Wouter Beke © Dieter Telemans

Wouter Beke: « Contre la N-VA, le CD&V gagne 5-0 »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le président du CD&V n’aime pas le style de Theo Francken. Wouter Beke croit en la majorité silencieuse qui rejette la politique de combat. Un Michel II ? Pas si la N-VA revient avec le communautaire.

La majorité fédérale a fêté ses trois ans en se félicitant des réformes engrangées. Dans notre édition du 20 octobre dernier, le patronat flamand (Voka) nous déclarait : « Le travail n’est pas fini ! » Votre avis ?

Du bon travail a déjà été accompli. En 2014, nous avons constitué un gouvernement focalisé sur le socio-économique, pas sur le communautaire. C’est peut-être une évidence aujourd’hui, mais à l’époque, cela ne l’était pas. Or, en une législature, nous aurons créé plus de 200 000 emplois, restauré notre position concurrentielle, mené des réformes structurelles tout en dégageant de l’argent pour les besoins sociaux : huit milliards pour les pensions, cinq pour les soins de santé…

Mais le travail de la suédoise est-il fini ?

Bien sûr que non. Nous devons concrétiser l’accord de cet été, dont la réforme de l’impôt des sociétés et la taxation des comptes-titres. Ce ne sont pas des affaires courantes, contrairement à ce que disait aussi le Voka avant l’été, mais des affaires décisives.

Est-ce une période facile pour faire de la politique avec les affaires, l’antipolitisme croissant ?

Je suis président de parti depuis sept ans et je n’ai jamais connu de période facile. En 2011, nous avons négocié 541 jours pour obtenir une réforme de l’Etat : il y a aujourd’hui de la stabilité institutionnelle et plus personne ne parle plus de BHV. Nous avons été confrontés à des attentats, à la crise des réfugés, sans oublier les scandales politiques, surtout celui du Samusocial à Bruxelles, qui jettent une ombre sur la politique, c’est vrai. La seule réponse consiste à faire ce que l’on a promis aux électeurs et à tenir fermement sa ligne politique.

Ce n’est pas toujours simple pour le CD&V d’être dans une coalition fédérale très à droite…

C’est vrai, mais la force de conviction peut l’emporter sur les circonstances. Il faut mener les réformes socio-économiques nécessaires, point à la ligne. C’est ce que nous avions promis lors de l’entretien conjoint avec Charles Michel avant les élections de 2014. C’était aussi un signal pour dire que ceux qui voulaient mettre le communautaire en avant n’étaient pas des partenaires de discussion.

Lancerez-vous le même signal pour la prochaine législature ?

Nous verrons en 2019. J’ai lu que Jan Jambon, qui est quand même l’homme le plus important de la N-VA dans le gouvernement, voulait remettre le communautaire sur la table en 2019. C’est son droit de le faire, c’est un nationaliste, mais il lui faudra une majorité des deux tiers au Parlement et proposer un programme clair. Or, Bruno De Wever, frère du président de la N-VA, dit lui-même que le parti nationaliste n’a jamais présenté un plan de réforme communautaire concret. Nous, chrétiens- démocrates, par contre, sommes les initiateurs de cinq grandes réformes de l’Etat. Sur ce terrain-là, nous n’avons donc pas de leçon à recevoir : c’est 5-0 ! Sans plan réaliste, on risque de se retrouver avec un dialogue de sourds comme en Catalogne ou avec le Brexit, ce qui provoque des frustrations.

u0022Le style et la communication à la Donald Trump de Theo Francken ne sont pas les miens u0022

Le secrétaire d’Etat N-VA, Theo Francken, est omniprésent. Qu’en pensez-vous ?

Chacun fait de la politique de la manière dont il l’entend. Mais son style et sa communication à la Donald Trump ne sont pas les miens, ni ceux des chrétiens-démocrates. Nous avons une divergence de vue à ce sujet, qui restera. C’est son droit de se comporter comme cela, mais c’est le mien de prendre mes distances et de considérer qu’on peut communiquer d’une autre manière. La CD&V Hilde Crevits, ministre régionale de l’Enseignement, est la femme politique la plus populaire en Flandre. Or, c’est la figure la moins polarisante qui soit.

On a le sentiment que cette manière de faire de la politique prospère pourtant en Europe : Allemagne, Autriche, Hongrie, Tchéquie…

Il faut être prudent dans l’analyse : je suis convaincu qu’une majorité silencieuse attend autre chose de la politique qu’un combat verbal quotidien. Il y a un an, on misait sur la chute de Merkel en Allemagne, sur la victoire de Wilders aux Pays-Bas et de Le Pen en France. Beaucoup d’électeurs ont voté pour les extrêmes, oui, mais davantage encore ne l’ont pas fait.

Le centre, c’est l’avenir ?

Pour autant qu’il ait une consistance idéologique. Ce n’est pas le mélange d’un peu de ceci ou de cela. Je crois au personnalisme du philosophe Emmanuel Mounier, en un individu qui n’est pas replié sur lui-même, mais qui se renforce au contact des autres, qui les respecte. C’est plus nécessaire que jamais…

Cette conviction est-elle en danger ?

L’ONG CNCD-11.11.11 a demandé un sondage qui conforte notre politique : nous ne pouvons pas accueillir tout le monde, nous ne pouvons ouvrir nos frontières que si l’Europe assume son rôle à ses frontières extérieures, mais nous devons aussi accueillir de façon humaine les candidats réfugiés. C’est notre politique. Et soyons clair, ceux qui abusent de notre hospitalité doivent être renvoyés. La difficulté du parc Maximilien à Bruxelles, c’est que l’on y accueille des gens qui ne demandent même pas l’asile chez nous, qui attendent pour aller en Grande- Bretagne. Nous ne pouvons pas devenir un shopping center.

Vous avez exprimé votre inquiétude sur les réseaux sociaux au sujet de l’affaire Weinstein et des révélations qui ont suivi…

C’est évidemment inquiétant que de telles affaires surviennent, pas qu’elles soient dévoilés au grand jour. En tant que bourgmestre, je reçois chaque jour des rapports de police faisant état de nombreuses violences interfamiliales, notamment sexuelles. C’est une bonne chose que des frontières soient clairement posées entre ce qui peut se faire et ce qui ne peut pas. Par ailleurs, on ne peut pas tout traduire en loi, mais on peut donner des signaux. Dans ma commune, nous avons nommé une femme commissaire en chef, pour induire une autre forme de culture.

Etes-vous inquiet de la santé du CDH ?

C’est évidemment une préoccupation pour l’avenir. Ce n’est pas un secret que je souhaitais la participation du CDH à notre majorité en 2014. Il a malheureusement fait un autre choix alors. Mais le MR et le CDH sont des partenaires importants pour mener une forte politique du centre.

Un Michel II est-il souhaitable ? Koen Geens, votre ministre de la Justice, l’a évoqué…

Ce que Koen Geens a dit, c’est que nous collaborons très bien avec le Premier et avec le MR. C’est mon avis aussi. Mais au sujet d’un Michel II, je ne peux pas m’avancer. Si Jan Jambon annonce qu’il reviendra avec le communautaire en 2019, on se retrouvera dans une tout autre configuration.

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