Thierry Denoël

Waterloo 2015 : l’incompétence wallonne

Thierry Denoël Journaliste au Vif

La bataille pour Waterloo n’en finit pas. Le recours prévisible de la société Tempora, écartée du marché scénographique, met en péril les commémorations de 2015.

Prévoir, c’est gouverner. Tout bon stratège politique le sait. Napoléon n’avait pas prévu la défaite de Waterloo. Deux cents ans plus tard, la Région wallonne a géré le dossier des commémorations avec un amateurisme navrant. Si le chantier du bâtiment du futur mémorial est en bonne voie, la scénographie qui doit habiller les lieux, avec notamment un film en 4D reconstituant la bataille historique, est au point mort. L’enjeu touristique est pourtant énorme pour la région. Plus de 70 000 visiteurs sont attendus en 2015. Les tour-opérateurs britanniques et canadiens se frottent déjà les mains. A partir de cette date, les espoirs sont de passer de 300 000 à au moins 500 000 visiteurs annuels du site.

Mais voilà. La saga du marché public pour la scénographie n’en finit pas de rebondir. Le premier appel d’offres pour l’étude de la conception scénographique date pourtant de 2005. Il y a huit ans ! Or aujourd’hui aucun candidat n’est encore désigné définitivement. Ce premier marché de 2005 avait déjà été entaché d’irrégularités. Il avait fallu en lancer un nouveau, en 2006. Remporté, cette fois, par la société Tempora, alliée à Franco Dragone pour la réalisation du film. Puis, pendant sept ans, le dossier a dormi, sans qu’on ne parle jamais d’un marché pour la réalisation de la scénographie. Au printemps 2013, le ministre du Tourisme Paul Furlan (PS) a, lui, décidé de renouveler l’appel d’offres, en lançant un appel à la fois pour la conception et la réalisation, avec un budget revu à la baisse (de 10 à 6 millions d’euros). C’est là que les choses se sont envenimées. Dragone s’est vite retiré du jeu. Une alliance de sept candidats a dénoncé le nouveau marché « fait sur mesure » pour Tempora. L’administration de Furlan a dû revoir sa copie.

La guerre n’a fait que s’étendre. Les sept se sont regroupés au sein de la Belle Alliance et ont convaincu le réalisateur « oscarisé » Gérard Corbiau de les rejoindre. Tempora a ensuite rétorqué en lançant des actions judiciaires à l’encontre de deux sociétés de l’Alliance, dont elle avait épluché les comptes et la situation juridique. In fine, c’est Corbiau et les alliés qui ont remporté le marché wallon, en décembre dernier. Mais Tempora vient d’introduire un recours en extrême urgence devant le Conseil d’Etat pour suspendre la décision du gouvernement wallon. La haute juridiction doit se prononcer dans les 15 jours. Si elle déboute Tempora, cette dernière pourra encore introduire un recours en annulation, une procédure beaucoup plus longue. Aujourd’hui, le ministre Furlan se dit serein face à ce recours. En juin dernier, il déclarait pourtant au Vif/L’Express : « Nous devons éviter les recours. Ce serait catastrophique. »

Dans le dernier appel d’offres, il est prévu que la réalisation dure 300 jours maximum. Il en reste 500 avant les commémorations de juin 2015. S’agit-il de 300 jours ouvrables ? Une période de rodage n’est-elle pas nécessaire pour une réalisation et un événement de cette ampleur, ce qui impose que tout soit en place plusieurs mois avant les festivités ? Cela sera-t-il suffisant pour le réalisateur du film en 4D ? Bref, il semble que beaucoup de choses n’aient pas été prévues dans ce dossier, notamment la guerre des recours. Alors que, comme le dit Furlan lui-même, en Wallonie, le recours est devenu un sport national. Ah, gouverner…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire