Olivier Mouton

Une « drôle de campagne » où l’on a joué sur la défensive

Olivier Mouton Journaliste

Il est grand temps que l’on se rende aux urnes. Une « drôle de campagne » s’achève, au cours de laquelle les partis ont avant tout réagi à des menaces extérieures. Pour autant, votre choix pourra être décisif dans la « drôle de guerre » qui s’annonce après le 25 mai.

« C’est une drôle de campagne… » Le commentaire, un rien désabusé, venait en ce début de semaine d’une tête de liste d’un parti traditionnel aux élections du 25 mai prochain. Habitué des marchés et de la proximité, l’homme épinglait le caractère décousu de ce long marathon préélectoral et insistait, il n’est pas le seul, sur les nombreuses expressions antipolitiques voire antisystèmes qui s’expriment.

Le face-à-face opposant les deux ténors francophones lundi soir à la RTBF a confirmé ce climat étrange : Elio Di Rupo et Didier Reynders se sont affrontés à fleurets mouchetés, affirmant leur différence, certes, mais en se neutralisant voire en se ménageant, sachant qu’ils pourraient à nouveau être appelés à collaborer après le 25 mai. Le débat des présidents de partis, sur RTL-TVI, n’a pas, lui non plus, donné lieu à de fatales escarmouches. Les héros sont fatigués et pensent déjà aux lendemains.
Pour prendre une métaphore footbalistique bien de saison, durant des mois, on a verrouillé la défense et joué au Catenaccio pour contrecarrer les offensives adverses. A ce rythme-là, la Coupe du monde au Brésil risque d’être bien insipide.

Si la campagne fut étrange, émaillée seulement de quelques confrontations éparses sur le fond des dossiers, comme les divergences fiscales PS – MR, le bras de fer du survol de Bruxelles ciblant le CDH voire les accusations des dérives écologistes en Wallonie, on le doit à une évidence : durant la campagne, les partis francophones ont avant tout réagi à des menaces extérieures. En évitant par-dessus tout de commettre la moindre faute – Didier Reynders a appris à ses dépens ce qu’il en coûtait de déraper sur les enfants disparus à une heure de grande audience.

Des menaces extérieures ?

Les partis francophones sont tétanisés par la victoire annoncée de la N-VA en Flandre et n’ont finalement trouvé de ripostes qu’en décrétant une exclusive à son égard. Quelque peu hypocrite, d’ailleurs, tant ils savent qu’ils seront peut-être forcés et contraints de composer avec elle.

Ces mêmes partis ont été désarçonnés face à une autre montée annoncée, celle des petits partis au sud du pays. La classe politique au pouvoir – rappelons que PS, MR, CDH et Ecolo sont tous présents dans les majorités fédérale et régionales – a bien tenté d’adopter quelques positions plus tranchées – de l’impôt sur les grandes fortunes au besoin d’ordre de Didier Reynders – mais n’a finalement guère trouvé d’arguments imparables. Peut-être était-ce impossible, d’ailleurs, tant le discours de certains confine à l’irrationnel.

La vraie menace qui empêche toute euphorie, cependant, est plus globale : c’est le chômage endémique, la crise qui perdure, les efforts budgétaires à accomplir encore, la sixième réforme de l’Etat qui sera tout sauf simple à faire atterrir… Oui, le pays est temporairement stabilisé, les taux d’intérêt historiquement bas pour le remboursement de la dette viennent encore d’en témoigner, mais ce n’est pas le vécu des gens dans leur chair. Et c’est tellement fragile…

Comme s’il s’agissait d’insister encore sur le caractère déroutant de cette « drôle de campagne », le décès soudain de l’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene a paralysé les débats dans la dernière ligne droite. Avec ses côtés bourrus et peu portés à « l’émocratie », le taureau de Vilvorde incarnait une ancienne façon de faire de la politique balayée par les réseaux sociaux, mais qui revient au goût du jour : nécessité de décider dans la discrétion des châteaux, de mener une politique pragmatique jusqu’à l’ennui, de se limiter à des « geen commentaar » cassants quand le moment de communiquer n’est pas opportun, de se blinder face à l’adversité tout en cultivant ses réseaux…

Le résultat de cette « drôle de campagne » ? Vous serez nombreux à voter sans enthousiasme, convaincus que le monde politique est devenu impuissant face à la globalisation et enfermé dans sa tour d’Ivoire, et privilégierez les formules de contestation. Ou vous vous abstiendree en préférant le confort feutré de la maison, focalisés sur l’aura bien plus puissante de la Coupe du monde qui arrive et des Diables dont le marketing submerge nos supermarchés.

Pourtant…

La conclusion serait un peu trop hâtive, tant de la part de l’électeur finalement bien plus intéressé par la politique qu’on ne le pense, que du journaliste accroché aux petits phrases et aux pics médiatiques. Car cette « drôle de campagne », au-delà d’un climat de peur généralisé, a tracé les lignes de projets de société fort différents. Lisibles, si l’on a pris le temps de les étudier.

Le PS se veut le garant de la stabilité belge et du début de renouveau wallon, bouclier contre les menaces pesant sur la sécurité sociale, soucieux de prolonger le travail du Premier Di Rupo en accentuant ses accents sociaux. Le MR se pose en alternative pour la domination de l’une ou l’autre Région, wallonne ou bruxelloise, avec la volonté d’accélérer les réformes, de miser sur l’individu et l’esprit d’entreprise, davantage à l’écoute des expressions « productivistes » venues de Flandre. Ecolo tente la rupture, la construction d’un monde nouveau, plus responsable et solidaire, et défend une vision à long terme un rien « flower power » du 21e siècle, scotché à Groen. Le CDH insiste sur la famille, au sens large et adaptée aux temps nouveaux, sur les valeurs humanistes et la protection de la vie dans une Belgique pacifiée. Le FDF ose un discours vérité et très francophone, le PTB veut faire payer la crise aux riches et le PP aux étrangers. Ces projets sont quand même singulièrement différents, non ?
Les rapports de force sortant des urnes du côté francophone ne seront pas anecdotiques pour la composition des gouvernements régionaux et les grands choix idéologiques à formuler sur le plan socio-économique. Ils détermineront les accents de la négociation fédérale face à un verdict flamand potentiellement décisif pour l’avenir du pays. Et vous en êtes les principaux acteurs.

Car après la « drôle de campagne », c’est sûr, une « drôle de guerre » est annoncée. Avec, à la clé, des vagues d’offensives et des buts à marquer.

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