Les passagers évacuent l'aéroport après l'attentat. © Reuters

Un témoin de Zaventem raconte : « Tout le monde était suspect à mes yeux »

Stagiaire Le Vif

Nioucha M., 25 ans, fait partie des rescapés de l’attentat de Zaventem. Présent dans le hall des départs au moment du drame, il nous décrit son état psychologique quelques minutes après la double explosion survenue à quelques mètres de lui.

J’ai vécu les secondes les plus longues de ma vie et j’aimerais les partager avec vous. Pour me vider, mais aussi pour que vous compreniez que nous ne sommes plus à l’abri, que ces scènes de guerre peuvent se dérouler à n’importe quel endroit, dans le monde même dans notre tendre Belgique.

Nous sommes le lundi 21 mars, dans l’après-midi, quand j’ouvre ma boîte mail un peu par hasard. Un mail de Brussels Airlines apparaît et m’invite à faire mon check-in en ligne. J’enregistre donc mes bagages (chose que je n’avais jamais faite auparavant) pour pouvoir gagner du temps le jour de mon vol pour Madrid, prévu le lendemain à 9 h 30.

Le 22 mars, il est environ 7 h 30 quand nous arrivons dans le hall des départs de l’aéroport. Et c’est là qu’un enchaînement de coïncidences nous sauve la vie.

Nous sommes arrivés à la porte numéro 4 de Brussels Airlines, lieu où l’une des bombes a explosé un peu plus tard. Ayant fait mon check-in en ligne la veille, j’ai eu la chance de pouvoir utiliser les bornes automatiques de distribution de billets. Nous avons pesé nos bagages et reçu nos tickets en l’espace de cinq minutes. C’est sûrement cela qui nous qui nous a sauvé la vie.

Une fois l’enregistrement terminé, ma mère insiste pour passer les portiques de sécurité et aller au Duty free. N’ayant pas eu le temps de manger, j’insiste pour que l’on aille au Starbucks situé dans le hall d’entrée. Arrivé là, mon père ne trouve rien d’intéressant à manger et nous propose d’aller dans les restaurants situés dans la mezzanine. C’est là que nos destins se sont écartés de ceux des morts auxquels je ne peux m’empêcher de penser aujourd’hui. (Merci papa pour avoir changé nos destins…!)

Je vois le mal partout

Nous arrivons donc vers 7h40 a l’étage et mangeons. Une fois terminé, nous nous apprêtons à nous lever et c’est à ce moment-là que la première bombe a explosé à 20 mètres de nous.

Bizarrement, en l’espace de quelques millièmes de seconde, mon cerveau croit entendre un gros pétard. Une fois la tête tournée, je vois une énorme fumée et des gens qui courent, crient, pleurent. Le choc. C’est là que j’ai compris ce qui était en train de se passer…

Le temps que nous nous levions pour nous réfugier, la deuxième bombe explose, plus proche de nous. Le bâtiment tremble, les vibrations passent à travers tout mon corps. Je regarde mon père, visiblement sain et sauf, et mon cousin, indemne également. Ma mère quant à elle, est paniquée, comme un « zombie ».

Sur le moment, aucune peur en moi, non pas que je sois un surhomme, mais le choc a totalement bloqué toute émotion, et heureusement. Je me suis senti plus fort que jamais.

Je prends ma mère sous le choc par le bras, l’embrasse fort et l’emmène plus loin au bout du couloir, comme si mes bras pouvaient la protéger d’une nouvelle bombe. Mon père et mon cousin nous suivent, quand tout à coup mon père, dans un moment de perte de lucidité, crie : « J’ai oublié mon téléphone sur la table ! Il faut que j’appelle Nina (ma soeur) !! ». Énervé je lui crie dessus et insiste pour qu’il me suive, chose qu’il a faite.

Mon ressenti sur le moment? Une méfiance à l’égard de toutes les personnes autour de moi. Passagers, employés, peu importe. Tout le monde était suspect à mes yeux. Chaque porte ouverte ou entre-ouverte était pour moi un nid potentiel de terroristes.

Je vois une charrette utilisée par les techniciens de surface avec une poubelle qui pend, laissée à l’abandon. J’en vois d’autres fixées aux murs je paranoïe (psychote ?) : il pourrait y avoir d’autres bombes dans ces poubelles.

Je pense également au Bataclan, et crains que des armes ne soient utilisées par d’autres terroristes. Méfiance, paranoïa, choc! Je vois le mal partout.

Ne nous sentant pas à l’aise à côté de ces poubelles et n’ayant trouvé aucune issue de secours, nous nous voyons obligés de prendre les escalators et de redescendre, chose que je n’aurais jamais voulu faire par peur de voir les terroristes de près. On s’imagine tout et n’importe quoi dans ces moments-là.

Et c’est à ce moment précis que les pires scènes de ma vie se sont déroulées.

La peur se lit sur les visages

Dans un premier temps, je vois de la fumée et de la poussière partout. Et puis des policiers et soldats, armés jusqu’aux dents pour certains, avec un simple pistolet pour d’autres. Armés certes, mais désarmés par la peur qui se lit sur leurs visages. Jamais je n’ai eu autant de compassion pour ces braves gens! Ils ont mon respect et ma reconnaissance totale.

En descendant des escalators, je lève les mains par peur d’être pris pour cible par les forces de sécurité, sans doute un réflexe de scènes vues à la télé ? Aucune idée, on ne réfléchit pas dans ces moments là. J’invite ma famille à le faire également, jusqu’à ce que je commence à voir des débris, du sang et des morts à mes pieds. Je n’oublierai jamais ces vêtements en sang, et surtout cette chaussure déchiquetée à mes pieds. On se fout de tout sur le moment.

Je vois un rabbin en sang, sans son chapeau, totalement désemparé et blessé au visage, essayant d’ouvrir l’ascenseur qui ne fonctionnait plus.

Je vois aussi des gens qui courent, des gens qui marchent et surtout des gens qui ne bougent plus, des gens morts comme vous l’aurez compris. Et je ne cesse de penser à ces personnes.

Ne sachant pas par où aller, je vois un policier seul, paniqué, aux abords des escalators, essayant de protéger, pistolet à la main, une femme sans vie au sol. Je lui demande par où aller, il me dit de descendre. Ma famille et moi nous exécutons et sortons donc par l’étage inférieur, où n’ont accès que les taximen.

Une fois sorti de ce carnage, très vite, l’un d’eux nous propose fort aimablement de nous déposer à la pompe à essence Shell à la sortie de l’aéroport. C’est là que toute ma force s’est transformée en pleurs avec les mains qui tremblent et le ventre noué. Et c’est là surtout que mon cauchemar s’est terminé.

Depuis, je ne fais que penser à ces 3 employés de Brussels Airlines qui nous ont guidés à notre arrivée à l’aéroport. Je ne cesse de me poser des questions et leurs visages, leurs gestes et leur courtoisie me restent dans la tête. Je ne connais pas leur destin et je m’attends au pire…

Tout ce témoignage pour vous dire une chose : aimez-vous. Ne cédez pas à la panique, festoyez, voyagez, vivez la vie à fond.

Mes pensées et mon amour vont à tous mes proches et à toutes les victimes et leurs proches.

Je terminerai par une chose : NON, je n’ai aucune haine envers quiconque. Pas même envers ces terroristes qui auraient pu me tuer, nous tuer, tuer les amours de ma vie. C’est cela qu’ils attendent de moi, de nous tous. Et NON, je ne leur ferai pas ce plaisir. A l’inverse, je donnerai amour et affection à mon prochain et j’invite tout le monde à le faire.

Pensez à ces populations en guerre, pensez-y!. Le « Bruxelles » d’aujourd’hui n’est malheureusement que le « Brux-hell » de beaucoup de pays dans le monde. Réfléchissez avant de soutenir une quelconque guerre « AU NOM DE ». Méfiez-vous également de certains politiciens qui feront tout pour avoir vos votes après ces attentats, je pense surtout aux partis extrémistes. Restons soudés, c’est notre plus belle arme. La mort et la peur passeront bien après, grâce à cela!

Courage à tous et des millions de merci pour votre soutien.

PEACE BRUXELLES

Propos recueillis par Nicolas Claise

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