Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang. © BELGAIMAGE

Voter Vlaams Belang ? Une peur déplacée…

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Deux chercheurs de la KUL ont longuement interrogé des électeurs d’extrême droite. A travers le rejet parfois très cru des étrangers, ceux-ci dénoncent en réalité une rupture de contrat avec les politiques.

L’air du temps est brun. Le populisme d’extrême droite a le vent en poupe, dans toute l’Europe. « Au vu de cette vague, le Vlaams Belang n’est plus une curiosité flamande dépassée, constatent Thierry Kochuyt et Koen Abts, sociologues politiques de la KUL. Son explosion dans les années 1980 fut le signe avant-coureur d’un courant qui place aujourd’hui nos démocraties représentatives devant de sérieux défis. » A l’heure où le continent tout entier frissonne de voir l’AfD entrer au Bundestag, une première depuis la Seconde guerre mondiale, il est grand temps de se pencher sur les raisons profondes de cette réémergence.

Les voix des électeurs de ces partis sont trop souvent inaudibles en raison des excès de leurs leaders ou du cordon sanitaire qui les emmurent. Or, elles expriment un signal d’alarme qui doit être entendu. Voilà pourquoi Thierry Kochuyt et Koen Abts sont longuement partis à la rencontre des électeurs du Vlaams Belang à Anvers, Brasschaat ou Schoten. Dans un livre passionnant en néerlandais, que l’on peut traduire par « ce populisme que l’on n’entend pas » (1), ils relayent leurs angoisses au sujet de la ville, de la migration, de l’Etat-providence ou de la politique. Le constat plus profond qui en découle est un désenchantement, une perdition, un sentiment d’abandon dans une société bouleversée par la globalisation, le flexibilité et l’individualisation. Autant de sources de peurs.

« Ils ne vivent pas comme nous »

« Aux yeux de ces électeurs, le monde politique se préoccupe trop de ses propres intérêts et s’enferme dans un politiquement correct qui nie les ‘vrais ‘ problèmes des gens, soulignent les deux chercheurs louvanistes. Ce qui est en jeu, derrière le rejet des étrangers, c’est la relation entre le citoyen et le pouvoir. » Un lien à reconstruire. Une urgence d’autant plus grande que nos démocraties sont devenues un grand théâtre où priment la personnalité des leaders, leur image et leurs petites phrases. Comme un miroir, les citoyens sont devenus pour leur part des spectateurs ahuris, décontenancés. Et furieux.

Alors, oui, au commencement de tout, il y a l’Autre. L’étranger. Celui qui vient troubler la quiétude supposée d’antan. « Se promener dans les rues et se rendre compte qu’elles sont plus sales qu’avant, dit une Anversoise de 43 ans. Ces migrants n’ont pas de respect. » Les nouveaux venus sont tenus pour responsables de la transformation urbaine : ils ne rénovent pas leur maison, ils jettent l’huile dans les caniveaux… En résumé : « ils ne vivent pas comme nous. » Il n’y a pas forcément de récriminations racistes dans le plaidoyer de ces électeurs. Aucune race, aucune culture n’est supérieure à d’autres. « Le monde nous appartient tous, insiste un jeune de 26 ans, à l’unisson avec une aînée de 64 ans. Mais ici, ils doivent s’intégrer. » L’incompréhension mutuelle et l’absence de la connaissance du néerlandais renforcent le sentiment d’une menace diffuse.

L’enquête universitaire menée par Kochuyt et Abts se penche longuement sur les fragilités de cet électorat touché dans sa chair, pour qui la xénophobie ordinaire est un échappatoire facile. Un acte de vandalisme, une remarque déplacée, une attaque physique et le vote Vlaams Belang apparaît comme une évidence. « C’est devenu dangereux d’avoir une belle maison, une belle femme, un beau compte en banque », lâche un pensionné de 77 ans. D’autant qu’en face, il y a ces Autres dont la cohérence est forte, qui vivent en famille, en bandes. « Nous, Flamands, sommes devenus tellement individualistes. » La crispation est d’autant plus forte que ces étrangers constituent un obstacle à l’entrée du marché du travail. « La question migratoire est avant tout un problème relationnel duquel naissent des rivalités entre les uns et les autres, analysent les chercheurs. Le bien-être la sécurité sont des biens rares, le gain de l’un est la perte de l’autre. » Cela est perçu comme une injustice, face à laquelle le citoyen se sent impuissant. « Les étrangers sont montrés du doigt, pas nécessairement parce qu’ils sont différents, mais parce qu’ils symbolisent le changement social », prolongent-ils. Hors de la ville dans la banlieue d’Anvers, où ils sont moins nombreux, le vote pour le Vlaams Belang se fait préventif: cette remise en cause de notre prospérité est imminente…

« Ni protégés, ni compris »

Les expressions sont fortes à l’égard des étrangers, sources de tous les maux. Mais à travers eux, ce sont surtout les représentants du peuple qui sont visés. « De nombreux électeurs du Vlaams Belang ne se sentent ni protégés, ni compris par les élus en place, soulignent les auteurs de l’enquête. La plainte centrale est la rupture du contrat politique. Nos représentants ont échoué dans leur mission. » Trop de promesses envolées. Trop de laxisme. « Je vois un certain nombre de choses se passer autour de moi en me demandant comment cela est possible, fustige un homme de 41 ans. Et si cela arrive, c’est parce qu’ils vivent dans leur tour d’ivoire. » « Depuis dix ans, le monde politique est sourd », prolonge un cadre pensionné. Les élites ne voient plus ce que la population vit. Ou alors, elles minimisent ces ressentis. Autant aller voir ailleurs…

Le Vlaams Belang est perçu comme le seul parti osant dire ce que ces malmenés pensent tout bas. Mais attention, précisent les personnes interrogées, ce mariage n’est pas un mariage à vie. « J’ai même peur qu’ils arrivent au pouvoir, précise une femme de 60 ans. Peur que cela devienne trop extrémiste. » « Ce n’est pas parce que l’on vote pour le Vlaams Belang que l’on est un néonazi, au contraire », plaide un homme de 37 ans. « Ce vote est finalement le résultat d’une accumulation d’absences de réponses politiques à des mutations de société », constatent Thierry Kochuyt et Koen Abts. L’expression, également, d’un désarroi face aux inégalités croissantes due à un capitalisme débridé et aux désillusions de la modernité.

« Notre enquête montre que les électeurs ayant perdu leur ancrage dans les piliers traditionnels de la politique tombent dans un maelstrom de ressentiments », soulignent les auteurs. C’est sur ce terreau d’aigreur que croissent les populistes. Voilà pourquoi ces voix, souvent caricaturales, parfois choquantes, doivent être au moins entendues. Voilà pourquoi il est indispensable, pour y répondre démocratiquement; de capter le malaise plus profond qui se cache derrière le rejet de l’Autre : la volonté, maladroite, d’être reconsidéré par une société qui laisse de trop nombreux citoyens sur le trottoir de la vie.

Ongehoord populisme, par Thierry Kochuyt et Koen Abts, ed. ASP, 262 p.

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