Thierry Fiorilli

Vous avez piscine dimanche ? Ne votez pas

Thierry Fiorilli Journaliste

Ça revient en fait à dire : si vous avez piscine dimanche, allez-y tranquilles, et tant pis si vous ne votez pas.

Et c’est annoncé, sans ambages, par le porte-parole de la ministre de la Justice, alors que le vote reste obligatoire chez nous et que, depuis, des années déjà, on sait le désintérêt croissant de la population pour la politique belge. Parce qu’elle est compliquée, avec tous ses niveaux de pouvoir ; parce que le système électoral empêche des duels comme on en vit en France, aux Etats-Unis, en Italie, en Grande-Bretagne ; parce qu’il n’y a pas de réelle culture politique qui fait, comme en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, discuter avec fougue et clameurs « les gens », au café, au bar, à la cantine, des programmes des uns et des promesses des autres ; parce qu’il n’y a pas ce panache, cette verve, cette faculté à passionner les foules qu’ont la plupart des orateurs du sérail français, italiens, anglo-saxons. Même l’interminable crise de 540 jours entre les élections générales de juin 2010 et la formation du gouvernement Di Rupo en décembre 2011 n’a pas (r)éveillé la « conscience politique » de la population belge.
Mais voilà que quatre jours avant le scrutin communal, l’autorité censée incarner les poursuites qu’encourt l’électeur qui n’aura pas rempli son devoir fait savoir que, en somme, ce n’est pas si grave puisqu’il ne sera pas poursuivi.

On peut débattre de l’hypocrisie de la situation jusqu’ici : depuis bientôt dix ans, aucune juridiction n’a ordonné de comparution devant le tribunal (de police) pour quelqu’un qui n’est pas allé voter, alors que la loi le stipule clairement (aux dernières législatives, 11% des électeurs belges ont snobé leur devoir). Autant, donc, liquider une bonne fois, officiellement, l’obligation de vote.

Mais on doit surtout considérer que l’aveu du porte-parole d’Annemie Turtelboom porte en lui quelque chose de suicidaire : la Belgique est sans cesse en pleine transformation fonctionnelle, donc d’âme et de cerveau, de coeur et de corps, depuis quarante ans et la première réforme de l’Etat ; et ses plus petites entités (les Régions, les Communautés et les communes) – donc celles qui sont les plus proches du citoyen, celles sur lesquelles ce citoyen a en théorie et en pratique davantage de contrôles, d’influences – voient leurs compétences augmenter ou muer sans discontinuer ; le vote est donc plus que jamais indispensable, même s’il exprime un rejet des partis démocratiques. Il incarne aussi, là où nous revendiquons chacun ou collectivement toujours plus de droits, là où nous contestons toujours davantage la sanction, l’un de nos derniers devoirs. Un devoir extraordinaire, en fait, au sens merveilleux du terme : donner notre avis, notre choix, sur celles et ceux qui veulent nous gouverner.

L’annuler, le sous-estimer, lorsqu’on est soi-même l’un ou l’une de celles et ceux qui nous gouvernent déjà ne peut que discréditer (encore plus) « la classe politique », et persuader « les gens » que, de toute façon, qu’on vote ou pas, « tout ça c’est du pipeau ».
Dimanche, les assesseurs auront tout le loisir de le méditer. Eux qui seront poursuivis, s’ils boudent l’élection. Parce qu’ « on a réellement besoin d’eux », insiste la même porte-parole d’Annemie Turtelboom. Dans des bureaux de vote de plus en plus vides. Au contraire des piscines.

Thierry Fiorilli

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