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En Roumanie, la lutte contre l’exploitation forestière illégale devient meurtrière

Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste Web

En un mois, deux gardes forestiers ont été tués dans l’exercice de leur fonction, alors qu’ils enquêtaient sur de possibles exploitations forestières illégales.

La Roumanie est le berceau des dernières plus anciennes forêts primaires d’Europe, des écosystèmes qui abritent une faune et une flore précieuses, car très variées. Beaucoup considèrent d’ailleurs les forêts vierges roumaines comme le poumon de l’Europe, à l’instar de la forêt amazonienne. Pourtant, cette végétation qui semble déborder de vie est victime depuis une trentaine d’années d’un phénomène alarmant : une déforestation massive et parfois (pour ne pas dire souvent) illégale.

Ces forêts représentent une mine d’or pour l’industrie du bois, qui affiche un certain dynamisme : en particulier pour le secteur de la transformation, qui a attiré un grand nombre d’investisseurs étrangers (chiffre d’affaires total de 5 milliards d’euros en 2016). Et même si le pays a mis en place en 2015 un code forestier et des mesures restrictives visant à lutter contre les coupes illégales de bois, la « destruction continue délibérée de forêts naturelles » se poursuit, déplorent trois groupes de défense des droits écologiques roumains et internationaux (Agent Green, ClientEarth et EuroNatur).

Selon un rapport dévoilé par les autorités roumaines, le pays a perdu entre 1990 et 2011, quelque 80 millions de mètres cubes de bois coupés et vendus illégalement. « Trois hectares disparaissent chaque heure en Roumanie, qui aurait ainsi perdu quelque 26% de sa couverture forestière initiale« , rapporte Greenpeace Roumanie.

Violence chez les bûcherons

Pour beaucoup d’ONG, les mesures prises en 2015 par le gouvernement encourageraient en partie l’exploitation forestière illégale. «  La limitation de récolte annuelle de bois applicable aux petits propriétaires forestiers aura pour conséquence de les inciter à pratiquer des coupes illégales sur leurs parcelles, dans la mesure où cette limitation est trop basse par rapport à la croissance moyenne annuelle naturelle (7,8 m3 /ha/an)« , expliquent-elles.

Des gardes forestiers sont alors chargés de surveiller et éloigner les bûcherons illégaux afin de protéger les dernières forêts primaires. Mais ces derniers temps, les niveaux de violence que certains bûcherons sont prêts à utiliser pour voler du bois sont devenus extrêmement élevés et inquiétants. En un peu plus d’un mois, deux gardes forestiers ont été assassinés : l’un aurait subi des blessures mortelles à la tête causées par une hache, quand le second a été abattu avec un fusil de chasse.

Cette menace, Gabriel Paun la connaît bien.Le responsable du groupe environnemental Agent Green a passé plusieurs décennies à parcourir les forêts roumaines pour tenter de les protéger. Non sans quelques frayeurs : «  La mafia de la forêt a tenté de me tuer à plusieurs reprises « , a-t-il déclaré à la BBC. « Il y a quatre ans, je menais une enquête près du parc national Retezat et une bande de voyous m’a attaqué et a tenté de me tuer. Ils m’ont brisé les côtes, m’ont ouvert la tête et m’ont cassé la main avant que je réussisse à m’échapper en courant« , a-t-il ajouté.

Vue aérienne (drone).
Vue aérienne (drone).© iStock

Un frein à la protection de l’environnement

La société publique roumaine de gestion des forêts, Romsilva, qui gère 48% des forêts du pays, a compté 16 attaques contre ses travailleurs forestiers en 2019. Or, les violences répétées ne font que ralentir la lutte contre l’abattage des arbres.

Afin de faire bouger les choses, trois ONG – Agent Green, ClientEarth et EuroNatur – ont déposé plainte auprès de la Commission européenne contre le gouvernement roumain. Leur allégation : les pratiques d’exploitation forestière contreviennent souvent à la législation de l’UE sur la protection de la nature.

« Nous travaillons depuis des années pour convaincre le gouvernement roumain de réagir et nous n’avons eu du succès que dans quelques lieux bien spécifiques »,a déclaré Gabriel Paun à BIRN (un réseau d’organisations non gouvernementales pour la liberté d’expression en Europe du Sud et de l’Est). « Mais ils ne veulent pas traiter le problème au niveau national, alors il est temps de leur mettre la pression et de se rendre devant l’UE pour déposer une plainte systémique sur la situation en Roumanie. »

D’autant que cette problématique, l’une des crises environnementales les plus pressantes en Europe, reste très largement méconnue. Morale de l’affaire : avant de faire la leçon à nos voisins (crise Amazonie), il faudrait d’abord commencer par soi-même.

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