Christine Laurent

Vivre dangereusement

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

UNE COMÈTE DANS UN CIEL PLOMBÉ. Didier Reynders, parti comme une flèche dans les méandres des discussions institutionnelles, s’est posé dans un bruissement à peine perceptible. Pas de formule magique, pas de lapin sorti d’un chapeau. Quatre semaines de rendez-vous fébriles pour, in fine, un souffle d’air, un non-événement.

Certes, les libéraux sont désormais autorisés à s’asseoir autour de la sacro-sainte table des négociations. Finies les bisbilles côté francophone, cap sur l’unité. Dont acte. C’est le très sollicité CD&V qui va désormais mouiller sa chemise. Wouter Beke ? Un tendron face aux crocodiles de son parti, sans réel pouvoir ni expérience, et qui pourrait sauter sur la première mine venue. Et dans le brouillard dans lequel s’enlise notre pays depuis neuf mois, toujours pas l’ombre de l’ombre de l’ombre du moindre compromis. Or, on le sait bien, le compteur tourne, et plus particulièrement celui des finances publiques. La crise politique a un coût, exorbitant : 9 milliards d’euros par an depuis 2008, soit 2 ,7 % du PIB, faute de décision en matière du seul vieillissement de la population, comme le révèle le nouveau simulateur mis au point par la FEB et que nous vous dévoilons en exclusivité cette semaine. Un chiffre qui fait frémir et suscite une bien saine colère. Jusqu’où l’enlisement, la paralysie, les égarements ?

Un temps interminable qui n’est pas perdu pour tout le monde. Pour preuve, l’hyperactivité de la N-VA au Parlement. Ils bossent, ils bossent, les nouveaux maîtres de la Chambre et du Sénat, comme le prouve notre dossier. Tous présents aux séances, au sein des commissions, face à des bancs trop souvent désertés par les partis traditionnels. Avec arrogance, ils noyautent, ils bousculent tous les codes, imposant des méthodes radicales et bien peu orthodoxes. Et surtout, ils occupent le moindre interstice laissé béant par la vacance du pouvoir. Zélés, ils tentent le moindre compromis à droite et à gauche (mais surtout à droite-droite). Objectif : engranger un maximum d’acquis qu’ils viendront agiter sous le nez des électeurs flamands aux prochaines législatives. « J’ai dit à mes députés : nouez le plus de contacts possible, de tous les côtés. […] J’essaie moi-même de me rapprocher le plus possible des francophones », a confirmé à notre magazine Jan Jambon, leur chef de groupe à la Chambre. Pragmatisme, efficacité et sans états d’âme. Comme dans une entreprise, il faut faire du résultat.

Tout le contraire de l’attitude affichée par Bart De Wever dans le cadre des négociations institutionnelles. De Wever et ses interminables pirouettes. De Wever, rétif aux compromis et qui aux débats préfère les éclats. De Wever qui tartine avec délectation sur les blocages plutôt que sur les solutions possibles. De Wever qui n’a pas de volonté d’aboutir parce qu’il a un intérêt évident au statu quo. « On ne peut plus lancer une idée, on est constamment dans la tactique, la stratégie, on ne négocie pratiquement pas, il n’y a plus de contacts personnels », dénonçait récemment le sénateur CD&V Rik Torfs. La N-VA en rupture avec la démocratie « ronronnante », certes. Mais qui exploite subtilement la moindre parcelle de pouvoir offerte généreusement par les électeurs flamands au coeur même de la Belgique honnie, le Parlement. Sous notre nez, elle engrange, elle engrange. Mais tout obnubilés que nous sommes par les péripéties calamiteuses des négociateurs, on regarde ailleurs, on s’aveugle. Jusqu’à vivre dangereusement ?

Christine Laurent

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