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Wouter Beke, « le Petit Chose » cache bien son jeu

Pour un homme clé de la sortie de crise, le jeune président du CD&V fait figure de maillon faible de la chaîne des négociateurs qui reprennent le collier. Wouter Beke au pied du mur : sera-t-il à la hauteur des attentes francophones ? La réponse se cache dans les ressorts méconnus de son ascension.

« Oui, je sais, c’est compliqué… » Il a le don de flanquer le bourdon, Wouter Beke. Avec sa phrase fétiche qui plombait le moral de la troupe, occupée depuis un an à « sécher » sur l’avenir du pays. Maintenant qu’ils vont entrer dans le vif du sujet, ses partenaires de négociations se disent qu’ils n’ont pas fini de rire avec lui. Façon de parler… Car, à ce stade, le nouveau visage du CD&V fait peine à voir. Président par accident d’un parti au tapis, négociateur malgré lui d’une cause qu’il semble juger désespérée : à 36 ans, il y a des manières plus agréables d’entrer dans la cour des grands qu’en portant sa croix sur de frêles épaules. Pourtant, sans lui et son parti, point de salut. Francophones (PS, MR, Ecolo, CDH) et Flamands (Open VLD, SP.A, Groen !) l’attendent comme le messie, le sauveur capable de refouler ce diable de De Wever. Ici et là, Beke a déjà dévoilé dix de ses commandements (1).

« JE N’AI ENCORE JAMAIS RIEN FAIT DE FOU »

Sauf d’accepter de s’asseoir sans la N-VA à une table, en compagnie d’irréductibles francophones. Même si c’est du bout des fesses, tout près de la porte de sortie. Les francophones attendent de Beke le vrai grain de folie. Ils signeraient des deux mains, pour s’être trompés sur la piètre impression du départ. « Dans les moments cruciaux, Beke montrait un mélange de rigidité et de fébrilité. Jusqu’à donner l’impression physique de perdre les pédales », témoigne l’un d’eux. Peu flatteuses, les appréciations : « Un air de notaire besogneux, scolaire, tâcheron. Sans envolée, incapable de sortir de ses notes, de quitter les sentiers battus. Continuellement obligé d’aller prendre les ordres. » Pour l’avoir vu à la tâche en début de crise, un socialiste retient « un homme effacé, littéralement écrasé à la table entre un Kris Peeters et un Bart De Wever ». Sans que Beke ait démérité comme négociateur royal, certains s’interrogent sur ses talents cachés.

« JE NE SUIS PAS LE TYPE À DANSER SUR LES TABLES »

Ses partenaires ne lui en demandent pas tant. Juste de pouvoir briser la glace. Mais Beke est difficile à apprivoiser. « Au Sénat, je ne le vois jamais bavarder avec des parlementaires francophones », témoigne un élu PS. Un président de parti confirme : « Les contacts restent froids, distants. » Insuffisants pour démentir ce que ses détracteurs en Flandre retiennent du jeune président du CD&V : le côté terne, le regard fuyant, un manque cruel de conversation, l’absence de réponse tranchée. Cet air de « Monsieur ni-ni », qui a l’art d’agacer. « Certains francophones le détestent pour cela », relève l’un d’entre eux. D’autres digèrent encore moins d’avoir pris le gaillard en « flagrant délit de mensonge » : prétendre que ses neuf propositions de loi sur BHV de négociateur royal avaient été avalisées par la N-VA et le PS, quel toupet ! Un élu CD&V plaide pour sa défense : « Son niveau en français est assez faible, ce qui le retient de développer de véritables contacts avec les francophones, plus prompts à faire copain-copain que les Flamands. Wouter a sa fierté. » Dans le doute, le camp francophone s’abstient de donner le bon Dieu sans confession à cette réplique d’enfant de ch£ur. D’autant qu’il s’est jusqu’ici abrité derrière la carrure de Bart De Wever. Une vieille fréquentation…

« JE SUIS UN FLAMAND RATIONNEL, BART DE WEVER EST UN FLAMAND ÉMOTIONNEL »

La nuance, apportée par Beke, n’est pas de taille à dissiper le malaise de cet Ecolo : « Il paraît très subjugué par De Wever, sous son emprise politique et intellectuelle. » Beke s’assume « flamingant, pas flamand nationaliste ». Confédéraliste, pas séparatiste. « J’ai de plus en plus de doutes sur l’épaisseur de ces frontières, soupire ce président de parti francophone. Il incarne cette jeune élite flamande habitée par un sentiment de supériorité : c’est la Flandre qui réussit, après avoir été méprisée, et qui se montre revancharde envers une Wallonie perçue comme paresseuse. Tout cela transparaît avec courtoisie, sans suffisance. » Et de manière très cérébrale, là où Bart De Wever y met les tripes. « C’est ce qui nous distingue. Bart et moi partageons beaucoup d’inquiétudes et d’agacements », confesse Wouter Beke. Deux hommes faits pour se compléter. Ils s’étaient découvert des atomes crochus dès la KU Leuven : De Wever planchait sur le nationalisme flamand, Beke sur le mouvement flamand au sein du CVP. La complicité s’est poursuivie en politique. Jusqu’au cartel CD&V – N-VA, où l’un et l’autre ont été aux premières loges. La rupture n’empêche pas de se quitter bons amis.

Chacun sa route. Beke choisit la voie de la négociation. Vieux réflexe, hérité d’un autre grand nom du nationalisme flamand, Hugo Schiltz, une référence dans l’engagement politique du jeune Wouter. Il a côtoyé le grand homme de la VU à la fin des années 1990, au sein du groupe de réflexion Vlaanderen Morgen. « Beke a retenu de Schiltz la nécessité absolue de négocier », rappelle un participant. C’est déjà ça.

« LE CD&V, LE PLUS BEAU PARTI DE FLANDRE »

C’est Beke qui le dit. Il croit dans ce CD&V qui lui va comme un gant. S’avise-t-on d’épingler son cruel manque de rayonnement ? Beke prend son parti à témoin : « Le CD&V est un parti de nuances, fait de grisé plutôt que de noir et blanc. Le gris, c’est souvent la sagesse. » Du CVP pur jus. Yves Leterme en fait son vice-président, en 2003. Beke passe sept ans à servir quatre présidents : Leterme, Vandeurzen, Schouppe, Thyssen. Et deux présidences ad interim. Dont l’une, ingrate, dans la foulée de la débâcle électorale de juin 2010. Il a bien mérité de son parti. Qui le plébiscite avec les pleins pouvoirs présidentiels le 22 décembre dernier, par 98,73 % des 25 000 suffrages exprimés. L’infatigable travailleur de l’ombre projeté en pleine lumière a pris goût à la fonction. Sans intention de faire de la figuration. Il voit grand pour le CD&V : en refaire le grand parti populaire de Flandre.

« LE CHARISME EST UN TRAIT SURESTIMÉ D’UN BON POLITICIEN »

Beke se console vite d’en être dépourvu. Un coup d’£il dans le rétroviseur suffit à le convaincre que le déficit peut être porteur. « Quelqu’un avait-il décelé un quelconque charisme en Jean-Luc Dehaene ou Herman Van Rompuy au début de leur carrière ? Yves Leterme avait l’air d’un comptable terne. Tous les politiciens charismatiques ont-ils jamais décroché ses 800 000 voix ? » L’ambitieux a ses références. Du haut de ses 44 810 voix au scrutin de 2010, le jeune sénateur est encore très loin des sommets de la popularité. Patience… « Il a l’étoffe d’un grand. D’un futur Premier ministre », assure un partisan au CD&V. Les francophones se satisferaient déjà d’une tout autre envergure que son profil sans panache de suceur de roue de la N-VA. Beke n’a pas rougi sous l’affront : « Soyez tranquilles, je mène ma propre course. Mais pas toujours sous l’£il des caméras. » Le bougre aurait-il programmé son échappée en secret ?

(1) Citations de Wouter Beke extraites d’interviews accordées depuis 2001.

PIERRE HAVAUX

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le Vif/L’Express de cette semaine.

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