© Image Globe

Yves Leterme : « Ils n’arriveront pas vite à m’abattre »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Il est aujourd’hui secrétaire général adjoint de l’OCDE, à Paris. Et c’est depuis la Ville lumière que l’ex-Premier ministre Yves Leterme s’interroge sur l’avenir de la Belgique et son parcours politique… à venir.

Le 6 décembre 2011, Yves Leterme remet les clés du 16, rue de la Loi à Elio Di Rupo. Emporté par l’affaire Fortis puis balayé par l’impossibilité d’obtenir un accord sur la scission de BHV il tourne la page le 8 décembre, il endosse un nouveau costume, celui de secrétaire général adjoint de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Installée à Paris, regroupant 34 Etats membres, cette institution créée en 1961 réalise des études et conseille les pays alliant démocratie et économie de marché. Au fond de lui, on sent toujours une tension, une incertitude. Et des interrogations sur son avenir.

Le Vif/ L’Express : Vous êtes dans un rôle de conseiller, désormais, plus de décideur. Cela vous plaît ?

Yves Leterme : Oui, parce que c’est une organisation qui permet d’avoir une vision globale du monde, de la Corée du Sud au Chili, de la Nouvelle-Zélande à la Turquie. Nous intervenons beaucoup hors de l’Europe et c’est un des éléments qui m’attirait beaucoup – et qui m’attire toujours. J’aime mon pays, j’aime l’Europe mais au niveau socio-économique, c’est surtout en dehors que cela bouge.

Il faut plus de régulation mondiale ?

L’économie, c’est un peu comme la Champions League sans les arbitres. Les grands groupes internationaux jouent leur jeu avec de nombreux effets pervers. Quand on voit ce qui se passe au Bangladesh, au niveau des normes sociales ou de la sécurité au travail, c’est très préoccupant. Il y a eu des progrès en matière de multilatéralisme financier depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne sommes pas loin d’une percée importante en matière fiscale. Mais il reste énormément de chemin à parcourir au niveau social.

C’est un sentiment qui vaut dans toute l’Europe. Les gens peinent à accepter l’évolution du monde…

Or il y a un basculement, c’est clair. Nous sommes 700 millions en Europe dans un monde qui compte 7,2 milliards d’habitants. Le XXIe siècle sera asiatique, c’est la loi du nombre ! Il y a quatre milliards de personnes là-bas qui acquièrent un pouvoir d’achat plus important. En outre, l’Europe vieillit. Les Américains gardent une croissance appréciable grâce à l’immigration venant du Mexique. Les Européens, eux, ont toujours considéré l’immigration davantage comme une source de problèmes que de solutions. Il y a une crispation. Nous avons importé beaucoup de problèmes, c’est vrai, de gens venant de territoires où il y avait des conflits, de la pauvreté, de la famine… Mais l’immigration, c’est aussi une partie de la solution.

Qu’avez-vous envie de dire aux Belges ?

Que la Belgique a la capacité de garder le même niveau de vie mais qu’il faudra le mériter. Parce qu’il y aura de plus en plus de pays dans le même cas. C’est positif, mais c’est confrontant.

Il y a des réformes nécessaires en Belgique, non ?

L’Etat-providence, tel que nous le connaissons, c’est un phénomène très limité : seuls 15 ou 20 pays, dans la seconde moitié du XXe siècle, ont introduit ce système de sécurité sociale généralisé. Il faudra l’adapter à la nouvelle réalité de la compétitivité. Mais il y a aussi du positif : dans les pays émergents, les citoyens demandent d’avoir des droits sociaux. Ce n’est pas simple, c’est vrai. Même Barack Obama, l’homme le plus puissant du monde, a dû cravacher pour avoir un système d’assurance-maladie. Mais il y a un consensus croissant autour de notre modèle pour contrer la dérégulation. J’ai été au Chili et en Corée du Sud, ils parlent avec nous de cohésion sociale.

Il faut plus de flexibilité ?

C’est évident. Il faut cibler les interventions de la sécurité sociale, trouver d’autres formes de financement…

Y a-t-il trop de conservatisme en Belgique ?

Il y a beaucoup de gens qui veulent préserver leurs acquis et c’est logique. Mais il faut continuer à faire des efforts au niveau de la formation, de la recherche… Les compétences, c’est la monnaie du XXIe siècle. Et il faut aménager nos politiques afin que l’immigration soit une solution et pas un problème. L’Europe doit tout faire pour attirer des talents !

Avez-vous des regrets au sujet de votre passage au 16 ?

Je n’ai plus la même aigreur qu’au début 2009. Je suis content d’avoir pu assumer ces responsabilités même si ce ne fut pas un parcours évident. J’aurais préféré faire plus, autrement, mais bon… c’est comme ça. La leçon que j’en tire, c’est que les dirigeants politiques ne choisissent pas leur agenda, il leur est imposé.

En tant que père du défunt cartel avec le CD&V, comment voyez-vous l’envol de la N-VA ?

Il est important en démocratie d’avoir des formations politiques suffisamment fortes pour gouverner un pays de façon cohérente. C’est un des problèmes belges : nous avons besoin de cinq ou six partis pour former un gouvernement. Cela devient d’ailleurs un phénomène généralisé en Europe occidentale. C’est cette réflexion qui m’avait amené à intégrer une formation régionaliste au sein du CD&V. Le PS l’a fait avec le régionalisme wallon, d’ailleurs.

On n’a pas réussi en raison de l’incapacité de la N-VA à accepter les compromis. Il ne faut pas sous-estimer la spécificité d’avoir un parti qui participe aux élections sans avoir l’ambition de gouverner. J’ai dit, à l’époque, à mes collègues francophones que si l’on n’arrivait pas à un accord, la prochaine fois, ils feraient face à des gens que cela n’intéresse plus.

Cela dit, il faut saluer le courage des trois partis flamands qui font partie de la coalition d’Elio. Ils ont pris leurs responsabilités, et ce n’était pas simple.

On vous sent plus amoureux de la Belgique depuis la France…

Non. J’aime bien les gens, ce sont eux qui font la différence. Je ne suis pas amoureux d’une institution.

Repartirez-vous pour un second mandat à l’OCDE ?

Je déciderai en septembre. Ce que je fais ici me plaît beaucoup, c’est passionnant, mais je n’ai jamais été très longtemps dans la même fonction. On verra bien…

Vous ne parlez pas d’un appel de votre parti pour 2014 ?

Les listes doivent être déposées quarante jours avant le scrutin, il y a encore du temps. La Belgique est une piste. On m’avait demandé d’être candidat à Ypres aux communales, j’ai fait ma part du travail et je suis désormais président du conseil communal.

Mais avez-vous encore la faim de la politique belge ?

Si je le faisais, ce serait pour rendre service, mettre mon expérience à profit. Mais je n’ai plus la même ambition. J’ai été député dans tous les parlements, président du gouvernement flamand, président de parti, vice-Premier, Premier ministre avec la présidence européenne. J’ai goûté à tout. Mais j’ai promis que je serai bourgmestre un jour.

Il n’y a que l’Europe qui pourrait vous intéresser alors ?

(Dubitatif) Oui… On verra.

Le Standard, aussi : ils en ont besoin…

Mon fils est dans le football professionnel, il gère tout l’extra-sportif à Courtrai. C’est passionnant. Les évolutions dans l’organisation du sport au niveau mondial m’intéressent beaucoup. Il y a beaucoup de choses à faire : le dossier des stades en Belgique, la réorganisation du cyclisme… Tout cela me plairait bien.

Bref, vous avez faim ?

Ils n’arriveront pas vite à m’abattre. Je n’ai pas tourné la page avec un sentiment négatif. Je suis très content de mon parcours. Je suis fils d’un peintre tapissier venu d’un petit village de Flandre, je n’avais pas de papa en politique comme Charles Michel, Mark Eyskens… et je suis arrivé au sommet. Avec le recul, c’est fabuleux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire