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Wallonie : le PS en plein « cacophonisme »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Pour le ministre-président Rudy Demotte, une dose de nationalisme pourrait aider au redressement de la Wallonie. Jusqu’ici, les dirigeants socialistes wallons avaient toujours refusé d’employer ce mot-là.

Avant Rudy Demotte, seuls deux socialistes s’étaient risqués à accoler les mots « nationalisme » et « Wallonie ». C’est dire si les déclarations du ministre président wallon et francophone, semaine dernière, présentant les Fêtes de Wallonie comme un « événement nationaliste » et vantant le caractère positif de cette dimension identitaire, en marge d’une conférence de presse à Namur, dépassent le simple registre de l’anecdote.

Parmi les figures importantes du PS, les uniques prédécesseurs de Rudy Demotte sur ce terrain glissant se nomment Jean-Maurice Dehousse et Alain Van der Biest. Le premier, ministre-président wallon de 1982 à 1985, s’est progressivement radicalisé sur le plan communautaire, au point de se déclarer « nationaliste wallon » dans ses dernières interviews. Le second, ministre régional de 1990 à 1992, a publié Notre Nation, un essai au parfum de romantisme exhalant les charmes de l’âme wallonne, quatre ans avant de se suicider, en 2002.

A ces deux exceptions près, les socialistes qui ont incarné le combat wallon se sont toujours tenus à carreau, soucieux de déjouer les pièges du vocabulaire. D’André Cools à José Happart, de Freddy Terwagne à Jean-Claude Van Cauwenberghe, tous se sont dit régionalistes, jamais nationalistes. Sans doute parce que le nationalisme flamand, ancré à droite, voire à l’extrême droite, faisait pour eux figure de repoussoir, et suffisait à discréditer le mot lui-même. En s’auto-propulsant dans la catégorie des nationalistes wallons, fût-ce sur un ton feutré, Rudy Demotte s’est donc rangé aux côtés de deux spécimens rares.

En fait, il s’inscrit dans le droit fil de l’action menée par Guy Spitaels entre 1992 et 1994. Ministre-président wallon, l’Athois s’était alors attelé à bâtir la Wallonie, avec la volonté de lui donner les structures d’un quasi-Etat, et une attention très forte aux symboles. Sous son égide, un spectacle son et lumière grandiose, baptisé Wallonia Wallonia, avait été organisé à la citadelle de Namur, tandis que le Conseil régional avait été renommé Parlement wallon. Tout comme Spitaels, Demotte provient de la petite fédération du Hainaut occidental. Il est d’ailleurs le seul, parmi les dirigeants socialistes actuels, à avoir été convié au dîner organisé par l’ex-président du PS en septembre 2011, à l’occasion de ses 80 ans.

Les socialistes, en particulier, butent et re-butent sur les mêmes questions depuis cinquante ans. Comment se saisir des questions nationales, communautaires, sans avoir l’air de dédaigner les questions sociales ? Quels liens nouer avec la Flandre ? Quelles relations établir entre les francophones de Wallonie et de Bruxelles ? Sur tous ces débats, Rudy Demotte, Jean-Claude Marcourt, Paul Magnette, Elio Di Rupo, Philippe Moureaux et les autres galonnés du PS ont pris l’habitude de se contredire. Ou de se taire.

Aperçu :

Elio Di Rupo : « Je n’aime pas le mot nationalisme qui est trop connoté, trop entaché par les crimes commis en son nom dans le monde. La nation est néanmoins un projet collectif essentiel, une manière de réunir les gens autour d’un même héritage, de valeurs communes et d’un projet d’avenir. (…) Je vois donc d’un très bon oeil les initiatives visant à consolider des liens entre Bruxelles et la Wallonie. »

(Une vie, une vision, entretiens avec Francis Van de Woestyne, éd. Racine, 2012)

Philippe Moureaux : « Je n’aime pas trop le mot nation. Je vois plutôt une alliance très forte, très structurée entre les francophones de ce pays… Plus qu’une alliance, donc, une structure avec vraiment des choses en commun. Entre la Wallonie et Bruxelles, il existe une cohésion culturelle, qu’il faut maintenir. A long terme, il faudra voir si cette cohésion ne peut pas aussi s’appuyer sur la France. En matière de culture, d’enseignement, on pourrait imaginer des rapprochements avec la France, établir des échanges plus forts. (…) Je ne plaide pas pour le rattachement ! Mais, par rapport à l’avenir, il faut laisser toutes les portes ouvertes. »

(Le Vif/L’Express, septembre 2010)

Jean-Claude Marcourt : « Pour moi, la Belgique peut et doit être fondée sur trois Régions. Je ne dis d’ailleurs rien d’autre que ce que Jules Renard, André Cools ou Freddy Terwagne ont dit avant moi. (…) Je suis un régionaliste convaincu. Et le régionalisme est antagoniste avec le séparatisme. »

(L’Avenir, septembre 2011)

Paul Magnette : « Il y a aujourd’hui un sentiment national wallon qui s’est lentement formé, mais pas de tentation nationaliste. (…) Il y a longtemps eu, et il y a sans doute toujours aujourd’hui, une certaine confusion entre la défense de la Wallonie en tant que territoire, d’une part, et l’attachement à une communauté de langue française qui dépasse largement ce territoire, d’autre part. (…) La première condition pour que la Wallonie se dote d’un projet fort est d’enfin sortir de la nostalgie, ou des rêves rattachistes, et d’admettre que la perspective partagée est celle des régions fortes dans un cadre fédéral belge modernisé. (…) Il faut vraiment sortir de l’idée que lorsque l’on renforce les Régions, on affaiblit le fédéral, et qu’il faut choisir entre un sentiment national wallon et un attachement à la Belgique. »

(Grandeur et misère de l’idée nationale, entretiens avec Jean Sloover, éd. Luc Pire, 2011)

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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