Novembre 2017, présentation du code de bonne gouvernance à Bruxelles. © NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Vers un vrai contrôle citoyen en Belgique francophone ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Trop is te veel et Oxygène prônent la mise en place d’uncomité G, comme « gouvernance », pour vérifier la déontologie des mandataires publics. En toute indépendance. Et avec de vrais pouvoirs.

Quelque chose aurait donc changé en Belgique francophone. Bousculé par les affaires, le monde politique multiplie, depuis un an et demi, les promesses en matière de bonne gouvernance : cadastre des mandats, décumul, rémunérations moins élevées, rationalisation des outils… Après les scandales Publifin en Wallonie et du Samusocial à Bruxelles, le message aurait enfin été compris.

Pour garantir la sincérité de cette mise à plat, des instances veilleront au grain dans tous les parlements. La commission fédérale de déontologie a été installée le 13 juin 2016. En Région bruxelloise, la création d’une instance similaire a été entérinée, fin 2017. En Wallonie, elle figure au menu de la nouvelle majorité MR-CDH, qui devrait enfin concrétiser un engagement datant de 2014. Bref, ça bouge. Dans les rangs citoyens, on doute pourtant de cette volonté affichée à grands coups de slogans de la part d’un monde politique qui serre les rangs. Et des projets alternatifs voient le jour.

Trop is te veel : un comité G

 » Il manque toujours un système de contrôle réellement indépendant du monde politique, grince Marc Toledo, responsable du groupe Facebook Trop is te veel. Pour l’instant, ils continuent à se contrôler les uns les autres. Cela explique pourquoi les règles de bonne gouvernance brandies restent insatisfaisantes.  » Cet ancien patron de Toledo Telecom, qui a créé ce groupe de pression en décembre 2016 après avoir été choqué par l’affaire Publifin, se félicite d’avoir atteint les 30 000 membres sur le réseau social.  » Nous défendons des valeurs qui ne sont ni de gauche, ni de droite : l’honnêteté et l’intégrité, insiste-t-il. Depuis le début, nous ne voulons qu’une seule chose : l’inscription dans notre loi des recommandations internationales en matière de gouvernance publique. Créer un parti ? Ce n’est pas mon truc. Mon objectif, c’est de faire grandir ce groupe pour peser davantage encore sur le processus de décision.  »

Il est urgent de revoir ça. Nous ne sommes plus en 1830

La revendication principale de Trop is te veel, c’est désormais la création d’un comité G, avec G comme  » gouvernance  » ou  » goed bestuur « .  » Ce serait un mix entre la commission de déontologie actuelle et la Cour des comptes, souligne Marc Toledo. Mais avec des pouvoir plus étendus. Aujourd’hui, la Cour des comptes n’a qu’un pouvoir consultatif. Quant à la commission de déontologie, c’est difficile de la prétendre indépendante dès lors qu’elle est composée notamment d’anciens parlementaires et de mandataires publics. Ce comité G devrait avoir la capacité de mener l’enquête en profondeur. Pourquoi y a-t-il autant d’asbl à la Ville de Bruxelles, par exemple ? On devrait pouvoir s’intéresser à leur fonctionnement, regarder comment les organes ont été constitués, et se pencher sur les conflits d’intérêts potentiels. Je plaide aussi pour une sorte de DLU (NDLR : déclaration libératoire unique, créée pour permettre la régularisation fiscale) pour les politiciens, qui leur donnerait un an pour s’adapter aux nouvelles règles, démissionner de certains postes, casser des marchés publics inadéquats pour relancer ensuite les appels d’offres.  »

Ce comité G, appuie-t-il, devrait avoir des pouvoirs étendus. Pour éviter que le monde politique ne se protège lui-même, comme ce fut le cas dans l’affaire Mathot, le député PS couvert par son immunité dans l’affaire Intradel.  » Les parlementaires sont toujours protégés, dénonce Marc Toledo. Il est urgent de revoir ça, nous ne sommes plus en 1830. Il faut des règles, oui, mais aussi des possibilités de sanctionner véritablement.  »

Oxygène : une commission citoyenne

Marc Toledo (Trop is te veel) :
Marc Toledo (Trop is te veel) :  » Les règles de bonne gouvernance restent insatisfaisantes. « © SDP

Le parti Oxygène, fondé l’été dernier dans la foulée des affaires Publifin et du Samusocial, met la création d’une commission de déontologie citoyenne en tête de ses priorités. C’est même le premier point de son programme en matière de gouvernance, adopté mi-mars.  » Une commission de déontologie existe déjà, c’est vrai, mais les responsables politiques y sont juges et parties, souligne Donatien D’Hoop, en charge de ces questions au sein d’Oxygène. Nous voulons élargir ses prérogatives et modifier son organisation.  » Pour Oxygène, celle-ci devrait être composée pour 3/5 de citoyens tirés au sort, pour 1/5 de magistrats et, quand même, de 1/5 de représentants politiques.  » Parce que ceux-ci connaissent sans doute des cas de figure qui échappent au contrôle citoyen, par exemple lorsqu’un bourgmestre détient des mandats dérivés, non rémunérés, directement liés à sa fonction. Mais pour le reste, place au contrôle citoyen !  »

Le jeune parti souhaite également que cette commission ait la capacité de sanctionner les éventuels fautifs.  » La sanction suprême, c’est l’inéligibilité, déclare Donatien D’Hoop. Pour cela, il faut bien sûr faire appel à la justice. Mais nous souhaitons que les citoyens puissent introduire eux-mêmes une telle demande. Ce ne serait plus au Parlement de décider de la levée d’immunité d’un parlementaire. Pour que cette commission dispose d’un réel pouvoir, elle devrait encore pouvoir s’entourer d’experts si nécessaire. Et ne pas noyer le poisson comme c’est trop souvent le cas dans les commissions d’enquête parlementaire.  » L’exemple actuel de la commission consacrée au Kazakhgate, qui se divise au moment des conclusions en raison de l’obstruction de la majorité, n’est pas là pour contredire ce propos.

Donatien D'Hoop (Oxygène) :
Donatien D’Hoop (Oxygène) : « Les personnes qui nous représentent doivent être exemplaires. »© SDP

Oxygène prône, enfin, la mise en place d’un  » casier politique  » pour chaque mandataire public, complémentaire au casier judiciaire.  » Les personnes qui nous représentent doivent être exemplaires, martèle son responsable. La signification en latin du mot « ministre » dit bien que ce sont des mandataires au service de l’Etat, pas de leurs propres intérêts. Nous souhaitons limiter à deux le nombre de mandats consécutifs à chaque niveau de pouvoir et trois au total. Il faut cesser de considérer la carrière politique comme une rente à vie, avec une fin de carrière confortable à l’Europe.  »

Trop is te veel fait le choix du lobbying par réseaux sociaux interposés. Oxygène fait le pari de se présenter dans les urnes en 2019. Mais les deux veulent rompre avec des pratiques moyenâgeuses.  » Il faut empêcher à l’avenir que tous les organes soient politisés, avec des gens redevables, qui se tiennent les uns les autres « , clame Marc Toledo.  » S’ils continuent comme cela, sans vision à long terme et en privilégiant les intérêts partisans, ils iront droit dans le mur « , appuie Donatien D’Hoop.

Tous, nous irons dans le mur. Pas que les politiques.

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