Gérald Papy

Vertus et dangers de la contre-démocratie

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Deux événements récents nous ont donné une idée de la démocratie participative actuelle : le renoncement de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes de la part du gouvernement français d’un part, et le renoncement (temporaire) de Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, à une opération de police projetée contre les migrants du parc Maximilien d’autre part.

En France, le président Emmanuel Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe ont renoncé à la construction d’un nouvel aéroport nantais à Notre-Dame-des-Landes parce que, entre autres raisons, le chantier était source de trop grandes divisions, symbolisées par l’occupation du site par les opposants zadistes. Chez nous, le ministère de l’Intérieur a dû renoncer temporairement à une opération de police projetée contre les migrants du parc Maximilien à Bruxelles en raison de la mobilisation express des membres de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Si, à l’instar du sociologue Alain Touraine, on juge que la vigueur d’un mouvement démocratique se mesure à sa capacité  » à faire que les gens soient actifs  » et  » à fabriquer de la citoyenneté « , il faut se réjouir, quel que soit notre jugement sur la pertinence de ces actions, que nos démocraties vibrent au-delà des traditionnels rendez-vous électoraux. On a suffisamment averti du danger des déficits de la démocratie occidentale pour ne pas saluer des initiatives qui la renouvellent.

A côté du peuple-électeur, la contre-démocratie donne voix à un peuple-vigilant, un peuple-veto et même un peuple-juge

Cette évolution n’est toutefois pas dénuée de risques. L’historien Pierre Rosanvallon les a clairement identifiés en associant l’émergence de ces contre-pouvoirs citoyens (qu’il nomme la contre-démocratie dans le livre éponyme paru en 2006) à la montée de  » démocraties de la défiance « . C’est la perte de confiance croissante dans la politique et dans les personnalités politiques qui a accru la fréquence et la portée de ces initiatives parallèles. Avec les failles qu’elles révèlent : la décision sur Notre-Dame-des-Landes fait fi d’une consultation référendaire qui, elle, avait donné son feu vert à l’édification d’une nouvelle infrastructure ; la solidarité des acteurs bruxellois de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés pallie la coupable incapacité – ou absence de volonté – du gouvernement fédéral à remplir ses obligations d’accueil et d’hospitalité.

Pour Pierre Rosanvallon, à côté du peuple-électeur, la contre-démocratie donne donc voix et visage aux figures d’un peuple-vigilant, d’un peuple-veto et même d’un peuple-juge. Là est sa part d’ombre. Ce que l’historien de la démocratie appelle  » l’impolitique  » peut conduire à faire le lit du populisme. Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, en avait donné un aperçu lors des manifestations contre la modification du Code du travail à l’automne 2017 en opposant la vigueur – qui allait s’avérer très relative – de la mobilisation de la rue à la faiblesse supposée de l’assise électorale du président et en instillant donc le doute sur sa légitimité à réformer.

La solution pour prévenir cette dérive, pour le coup, antidémocratique ?  » Elle passe par la reconstitution de la vision d’un monde commun, la possibilité de surmonter l’éclatement et l’émiettement « , énonce Pierre Rosanvallon. Ne fût-ce que par son souci prononcé de la pédagogie, l’exécutif français, il faut bien le reconnaître, y réussit mieux que le gouvernement de Charles Michel.

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