Lode Vereeck et Paul De Grauwe © Jonas Lampens

« Un revenu de base pour tous ne coûterait rien à l’État »

Ce n’est pas parce que la Belgique est ravagée par des attentats terroristes que le trou dans le budget se comblera tout seul. Knack a réuni Paul De Grauwe et Lode Vereeck, deux économistes libéraux, pour répondre aux questions qui posent problème au gouvernement. « Il est évident que notre budget ne sera pas en équilibre en 2018. »

Les deux hommes ne sont pas tendres entre eux. De Grauwe, ancien politique Open VLD et professeur à la KuLeuven et la London School of Economics, tente de convaincre Vereeck qu’une politique budgétaire orthodoxe fait du tort à l’économie. Lode Vereeck, sénateur Open VLD et professeur à l’Université d’Hasselt, essaie à son tour de faire comprendre à De Grauwe que les finances publiques belges sont en piètre état.

Ce gouvernement aura-t-il un budget en équilibre en 2018, comme il l’a promis?

Lode Vereeck: (bref silence) Il faudrait que cela reste l’objectif.

Paul De Grauwe: Évidemment que ce gouvernement n’aura pas de budget en équilibre en 2018. Et c’est sa politique qui en est responsable.

Comment?

De Grauwe: Les gouvernements sous-estiment toujours les dépenses et surestiment les revenus. C’est le cas depuis plus de 25 ans, c’est manifestement dans la nature de la politique. À cela s’ajoute que le gouvernement Michel crée ses propres déceptions. Aujourd’hui, on est confronté à une croissance économique faible. La conséquence, c’est que les revenus fiscaux tardent à venir et qu’on n’atteint pas les chiffres budgétaires fixés. Que fait le gouvernement ? Il diminue les dépenses et augmente les impôts. Conséquence : l’économie va de mal en pis et six mois plus tard, les chiffres budgétaires déçoivent encore plus. Par conséquent, on économise encore plus et les impôts augmentent encore. La politique nous pousse dans un cercle vicieux. Et puis on s’étonne que le budget ne soit pas juste. Je ne suis pas vraiment étonné. (petit rire)

Vereeck: Paul accorde trop d’importance au budget, comme si celui-ci était responsable de la croissance économique faible d’aujourd’hui. Notre économie est beaucoup plus déterminée par les développements internationaux sur lesquels nous avons peu de prise.

De Grauwe: Lode, ça m’amuse toujours: quand un parti est au gouvernement, les contretemps sont toujours la conséquence de la conjoncture internationale. Et quand il est dans l’opposition, il dit que ce contretemps est la faute du gouvernement.

Outre un budget en équilibre, le gouvernement Michel avait un deuxième objectif important: un glissement des impôts devait créer plus d’emplois. Le tax shift est-il un succès ?

Vereeck: Le tax shift de 7,4 milliards d’euros, avec notamment la baisse des cotisations patronales de 33 vers 25%, est vraiment historique, et on voit les premiers résultats. On voit qu’il y a plus d’engagements et le nombre de nouveaux emplois dans le secteur privé est en hausse.

De Grauwe: J’ai des doutes. On nous a toujours dit que ce tax shift boosterait notre économie et créerait plus d’emploi, mais je ne vois encore aucun résultat. Comme je l’ai fait remarquer, la croissance de l’économie belge a baissé sous la moyenne européenne.

Vereeck: Voilà qui est vraiment drôle, Paul. S’il y a une notion de base en économie, c’est tout de même « ceteris paribus », « toutes choses étant égales par ailleurs ». Tous les modèles économiques s’accordent tout de même à dire qu’une baisse de charges rapporte plus d’emplois, mais si les circonstances changent, s’il y a des phénomènes dans le monde qui influencent notre économie comme la croissance plus lente en Chine, l’effet du tax shift est peut-être moins important. J’affirme que s’il n’y avait pas eu de tax shift, la conjoncture serait pire.

De Grauwe: Mais ces événements mondiaux influencent toute l’Europe, non? Pourquoi c’est justement la croissance belge qui descend sous la moyenne européenne ?

Vereeck: Patience, Paul, patience. La plupart des mesures du tax shift ne sont en vigueur que depuis le début de cette année. Et les économies n’ont été entamées qu’en 2015. Il est injuste de juger les résultats aujourd’hui.

De Grauwe: Ah, j’entends de nouveau le même disque : les développements négatifs découlent d’évènements internationaux, les positifs sont dus à la politique du gouvernement.

Êtes-vous en faveur de la monnaie-hélicoptère (NDLR: l’idée que la BCE distribue de l’argent directement aux ménages) ?

Vereeck: Je ne suis pas contre. Cette idée me fait penser au revenu de base que je défends. L’Open VLD a d’ailleurs décidé d’étudier ce sujet.

Quels sont les problèmes qu’un revenu de base pourrait résoudre?

Vereeck: Un revenu de base entraînerait une simplification énorme et permettrait de cesser une bonne partie de la politique de l’état. Les petits jobs qui ne sont pas faits aujourd’hui parce que personne ne peut en vivre seraient payants. À présent, les gens perdent parfois de l’argent quand ils laissent tomber leur indemnité pour un vrai travail et cela aussi sera du passé.

De Grauwe: Je trouve aussi que c’est une bonne idée, Lode, mais défends-tu un revenu de base inconditionnel? Les banquiers et les professeurs comme nous percevront-ils le même montant que tous les autres ?

Vereeck: C’est le but, oui.

De Grauwe: Je ne sais pas à quel montant tu penses, mais c’est tout simplement impayable. En Finlande, on discute d’une proposition de 800 euros par mois. Cela signifie que les habitants de plus de 18 ans perçoivent 10 000 euros de l’état par an. Si on appliquait cette mesure en Belgique, elle coûterait 80 milliards d’euros soit 20% du PIB. C’est bizarre que quelqu’un qui souhaite réduire les finances publiques fasse une telle proposition, non ? J’estime qu’on ne peut récupérer que la moitié de ces 80 milliards en économisant sur la sécurité sociale. Et il est certain que les retraités ne seront pas ravis si on remplace leur pension par un revenu de base de 800 euros. Et les personnes en assurance-maladie y perdront également.

Vereeck: J’estime qu’un revenu de base ne coûtera rien à l’état.

De Grauwe: Alors, tes calculs ne sont pas sérieux. Le coût de la sécurité sociale s’élève à environ 80 milliards d’euros. Il faudrait l’abolir pour aboutir au montant correct. Est-ce là votre intention ?

Vereeck: L’état dépense 210 milliards en tout. Si on instaure un revenu de base, il remplacera certains éléments de la sécurité sociale (indemnités, allocations familiales et certaines parties du régime de pensions). Mais il permettrait également de supprimer certaines allocations pour l’enseignement supérieur, l’énergie et la mobilité.

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