, des journalistes, des experts, des ingénieurs, etc. Nous menons aussi des actions de lobbying et tentons de faire progresser le débat par le dialogue et la recherche de solutions. Les gens ne s’en rendent pas comptent mais une large partie de notre travail est orientée vers la recherche de solutions alternatives et d’actions à entreprendre pour les concrétiser. Regardez quelques-uns de nos récents succès vis-à-vis de multinationales comme Mattel, Nike, H&M, Apple, Adidas ou Unilever : nous les avons acquis en combinant des actions de résistance avec un dialogue. Ainsi, nous obtenons des entreprises, des autres acteurs de la société ou de détenteurs de pouvoirs, qu’ils revoient leurs pratiques et les modifient. Le public ne voit généralement que nos actions les plus sexy et n’a pas toujours idée de tout le travail qui se fait en amont.

Vous êtes sud-africain. Nelson Mandela constitue-t-il en particulier un modèle pour vous ?

Oui. C’est un modèle en termes de recherche de compromis, de dialogue, de tolérance… C’est un héros et une source d’inspiration, pas seulement pour moi mais aussi pour des millions de gens dans le monde.

Quelles sont vos relations avec les syndicats ? Est-on sorti de la traditionnelle opposition entre la défense de l’environnement et celle de l’emploi ?

Je dirais que la tension historique entre la lutte pour la défense de l’environnement et la lutte pour la justice sociale évolue vers une alliance entre les deux types d’organisations concernées. On a de bonnes relations avec les syndicats et elles se développent de mieux en mieux : notre lutte commune est celle d’un futur pour tout le monde. Nous réclamons, par exemple, que 40 % des océans soient déclarés zone sans pêche, afin de reconstituer les stocks de poissons. Car si vous voulez pêcher demain, il faut veiller aujourd’hui à ce que les réserves marines soient suffisantes. Pas de poissons, pas de boulot !
En matière d’énergie, il est clair que les énergies renouvelables créeront des emplois, notamment pour du personnel hautement qualifié. Ce genre de constat permet de trouver plus facilement des terrains d’entente avec les organisations syndicales.

Greenpeace souhaitait prendre pied dans des pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ? Où en êtes-vous par rapport à ce projet ?

Nous y sommes. Nous avons un bureau opérationnel en Chine, qui couvre aussi Hongkong, Taiwan et la Corée du Sud. On y travaille surtout la question du charbon, de la politique de l’eau, du climat et de l’énergie, et celle de l’agriculture durable.

Vous y sentez-vous les bienvenus ?

Oui. Même si on doit adapter notre approche à chaque pays car ce qui marche ici ne marche pas forcément là-bas. Au Brésil, on engrange de très bonnes victoires en matière de protection des forêts. On y augmente aussi nos équipes, ainsi que le nombre de nos volontaires et de nos membres. Cela dit, c’est en Indonésie que notre progression est la plus spectaculaire… même si un membre de notre équipe en a été expulsé.

Parallèlement, nous continuons à pousser l’Union européenne pour qu’elle soit une nation leader en matière de protection de l’environnement et appelle les Etats-Unis à rejoindre la communauté internationale : que ceux-ci arrêtent de jouer les snipers en matière de lutte contre le changement climatique et de miner les progrès internationaux qui sont enregistrés sur ce plan. Je pense qu’aucune partie du monde, excepté l’Europe, n’a la capacité d’influencer les Etats-Unis sur ce plan. L’influence européenne n’est peut-être pas énorme mais elle est plus forte que celle de n’importe quelle autre partie du monde.

Quant aux économies émergentes, nous les encourageons à se développer de manière durable. Ces pays doivent éviter les erreurs du modèle de développement passé. Si, comme aux Etats-Unis, les Indiens ou les Chinois veulent tous une voiture et surconsommer, alors nous n’avons aucune chance d’en sortir. L’ancien modèle économique est cassé. Il faut imaginer autre chose. La surconsommation n’est pas tenable à court et moyen termes. Soyons clairs : les gens qui vivent dans des économies émergentes ont le droit de se développer, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais on doit aussi s’assurer qu’on oeuvre à un monde globalement plus équitable et reconnaître qu’on vit sur une planète qui a des limites.

Quels sont, dans l’immédiat, vos combats prioritaires ?

Le climat, le climat, le climat. Et l’énergie, les forêts, les océans et l’agriculture durable.

ENTRETIEN : LAURENCE VAN RUYMBEKE

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