Guido Fonteyn

Une histoire locale

APPELÉ À RETIRER MA NOUVELLE CARTE D’IDENTITÉ « européenne », moi, habitant de Jette – sans aucun doute la commune la plus paisible de la Région-Capitale – je me suis rendu, non sans un brin de fierté, à la salle des guichets de notre maison communale.

Guido Fonteyn, journaliste indépendant et essayiste

Celle de Jette est un modèle du genre, totalement disponible et soucieuse du confort des Jettois, y compris celui de l’usage des langues. Après un moment d’attente, j’y fus accueilli dans un néerlandais impeccable. Avant de constater que j’avais égaré mon ancienne carte d’identité. On m’invitait donc à passer d’abord par le commissariat de police, qui se trouve à faible distance de la maison communale, de l’autre côté du parc. Jette n’est pas seulement une commune sympathique, elle privilégie également les espaces verts. Au commissariat de police aussi, l’on s’est adressé à moi dans un néerlandais irréprochable, et toutes mes déclarations y furent notées avec le sourire. Il m’y fallait seulement faire antichambre pendant une quarantaine de minutes dans une espèce de cellule, avec, d’un côté, trois Togolais ou Nigérians ou Congolais, qui ne cessaient de se servir bruyamment de leur GSM dans des langues parfaitement inintelligibles pour moi. De l’autre coté, il y avait deux Kirghiz ou Tchétchènes qui ne disaient mot. C’est comme si je me trouvais au centre du monde, entre deux groupes d’humains qui s’ignoraient tout à fait.

Puis une très gentille agente est venue me dire que mes papiers étaient prêts. Elle me les a remis sur-le-champ. A mon grand étonnement, je constatais qu’ils étaient rédigés en français. Jusqu’à présent, pas le moindre mot n’avait été échangé en français. Je demandais donc à l’agente pourquoi ce document n’avait pas été établi en néerlandais. Elle me répondait mot à mot, toujours dans un néerlandais sans faille : « Ici, on fait comme ça. » Reculant devant la peine de devoir revivre quarante minutes de guerre civile entre le Togo et le Kirghizistan, je m’apprêtais à quitter les lieux muni de mon texte français. Jusqu’à ce que l’agente me dise qu’elle allait chercher le texte en néerlandais – dans son regard, je lisais clairement qu’elle n’avait pas du tout envie de se retrouver encore une fois avec un enquiquineur. Le texte en néerlandais me fut donné dans les deux minutes ! Il était fin prêt à l’intérieur du bureau. C’est ainsi qu’on dresse les statistiques de la population à Jette et dans les autres communes bruxelloises. Voilà pourquoi les néerlandophones y sont si clairsemés.

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