Aéroport de Liège. © BELGA

Wallonie : ces patrons publics aux salaires trop élevés

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le gouvernement régional a traîné les pieds pour livrer au parlement de très partiels tableaux de rémunérations de 48 organismes publics. Le Vif/L’Express a pu se les procurer en exclusivité. Les émoluments de certains gestionnaires dépassent le plafond prévu par une circulaire.

Daté de la belle époque de l’arc-en-ciel, sous Jean-Claude Van Cauwenberghe, un décret de 2004 relatif au statut de l’administrateur public, et modifié au cours du second passage écologiste (2009-2014) dans un exécutif régional impose au gouvernement wallon de transmettre au parlement les rémunérations annuelles perçues par les administrateurs et gestionnaires d’une petite cinquantaine d’organismes publics, des aéroports régionaux à l’Awiph, de l’Awex aux Ports autonomes, des TEC au Forem, de la Société du circuit de Spa-Francorchamps à la Wallonne des eaux, et on en passe. Après de nouvelles modifications, le gouvernement a rendu sa première copie, pour l’exercice 2014. Dans les temps, certes, puisque le parlement devait les recevoir à la fin septembre. Mais comme un élève qui ne voudrait pas être coté. Voici ce qu’on y trouve.

48 organismes concernés, pour lesquels il fallait distinguer entre, primo, administrateurs, généralement politiques et chargés d’une mission d’impulsion et de contrôle et, secundo, gestionnaires, en charge de la direction quotidienne des institutions. La distinction est importante, sa présentation rendra l’exercice presque illisible. « Soit on joue le jeu à fond, soit on ne le joue pas », s’énerve le député MR Nicolas Tzanetatos, président de la Commission des Affaires générales où ces tableaux ont été vivement discutés, « disparates. C’est un total de 693 mandats que recensent les tableaux, pas tous rémunérés, et pas tous à temps plein -surtout pas ceux des administrateurs, bien entendu.

23 tableaux maquillés, dans lesquels, pour des raisons d’anonymat ou parce qu’une partie de l’actionnariat est privé, les rémunérations annuelles autant que le nombre des administrateurs et des gestionnaires sont cumulées indistinctement : les distinguer aurait exposé le directeur/patron de l’institution. La méthode employée rend pratiquement impossible de connaître autant le salaire des gestionnaires que les rétributions des administrateurs. Sont concernés : les aéroports de Liège et Charleroi, les Ports autonomes, la Sofico, les TEC Namur-Luxembourg, l’Agence wallonne des télécommunications, Wallimage Entreprises, ou les Agences pour l’entreprise et l’innovation (AEI), de stimulation économique (ASE) et de stimulation technologique (AST), la SOWAER, la SWL.

190 mandataires féminins, contre 503 masculins, dirigent ces structures wallonnes. La loi leur demande de compter un tiers au moins de femmes. On est loin du compte, même si une grande partie des institutions respectent le prescrit. D’autres le foulent allègrement au pied. Mentionnons les deux courageuses dames, confrontées à 16 hommes au Port autonome de Charleroi comme à celui de Namur dans leurs conseils d’administration et organes de gestion. Ou encore la seule femme parmi onze membres du comité exécutif de la Société du Circuit de Spa-Francorchamps. Il n’y en a aucune au comité de direction de la Société publique de Gestion de l’Eau (SPGE), ni à celui de la Société régionale wallonne du Transport (SRWT), ni à celui de la Spaque, ni à celui de l’aéroport de Charleroi, ni à celui de celui de Liège. Révoltant ? Pas de panique, disent à chaque fois – sous la dictée de leur ministre de tutelle – ces mâles patrons : ils veilleront, promis, « à la présence équilibrée d’hommes et de femmes à chaque renouvellement » ou à « sensibiliser les personnes morales désignant les membres quant à la parité de genre. »

700 euros, le plus gros jeton de présence, est celui qu’offre aux membres de son conseil d’administration la Société wallonne des eaux. Le montant de ces jetons se situe en général entre 50 et 250 euros, systématiquement majorés pour les présidents ou vice-présidents des CA. L’Agence wallonne des Télécommunications (44 euros), le Centre hospitalier psychiatrique Les Marronniers (402 euros), la Société wallonne du Crédit social (397 euros), la SPGE (372 euros) sont celles qui distribuent les plus généreux jetons. Encore cet état des lieux n’est-il que peu révélateur, puisque les tableaux transmis au Parlement ne mentionnent pas le nombre de réunions tenues, ce qui prive d’une idée précise des émoluments totaux des administrateurs publics wallons.

O, le nombre d’Invests à avoir publié des données complètes. Aucun n’a transmis les chiffres concernant ses organes de gestion. Dans les cases « rémunération perçue par les administrateurs publics » ne figurent jamais que les montants du jeton de présence du simple administrateur. « Si on rapporte le montant du jeton de présence avec les sommes totales versées, l’Invest Mons Borinage Centre aurait tenu en 2014 cinquante conseils d’administration », s’étonne l’écologiste Stéphane Hazée. La seule rémunération fixe d’un président d’Invest wallon est celle de la structure liégeoise. Donc celle de Jean-Michel Javaux (30 948 euros annuels). Il n’est pas étiqueté socialiste. Les autres présidents le sont.

20, le nombre de bénévoles à exercer un mandat non rétribué dans cet entrelacs d’institutions de tous secteurs, comme administrateurs au Port autonome du Centre et de l’Ouest, chez Wallimage Coproductions, et comme administrateurs et comme gestionnaires à la Société d’assainissement et de rénovation des sites industriels du Brabant (Sarsi). Les administrateurs des Invests du Hainaut occidental, de Belgique germanophone, de Luxembourg développement, et d’Investsud (Marche-en-Famenne) ne reçoivent rien non plus, disent les tableaux du ministre Marcourt.

245 000 euros bruts annuels, la rémunération brute la plus élevée à laquelle peut théoriquement rêver le gestionnaire public wallon. Ces émoluments sont encadrés et plafonnés par une circulaire d’avril 2014. Or les trois patrons de la SPGE se répartissent 795 000 euros. Quel que soit l’équilibre qui prévaut entre eux, il est mathématiquement impossible qu’aucun ne dépasse le plafond. Et il n’est pas improbable que parmi les deux gestionnaires de la SRWT, qui se partagent 445 000 euros, et les trois de la SWDE, qui disposent de 648 000 euros, la circulaire soit elle aussi escamotée. Elle ne prévoit pas d’escamoter immédiatement les salaires concernés. Ils devront légalement l’être lors du renouvellement des mandats.

Un nouveau décret ? « J’ai fait exactement ce que demandait le décret », s’est exclamé, en commission, le ministre-président Magnette (PS) face aux protestations de l’opposition. Celle-ci est renvoyée, si elle veut des précisions, vers la commission parlementaire qui concerne chaque organisme… Un décret MR, amendé et appuyé par les écologistes, veut obliger le gouvernement à une information plus claire, plus systématique, et donc plus complète. La majorité wallonne et ses gestionnaires publics portent étrangement moins cette revendication.

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