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Van Gogh, naissance d’un artiste au Borinage

Guy Gilsoul Journaliste

Durant son séjour au Borinage, de décembre 1878 à octobre 1880, Vincent Van Gogh renonce à sa mission d’évangéliste et décide de devenir artiste. La grande exposition de Mons 2015 retrace cette période noire qui accouchera du peintre de la couleur.

Vincent Van Gogh (1853-1890) a 25 ans lorsqu’en décembre 1878, il s’installe dans le Borinage comme évangéliste. Moins d’un an plus tard, l’échec de sa mission l’isole et le révolte. Devient-il fou ? Son père, lui-même pasteur, songe même à l’emmener dans un asile psychiatrique. Le jeune homme prend alors une décision irrévocable : il sera artiste. L’exposition montoise, construite par Sjraar Van Heugten, ancien directeur des collections du musée Van Gogh d’Amsterdam, explore cette période témoin de la naissance d’une oeuvre aussi solaire que dramatique qui s’épanouira plus tard dans le sud de la France. Il ne s’agit donc pas d’une rétrospective réunissant les meilleures pièces du peintre mais plutôt d’une approche contextuelle visant à montrer combien son séjour dans le Borinage demeurera dans sa mémoire visuelle tout au long de sa vie.

Le parcours didactique de Van Gogh au Borinage (ligne du temps, lettres et documents) cherche, dans un premier temps, à situer à la fois l’environnement (la campagne, les mines, les ouvriers, les tisserands, les paysans) et la personnalité de l’homme. La suite obéit davantage à un découpage s’appuyant sur des confrontations entre les premiers dessins (rarissimes et raides sinon maladroits) et des oeuvres plus tardives inspirées par ses thématiques boraines : les portraits et études de modèles, le paysage et les habitats, le monde du travail et enfin, les dessins d’invention inspirés, entre autres, par les estampes de Millet (le peintre du célèbre Angélus). Mais comment Van Gogh en est-il arrivé à devenir « artiste » ?

Une passion : s’instruire

Vincent Van Gogh, aîné d’une fratrie de six enfants, n’a été scolarisé qu’à partir de 11 ans. Cinq ans plus tard, grâce à une relation de famille, il obtient un premier emploi dans une des succursales de la maison internationale Goupil, spécialisée dans la vente de tableaux, estampes et reproductions d’art. Il quitte alors le village de Zundert pour La Haye. Comme tous les autodidactes, sa soif de connaissances devient inextinguible et très vite, sélective. En réalité, sa passion se partage entre littérature et art. La première domine même (dès 1872) les échanges avec son frère Théo de quatre ans son cadet dont il se sent responsable autant financièrement qu’idéologiquement. Quand ce dernier, en 1873, devient à son tour employé de Goupil (mais à Bruxelles), la complicité grandit. Vincent achète de nombreuses gravures de reproductions, commente les expositions, aiguise sa sensibilité et ses jugements. A 20 ans, il est devenu un expert. Mais son caractère entier va faire basculer sa vie. A Londres comme à Paris, plus tard, où il travaille dans des succursales de la maison Goupil, les tensions montent. Il est licencié. Sur les murs de sa petite chambre de Montmartre, il s’était entouré d’une trentaine de gravures reproduisant des oeuvres belges, françaises ou encore hollandaises. Leur réalisme aborde le paysage et les petites gens avec empathie et sans effet :  » C’est ça » devient sa formule. Et c’est avec ce bagage de connaissances qu’il se forme l’oeil autant que l’esprit.

De l’empathie à la vocation religieuse

Comme son père, Van Gogh a très tôt choisi son camp, celui des pauvres, des travailleurs, des âmes pures. Et cette révolte qui l’anime le mène à ses échecs successifs. Tant pis. Dès son séjour à Londres, l’étude de la Bible prend le pas sur les autres lectures. Exit donc cette littérature révolutionnaire qu’il affectionnait auparavant. Convaincu, il encourage son frère à suivre sa trace mais se heurte à sa famille. Il cherche du boulot sans succès d’abord puis finalement le trouve en Angleterre comme instituteur dans une institution dirigée par un pasteur méthodiste. Mais cela ne paie pas. De retour chez les siens, son père lui déniche un job chez un libraire de Dordrecht. Il n’y restera que quatre mois.

Tout en continuant à approfondir ses connaissances en art, Van Gogh cherche à être utile : il sera pasteur. Il tente alors l’examen d’entrée en faculté de théologie à Amsterdam. « La pire période de ma vie », dira-t-il. Nouvel échec. Puis nouveau rebond. Son père encore l’accompagne jusqu’au collège flamand des évangélistes à Laeken où il est admis pour un essai de trois mois… qui se soldera à son tour par un refus. C’est, après cet épisode qu’il décide de rejoindre le Borinage. Jusqu’ici, il a très peu dessiné. Son but : aider, écouter, convertir. La vie est dure, les malades nombreux, les blessés fréquents. Mais son action ne plaît pas aux autorités. Ce sera une nouvelle fois un échec. « Non, je ne suis pas un fainéant, écrit-il douloureusement à son frère, mais je ne veux ni être, comme la famille me l’a proposé, lithographe de cartes de visite, comptable ou menuisier. A quoi pourrai-je servir ? »

C’est alors que son premier directeur de chez Goupil lui fait parvenir des carnets de croquis et du matériel. Que Théo lui envoie de nouvelles reproductions et bientôt, à la demande de Vincent, des livres de dessins à reproduire à destination des artistes autodidactes. Van Gogh se met au travail. Il n’arrêtera plus. En automne, il quitte le Borinage (« Je n’aurais pas pu tenir un mois de plus sans tomber malade de misère ») pour Bruxelles avant de rejoindre la Hollande où il apprend à peindre, puis Paris où il découvre la lumière, Arles où il se brûle les ailes et enfin Auvers-sur-Oise, son ultime étape.

Une réalité filtrée

Van Gogh n’arrive donc pas avec un oeil vierge dans le Borinage. Son regard, quoiqu’emporté par son empathie est aussi déterminé par sa connaissance de l’art. « Ce qu’on voit ici, confie-t-il à Théo, me fait penser constamment aux oeuvres de Thijs Maris ou d’Albrecht Dürer… Partout à la ronde, on voit de grandes cheminées et d’énormes montagnes de charbon. Tu connais le grand dessin de Bosboom, il rend le caractère de ce pays… » Quand, après avoir rejoint les mineurs à 700 mètres sous terre, il ressort et regarde le paysage, c’est encore à l’oeuvre d’un peintre qu’il songe. Les exemples de ces références foisonnent dans sa correspondance. L’humanité qu’il va dessiner tire son origine des copies qu’il réalisera à partir des oeuvres d’autrui. De même ses modèles vivants le renverront sans cesse à ces artistes qu’il aime. Les figures de Millet, voire de Rembrandt. La liste serait longue. Quant aux paysages, ils sont redevables à Corot, Daubigny, Ruysdael… Peu à peu, il en fera des « Van Gogh ». Le Borinage en fut la première étape.

Van Gogh au Borinage, au musée des Beaux-Arts (BAM), 8, rue Neuve, à Mons. Jusqu’au 17 mai. www.mons2015.eu

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