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Une coalition de droite mettra la « nouvelle Belgique » à l’épreuve

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Une majorité « Kamikaze » ou « Suédoise » imposerait au fédéral la volonté majoritaire de la Flandre, à droite, face aux coalitions gauchistes wallonne et bruxelloise. Si tout agenda communautaire serait absent d’une coalition sans le PS, la volonté des entités fédérées de collaborer serait toutefois mise à rude épreuve.

Les dés sont jetés. Au lendemain d’une fête nationale placée par le roi Philippe sur le double thème de la « confiance » et de la « coopération » entre les différentes entités du pays, la « nouvelle Belgique » issue des élections du 25 mai dernier voit peu à peu le jour.

Du côté francophone, en Wallonie et à Bruxelles, les gouvernements sont mis en place et ont prêté serment. Cap sur une option progressiste avec le PS, le CDH et le FDF, trois formations politiques… qui risquent fort de ne pas se retrouver au gouvernement fédéral.

En Flandre, les négociations pour la formation d’un gouvernement régional ont fait des contorsions pour s’adapter à la réalité fédérale: la N-VA et le CD&V, qui traînaient en longueur, ont finalement ouvert la porte à l’Open VLD. Les membres de la N-VA doivent entériner ce choix lors d’un congrès du parti jeudi soir à Anvers.

Tout est désormais en place pour la création au fédéral d’une coalition « Kamikaze », « Suédoise » ou « Courage » – selon l’angle selon laquelle on l’appréhende – alliant les trois partis flamands de droite (N-VA, CD&V et Open VLD, donc) au seul MR du côté francophone. C’est cette configuration inédite que l’informateur royal Charles Michel (MR) défend devant son parti et proposera au Roi ce mardi à 17h. A charge pour un ou eux informateur(s) de tenter de la mettre en place. Une épreuve délicate qui risque encore de connaître des soubresauts durant l’été.

C’est une prise de risque du MR, poussé dans le dos par le PS et le CDH. La façon dont cette coalition fédérale aura été mise en place, si elle voit finalement le jour, constituera un cas d’école pour cette « nouvelle Belgique » qui se met en place. Au départ, il y a des résultats électoraux singulièrement différents au Nord et au Sud du pays, le soir du 25 mai dernier: la N-VA progresse au fédéral mais réalise surtout un raz-de-marée au parlement flamand (en comparaison avec 2009) tandis que le PS reste le premier parti à Bruxelles et en Wallonie, en dépit d’une (forte) progression du MR. C’est de cette réalité des urnes-là que les nouveaux gouvernements seront le reflet.

Inquiets, PS et CDH (avec le FDF à Bruxelles) tirent les premiers dans les Régions. Au fédéral, le même CDH met fin à la mission de l’informateur Bart De Wever le 24 juin en s’opposant à la perspective de gouverner avec un parti séparatiste. Le MR, lui, avait accepté d’essayer la mise en place d’une coalition de centre-droit. Fin du premier acte.

Choqué d’avoir été mis à l’écart dans les Régions, ulcéré par le refus du CDH, le MR change son fusil d’épaule. Le « père » Louis Michel est le premier à indiquer le changement de cap alors que son fils, Charles, entame sa mission: « plus question d’accepter les oukases du PS et de son « particule », le CDH. Dans la base du MR, une prise de sonde du Vif/ L’Express en atteste en même temps qu’un sondage interne au parti: un sentiment de revanche gronde, voici venu l’heure de tenter de mettre le PS dans l’opposition au fédéral.

Il s’agit d’un renoncement clair aux engagements préélectoraux des réformateurs, dicté par les circonstances: en campagne, Charles Michel avait répété à plus d’une reprise qu’il ne négocierait pas avec la N-VA « s’il avait la main ». C’est pourtant ce qui s’est produit… Au passage, le MR confirme son lien privilégié avec le CD&V présenté durant la campagne à l’occasion d’une interview commune accordée par Charles Michel et Wouter Beke à des quotidiens francophones et flamands.

Une prise de risque calculée? Les réformateurs argumentent déjà: avec une telle coalition pas de réforme de l’Etat possible mais bien des réformes socio-économiques, un pouvoir fort pour le MR qui pourrait débrancher la prise à tout moment pour défendre les intérêts francophones… Les réformateurs espèrent capitaliser sur le rejet du PS en vue du prochain scrutin. un risque calculé, vraiment?

La volonté de la Flandre prime au fédéral. Si le MR sait qu’il a un beau coup à jouer, et sept ministres fédéraux à obtenir en raison de la parité linguistique, la réalité arithmétique est inédite. Avec à peine 20 sièges à la Chambre, le MR est ultra-minoritaire dans le groupe francophone où il ne représente que moins d’un tiers des élus. S’il pèsera proportionnellement plus du fait de son caractère incontournable dans une telle coalition, c’est un déficit démocratique incontestable.

Le premier gouvernement de la « nouvelle Belgique », qui serait mis en place à l’issue de la sixième réforme de l’Etat, consacrerait donc la primauté de la domination flamande sur l’Etat fédéral. Conscient de la difficulté de rejeter la N-VA dans l’opposition après sa victoire électorale, le CD&V aura finalement tout fait pour l’emmener avec lui à tous les niveaux de pouvoir.

Une communauté linguistique minoritaire au fédéral, c’est loin d’être inédit: après tout, dans le gouvernement Di Rupo, les partis flamands ne disposaient pas, eux non plus, de majorité dans leur groupe linguistique, mais d’un fifrelin. Ici, le MR jouerait les apprentis sorciers?

Ce serait une coalition de choc face à l’urgence socio-économique. Pour le MR, la mise en place d’une telle coalition « Suédoise » offrira avant tout l’opportunité de mettre en ouvre au fédéral des réformes socio-économiques de choc dont la Belgique a un grand besoin: électrochoc fiscal, réformes des pensions et de la sécurité sociale, assainissement budgétaire…

Si la pression des marchés reste contenue jusqu’ici en dépit des atermoiements dans la formation du gouvernement fédéral, deux mois après les élections, elle risque en effet de s’accentuer fortement après l’été, au moment de préparer la copie à remettre à l’Union européenne dans le cadre du pacte de stabilité budgétaire. En juin, le Bureau fédéral du plan mesurait l’enjeu: « L’écart entre l’objectif du programme de stabilité pour 2017 (surplus nominal de 0,6 % du PIB) et le déficit projeté dans ces Perspectives (2,4 % du PIB) se monte à 3,0 % du PIB. Combler un tel écart par des mesures budgétaires représenterait un effort considérable. »

C’est dire combien le participation au gouvernement fédéral sera tout sauf une partie de plaisir. Dans les Régions non plus, à vrai dire… Le même Bureau du plan précisait que l’impact de la sixième réforme de l’Etat transférera une partie de l’effort sur les entités fédérées: « A politique constante, le déficit de l’entité I (le niveau fédéral, y inclus la sécurité sociale) passerait ainsi de 2,7 % du PIB en 2014 à 1,9 % du PIB en 2016 ; le déficit de l’entité II (entités fédérées et pouvoirs locaux) passerait de 0,1 % du PIB en 2014 à 0,6 % du PIB en 2016. »

La coopération belgo-belge mise à rude épreuve. S’il n’y aura pas de réforme de l’Etat au menu du prochain gouvernement fédéral, du moins dans la perspective d’une « Suédoise », les prochaines années risquent toutefois d’être difficiles tant il faudra mettre de l’huile dans les rouages de la « nouvelle Belgique ».

Tout d’abord, la sixième réforme de l’Etat doit encore être mise en oeuvre dans un contexte où deux formations – la N-VA, surtout, et le FDF- participeront au pouvoir alors qu’elles en ont dit énormément de mal au moment de son approbation. Or, une petite trentaine d’accords de coopérations doivent être signés, parfois sur des sujets très sensibles comme la communauté métropolitaine bruxelloise. En outre, la coopération budgétaire entre les entités ne sera pas une mince affaire dans un contexte d’économies tous azimuts, couplées à la mise en application de la nouvelle loi spéciale de financement.

Dans l’entretien qu’elle a accordé au Vif/ L’Express de cette semaine, Laurette Onkelinx affirmait qu’elle « respecterait le choix » d’une majorité sans le PS au fédéral. En ajoutant toutefois que ce serait, à ses yeux, « un gouvernement contre les Régions ». Une mise en garde. Les confrontations entre une majorité fédérale à droite et des gouvernements régionaux à gauche s’annonce inéluctables, ces derniers tentant d’atténuer l’impact social des mesures prises au fédéral.

Le fédéralisme de coopération cher au roi Philippe triomphera-t-il? Si ce n’est pas le cas, le souffle de la « nouvelle Belgique » pourrait, à terme, virer au « confédéralisme », faute d’harmonie idéologique entre le Nord et le Sud du pays… N’est-ce pas là, au fond, le calcul de la N-VA… et du PS?

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