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Chine : « Le modèle économique rend difficile la lutte contre la pollution »

Le Vif

La découverte de cadavres de quelque 6000 porcs repêchés dans le fleuve qui arrose la ville de Shanghai n’est que le dernier de plusieurs accidents sanitaires et environnementaux. Les explications de Jean-François Huchet, spécialiste de la Chine.

L’affaire des cochons retrouvés morts dans le fleuve Huangpu n’est que l’un des derniers épisodes de pollution spectaculaire en Chine…

En effet, la pollution du sol, de l’eau et de l’air est généralisée dans le pays. La dégradation de l’environnement est très sérieuse qu’il s’agisse des rivières, mais aussi des nappes phréatiques, de l’air, auxquels s’ajoute le problème de l’érosion des sols. Toutes ces dégradations sont liées au développement accéléré de l’industrie et du secteur de la construction qu’a connu la Chine ces dernières décennies, ainsi qu’à l’urbanisation rapide et à l’utilisation intensive des terres agricoles. Sur ce plan, il faut rappeler que la Chine a connu un doublement de sa population 1950 et 1980 (de 500 millions à 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui), et malgré cela le pays est pratiquement autosuffisant pour les principales productions alimentaires.

L’énorme augmentation de la productivité agricole était importante pour les autorités chinoises pour maintenir une autosuffisance alimentaire pour des raisons géopolitiques: Pékin ne voulait pas -contrairement à ce qui se passe en matière énergétique- dépendre de l’étranger pour nourrir sa population. La pression sur les terres arables, situées principalement dans l’est de la Chine a donc été très forte. Une partie de nord-ouest de la Chine est en cours de désertification en raison de la déforestation, d’une dégradation des sols avec l’élevage de moutons et une surexploitation des réserves en eau avec un type agriculture souvent inadaptée aux conditions climatiques dans ces régions. Au point qu’on utilise parfois, par exemple, des eaux usées pour irriguer des terres utilisées pour la production alimentaire. Cela a donné lieu à de nombreux scandales alimentaires qui se sont multipliés en Chine ces derniers temps.

La désertification est aussi à l’origine de la multiplication des tempêtes de sable qui frappent la capitale chinoise chaque année au printemps. Plus graves, des résidus de charbon -la principale ressource énergétique du pays- entraînés par ces tempêtes, extrêmement toxiques, envahissent épisodiquement les villes des régions côtières.

La pollution atmosphérique est également accablante. Au cours des mois écoulés, dans le nord de la Chine, on a dépassé pendant plusieurs semaines chaque mois le niveau de pollution considéré comme dangereux pour la santé. Cette situation constitue une bombe à retardement pour le gouvernement.

La population proteste-t-elle contre ces dérives ?

Oui, la classe moyenne, en pleine expansion, réclame des mesures fortes. Il y a un sentiment général de défiance dans la population. Avec les nombreux scandales alimentaires de ces dernières années, comme celui du lait contaminé à la mélamine ou du riz au cadmium, les gens ne savent plus à quoi se fier.

On assiste à une multitude de mouvements de contestations au niveau local. Les habitants de Dalian ont ainsi réussi, après une campagne de protestation, à faire fermer une usine pétrochimique accusée de polluer gravement leur environnement. De nombreuses ONG combattent courageusement ces dérives, comme celle fondée par un ancien journaliste du South China Morning Post, Ma Jun, qui fait un travail remarquable de recensement et d’alerte sur les abus en matière de pollution des cours d’eau.

Mais il faut souligner que tous ces mouvements restent actifs à un niveau local, partiel, et les autorités répondent elles aussi aux problèmes à l’échelle locale ; c’est aussi la raison pour laquelle ces actions de revendication sont mieux tolérées que la dissidence politique. On n’est pas encore, en Chine, à l’aube de la naissance d’une mouvance verte telle qu’on la connait dans les pays occidentaux ; le système politique chinois ne le permettrait pas.

Les autorités peuvent-elles agir pour améliorer les choses ?

Il sera très difficile de venir à bout de ce fléau. Les nouveauxdirigeants, le président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang ont donné des signes indiquant qu’ils souhaitaient accélérer les réformes en matière d’économie et de protection de l’environnement. Mais tout le modèle économique chinois, basé sur la croissance à tout prix et l’industrialisation à outrance est à revoir. Et contrecarrer les nombreux lobbies qui défendent ce modèle sera une tâche titanesque.

Ancien directeur du Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) à Hongkong, Jean-François Huchet, est Professeur des Universités à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO-Langues’O).

Catherine Gouëset

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