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Un rien aurait suffi à changer le destin de la Belgique

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La première vraie fausse Histoire de la Belgique. Ou quand un collectif d’historiens flamands de renom révèle ce qui aurait pu nous arriver depuis 1830. Etonnant.

Le Belge est peu de chose. Il aurait pu le devenir sans le demander, simplement parce que ses voisins du nord n’ont plus voulu de lui. Il aurait pu ne jamais connaître le temps de la colonie. Il pourrait être depuis 1945 citoyen d’une République, après qu’ait été renversé le trône discrédité par un roi collabo. Il vivrait aujourd’hui apaisé sous un régime présidentiel, dans un pays bilingue, dans la concorde communautaire. Un rien aurait suffi à infléchir le cours de son destin.

La Belgique possède sa première « contre-histoire » (Het land dat nooit was, sous la direction de Maarten Van Ginderachter, Koen Aerts et Antoon Vrints, éd. De Bezige Bij Antwerpen, 384 p. Uniquement en néerlandais), fruit de l’imagination disciplinée d’un collectif d’historiens flamands qui font autorité dans leurs domaines. Avec des si, ces spécialistes mettent sens dessus dessous les moments-clés de notre passé depuis 1830. Tout l’art a consisté, avec la rigueur scientifique nécessaire, à introduire le grain de sable qui aurait pu déclencher une réaction en chaîne aux conséquences finalement moins imprévisibles qu’il n’y paraît. Le plus étonnant dans cette façon de réhabiliter le hasard dans l’Histoire : les historiens n’ont pas toujours dû forcer leur talent pour échafauder des « plans B » plausibles, mais que les caprices du destin ont maintenu dans les cartons.

En voici un exemple:

1881 : Un scandale de pédophilie crucifie les cathos au pouvoir

Comment la révélation d’abus sexuels sur mineurs au sein de l’Eglise, sur fond de guerre scolaire au XIXe siècle, prive les catholiques de trente ans de pouvoir ininterrompu et accélère la laïcisation de la société belge.

Ce qui s’est vraiment produit

1878. Les libéraux triomphent. A eux le pouvoir et la première croisade contre la mainmise catholique sur l’école publique. Le bras de fer avec l’épiscopat belge, d’une intensité extrême, aboutit à la rupture des relations diplomatiques entre la Belgique et le Vatican. 1884, les catholiques de retour aux affaires s’empressent d’effacer les traces du passage libéral. Trente ans de pouvoir catholique ininterrompu prolongent la querelle philosophico-religieuse.

Ce qui aurait fort bien pu se passer

1881. Scandale au sein de l’Eglise, éclaboussée par une affaire de pédophilie dans un couvent de Flandre. Vingt-trois frères des Bonnes OEuvres de Renaix se retrouvent traduits en justice pour abus sexuels sur mineurs. Catastrophe pour le clergé occupé à croiser le fer avec un gouvernement libéral engagé dans une laïcisation de l’enseignement. La presse libérale fait ses choux gras du scandale, l’indignation est générale, la pratique religieuse accuse le coup.

Le pape Léon XIII s’active dans la coulisse pour amener l’épiscopat à plus de modération. Mais le discrédit est incommensurable. Bingo pour les libéraux au scrutin de 1884. Reconduits au pouvoir, ils poursuivent leur politique scolaire anticléricale. La séparation de l’Eglise et de l’Etat connaît un élan décisif, irréversible : et c’est dès 1974, et non en 1990, que la Belgique légalise l’avortement….

Et si…

Il y a bel et bien eu scandale de pédophilie au couvent de Renaix en 1881. La gravité des faits jugés, qui étaient connus y compris de Léon XIII, et dénoncés dans les journaux, n’a pas suffi à détourner les « pères de famille » des écoles cléricales ni à empêcher l’hégémonie catholique de perdurer jusque 1914. Le raffut médiatique n’a pas dépassé la presse libérale, qui était alors seulement lue par une élite.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, le dossier. Avec :

1830 : les Hollandais nous larguent

Comment ce ne sont pas les Belges qui réclament et obtiennent le divorce, mais les Hollandais. Les Saxe-Cobourg n’ont pas leur place dans cette histoire…

1885 : Léopold II loupe le Congo

Comment une « fuite » malencontreuse ruine le rêve africain du Roi des Belges, épargne à la Belgique un statut de puissance coloniale et les affres de la décolonisation.

1893 : un martyr socialiste évite la discorde communautaire

Comment la mort violente d’un ténor socialiste gantois en pleine grève générale précipite l’avènement du suffrage universel et l’arrivée au pouvoir du Parti ouvrier belge. Les socialistes sont alors en mesure de s’implanter solidement en Flandre et d’instaurer le bilinguisme général qui leur est cher.

1940 – 1945 : Léopold III imite le collabo Pétain

Comment Léopold III, sous la botte allemande, cède à la tentation de fonder un régime de Vichy à la belge. Son pas de deux avec l’occupant allemand, aussi bref que désastreux, le condamne à l’exil définitif à la Libération.

1946 : et la Belgique devient République

Comment à la Libération, une maladroite tentative de Léopold III de reprendre le pouvoir à la hussarde balaie le trône et fait basculer la Belgique dans le cycle vertueux d’un régime présidentiel.

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