Une phase difficile mais un avenir assuré

« Trends-Tendances » a réuni autour d’une table le gratin belge de l’assurance pour dresser ensemble un état des lieux du secteur et évoquer ses perspectives d’avenir. Morceaux choisis d’un débat mené sans langue de bois.

Depuis la faillite de Lehman Brothers, le secteur financier est, on le sait, en crise quasi permanente. Chez nous, si presque toutes les grandes banques ont particulièrement souffert du tsunami financier de l’automne 2008 et qu’elles ne doivent finalement leur survie qu’au prix d’interventions massives des pouvoirs publics en capital et/ou en garanties, il est toutefois à souligner que nos assureurs – à l’exception notoire d’Ethias – sont, eux, passés jusqu’ici au travers de toutes les difficultés rencontrées sur les marchés financiers.

Il n’empêche, les défis que devront relever les compagnies d’assurances, tant en vie qu’en IARD (Incendie, Accidents, Risques Divers), ne doivent pas être sous-estimés. Qu’il s’agisse de de la problématique de la concurrence du secteur bancaire dans la « chasse » aux capitaux frais, de la question des taux d’intérêt historiquement bas et de la difficulté qui en découle de pouvoir octroyer du rendement digne de ce nom sur les contrats de type « vie », du risque crédit sur la dette souveraine ou de l’implémentation de Solvency II. C’est principalement autour de ces quelques thématiques que le débat s’est articulé.

La liquidité« La crise financière a mis en exergue que la question de la liquidité est la clef », lance Johan Thijs, actuellement CEO de la division belge de KBC (et qui sera le 3 mai promu CEO de l’ensemble du groupe). « Effectivement, le secteur bancaire n’a pas manqué de déployer beaucoup d’efforts pour recapturer à son profit un maximum de liquidités, embraye Bruno Colmant, professeur à l’UCL et à la Vlerick School, coiffant ici sa casquette de partner chez Roland Berger.

Et les premiers à avoir souffert de cet état de fait, ce sont effectivement les assureurs-vie. En effet, les épargnants, échaudés par les crises successives, ont désormais clairement montré leur préférence pour la plus grande liquidité possible de leurs placements, ce qui s’est de facto traduit par un raccourcissement singulier de la durée de leurs investissements et donc, au final, par une baisse de l’encaissement-vie. »

Mais de là imaginer que l’avenir est noir pour l’industrie de l’assurance, il est cependant un pas qu’Alfred Bouckaert (ex figure de proue d’Axa Belgium et, depuis peu, président du conseil d’administration de Belfius) refuse de franchir. « Il ne faut pas faire d’amalgame : la situation des assureurs est bien meilleure que celle des banquiers, ne serait-ce, déjà, qu’au niveau de la qualité de leurs actifs, valorisés pour l’essentiel du bilan en mark to market (Ndlr : valorisation au prix du marché).

Cependant, dans la branche vie, je le concède volontiers, les temps ont bien changé. Il est effectivement fini le temps où les assureurs pouvaient dégager des rendements tournant aux alentours des 10 % et prélever de façon indolore aux yeux des clients des frais de gestion de 1,5 à 2 %. Aujourd’hui, à l’heure où les marchés offrent du 2 % voire moins, s’octroyer 2 % au titre de frais de gestion, cela devient effectivement très gênant.

Par ailleurs, même si les besoins de couverture des particuliers et des entreprises sont toujours là, les réponses que le secteur est à même d’apporter ces temps-ci aux attentes des clients sont imparfaites en raison des taux d’intérêt bas et de la volatilité des marchés. A la limite, on en arriverait presque à dire qu’il devient

difficile de faire plus que de rembourser ce qu’on a reçu comme primes ! »

Une perception très différenciée de la notion de risque entre les assureurs et les assurésUne vision partagée par Robert Franssen (CEO d’Allianz Belgium) qui ajoute un problème supplémentaire : la perception très différenciée de la notion de risque entre les assureurs et les assurés. « Depuis 2001, nous sommes des CEO qui n’avons fait qu’affronter crise sur crise, assure-t-il. Et si nous avons de notre côté intégré ce paramètre, les attentes des clients sont restées, elles, très élevées en termes de rendements. Quand nous leur donnions du 4 %, nos assurés considéraient qu’on ne leur donnait quasi rien.

Et de notre côté, ces 4 %, nous considérions que c’était en soi déjà beaucoup ! Depuis fin 2008, le consommateur a, je crois, mieux pris la mesure de l’importance des risques et donc du prix à payer pour les couvrir. A noter aussi, au niveau des grandes entreprises, et c’est nouveau, qu’elles sont désormais plus sensibles qu’auparavant au risque de contrepartie des assureurs, particulièrement pour ce qui relève des assurances-groupe. A ce niveau, être bien coté s’avère évidemment un avantage compétitif. »

« Voici 13 ans, on m’a expliqué que la distribution des assurances par le canal des courtiers n’avait plus vraiment d’avenir. Avec le recul, je constate en tout cas qu’ils n’ont pas perdu de part de marché », pointe Alfred Bouckaert (Belfius). « Et j’imagine aisément que cela va perdurer, enchaîne Robert Franssen (Allianz Belgium). J’en veux pour preuve une récente étude européenne démontrant que les Belges figurent au top des clients les plus satisfaits de leur(s) assureur(s). Ils estiment en avoir pour leur argent, tant en termes de conseils que de protection ou de règlement de sinistres. Certes, nos coûts de distribution – 30 à 40 % du montant de la prime – sont plus élevés que dans d’autres pays d’Europe. Il y a cependant encore de la marge pour améliorer nos process et, par ce biais, diminuer nos coûts. »

« Chez AXA Belgium, comme dans tout le secteur d’ailleurs, nous allons continuer à améliorer l’efficacité, souligne Sonja Rottiers, CFO. Il s’agit par exemple d’investir dans l’automatisation des process – nous utilisons encore trop de papier – en tenant compte des besoins des clients, besoins qui, bien entendu, ont changé suite à l’évolution induite par l’arrivée de l’Internet. Les clients veulent avoir accès à l’information et aux services en temps réel. Pour les courtiers aussi, le multiaccès devient petit à petit une réalité. Nous répondrons dès lors à cette demande. Toutefois, ces nouveaux services n’empêcheront évidemment pas les clients d’avoir un conseiller en face d’eux pour conclure leur contrat ou régler leur dossier. »

Quand on évoque les questions de compétitivité, la question de la taille critique est souvent mise en avant. « L’efficience n’est cependant pas nécessairement liée à la taille de l’entreprise, explique Alfred Bouckaert. Voyez la compagnie L’Ardenne Prévoyante à Stavelot. Jamais Axa Belgium n’a procédéà son absorption pure et simple au seul motif que cette entreprise affiche systématiquement des ratios de performance meilleurs que ceux du groupe. C’est, je crois, un excellent instrument de motivation pour l’équipe que d’agir de la sorte à son égard. »

Solvency II

Cela étant, le monstre du Loch Ness pour les assureurs, c’est sans conteste l’implémentation de Solvency II. « Pour les assureurs, c’est l’ alter ego des Bâle II et III des banquiers, explique Jean- François Hannosset, CEO de Reacfin ( spin-off de l’UCL, prestataire de conseils de haute technicité pour les acteurs des marchés financiers). Concrètement, Solvency II va avoir entre autres conséquences d’augmenter les besoins en capitaux des compagnies d’assurances.

Comme ces capitaux ont évidemment un coût, cela engendrera au final une hausse de la tarification des risques. Et les compagnies qui auront les moyens de développer des modèles internes pour avoir une gestion plus fine de leurs risques – et de la tarification qui en découle – vont évidemment le faire. Quant aux plus petits acteurs, ils devront malheureusement se cantonner à des modèles standards, qui coûtent plus cher en raison de la mobilisation plus importante de capitaux qu’ils engendrent. Dans un contexte d’agressivité sur les prix, cela peut mener à la disparition d’acteurs de moindre importance ou de niche et donc à une plus grande concentration encore du marché de l’assurance. »

Robert Franssen (Allianz Belgium) est toutefois moins pessimiste que Jean-François Hannosset : « On n’aura des victimes que s’il y a des prédateurs et, bien sûr, des capitaux en suffisance, explique-t-il. Aujourd’hui, des affaires sont sur le marché mais elles ne s’achètent pas… » Bart De Smet, CEO d’Ageas et président d’Assuralia, se dit en tout cas d’avis que des opérateurs de taille modeste pourront garder leur place sur le marché, par exemple s’ils coexistent au sein d’un conglomérat sur lequel ils peuvent s’appuyer pour faire face aux contraintes réglementaires. Un exemple parmi d’autres : DKV, DAS et Ergo Life, qui agissent au sein du groupe Ergo.

S’il est bien un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est le fait que Solvency II fait la part trop belle aux éléments de court terme. « La crise de la dette souveraine montre que les marchés peuvent être imparfaits, pointe Johan Thijs (KBC). Ce qui se passe au niveau des dettes souveraines ne colle pas avec le mode de fonctionnement des assureurs, qui, faut-il le rappeler, travaillent dans une perspective de long terme. »

Alfred Bouckaert explique en corollaire qu' »il ne suffit pas d’avoir raison au terme mais tous les trois mois, voire tous les mois ». Plus terre-à-terre encore, Hans Verstraete, deputy CEO d’Ethias, souligne qu’outre le fait d’être extrêmement chronophages, au détriment de la mission première des assureurs qui est de couvrir des risques, ces modèles sont extrêmement compliqués et qu’en maîtriser toutes les arcanes peut poser problème à l’échelon d’un comité de direction ou d’un conseil d’administration : « Même si on s’entoure de consultants spécialisés, il n’en demeure pas moins que c’est quand même le management qui, au final, porte sur ses seules épaules toutes les responsabilités des choix opérés ! ».

Au-delà, Bart De Smet, CEO d’Ageas et président d’Assuralia, craint de voir certains opérateurs orienter la commercialisation de leurs produits en fonction des considérations de capital induites par Solvency II. Il pointe aussi des initiatives prises à l’échelle du parlement européen qui peuvent effectivement avoir de quoi laisser pantois : « Si nous avons le souci de responsabilité sociétale et comprenons qu’on prenne des mesures pour éviter, par exemple, que des gens soient exclus du droit à l’assurance, nous ne pouvons cependant pas comprendre qu’on puisse déposer et soutenir des textes qui pourraient au final nous interdire de moduler la tarification de nos assurances-décès en fonction de l’âge. Le risque est donc latent de voir la commercialisation de certaines couvertures cesser en raison de règles imparfaites ! »

Contrairement à certaines idées reçues, les primes ont évolué moins vite que la charge des sinistres supportés par les compagnies. « En assurances de dommages, la question de la rentabilité technique est pourtant déterminante. On n’est plus aujourd’hui dans un contexte où on peut se permettre de couvrir des pertes techniques par le produit des placements financiers, rappelle Johan Thijs. Cela étant, si les primes n’ont pas évolué dans les mêmes proportions que les coûts, c’est parce que le secteur a beaucoup travaillé sur son efficience. Et en ce qui nous concerne, nous avons en outre adapté notre stratégie en intégrant notre modèle de bancassurance en fonction des besoins du client. Nous ne croyons pas pour notre part au modèle où la banque s’occupe de la distribution de l’assurance contre un fee … »

Le développement des applications informatiques

Pour tailler dans les coûts opérationnels, le développement des applications informatiques n’est pas la moindre des priorités des assureurs. Ces applications se veulent cependant plutôt orientées B2B. « La fréquence des contacts avec le client final est bien moindre en assurance qu’en banque, explique Bart De Smet. Un assuré a en moyenne un sinistre tous les sept ans. Par contre, ce sur quoi nous avons beaucoup travaillé ces dernières années et travaillons encore, c’est sur le développement des applications informatiques assurant une liaison optimale avec nos différents partenaires, à commencer par les courtiers. A cet égard, les courtiers belges sont à la pointe de ce qui existe à l’échelon européen. »

Pour conclure, Bruno Colmant et Robert Franssen soulignent que « beaucoup n’entreprendraient pas – au sens large du terme – s’ils n’avaient pas des couvertures d’assurance derrière eux. Ces couvertures permettent d’éliminer ce qui est insurmontable de façon individuelle, tant pour les particuliers que pour les entreprises… Il n’en faut pas en dire plus pour démontrer que le secteur a donc structurellement de l’avenir devant lui, même s’il passe pour l’instant par une phase difficile d’adaptation. »

Jean-Marc Damry

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire