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Un point c’est Toots

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

C’est souvent le problème avec les monuments : à force d’avoir toujours été là, inamovibles, incontournables, on ne les voit plus. C’était un peu ça, Toots.

Un morceau de belgitude, à ranger à côté de Brel ou d’Hergé. Une icône. Et donc par définition, d’abord une image. De Toots Thielemans, on retient d’abord la moustache de jazz cat. Indécrochable, comme le sourire qu’elle soulignait. Puis les lunettes aussi, qui finissaient de lui donner cet air badin, comme tout droit sorti d’une case d’un premier Spirou ou d’une représentation de Bossemans & Coppenolle. Le bruxellois ? « Plus personne n’a cet accent-là. » Sauf Toots. Et son harmonica.

Il ponctue forcément le portrait. Un objet minuscule, la plupart du temps caché dans les mains du musicien. A peine un instrument en fait, presque un « jouet », glissaient certains. Le diatonique renvoie aux cow-boys solitaires, aux marins trompant l’ennui dans la tempête. Toots, lui, préférera la version chromatique, qui lui rappelle l’accordéon, son tout premier instrument. De toute façon, « zinneke » né dans les Marolles, le 29 avril 1922, Jean-Baptiste « Toots » Thielemans ne pouvait que choisir un instrument bâtard. Il l’amènera du blues au jazz, sa grande passion, tout en lui faisant souffler des airs de valse-musette. Le grand huit.

L’harmonica le lui rendra bien : Toots Thielemans est l’un des rares musiciens belges à avoir acquis une réputation internationale. Comme l’ont d’ailleurs rappelé les nécrologies parues un peu partout, du Monde au New York Times, le lendemain de son décès le 22 août. Dans un pays qui a mis du temps à célébrer son prodige, l’écho mondial qu’a eu sa disparition a pu continuer de surprendre. C’est que Toots n’a pas fait que croiser les plus grands – de Charlie Parker à Bill Evans, de Billie Holiday à Miles Davis. Il était lui-même une pièce essentielle de l’échiquier jazz.

Car il ne faut pas s’y tromper. Sous ses airs débonnaires de « nonkel Toots », le musicien n’a cessé de choisir l’aventure. Derrière la moustache bien taillée, polie et soignée, pointaient la curiosité, l’audace, voire du courage. Celui, par exemple, de s’amouracher, ado, de la folie bebop, à l’heure où l’Occupant tentait d’étouffer toute musique non-aryenne. Celui aussi d’émigrer plus tard aux Etats-Unis, petit Blanc venu jouer cette même musique « nègre », dans un pays où régnait encore la ségrégation raciale. Que par la suite, Toots ait pu faire des infidélités au jazz, ou lui ai donné des accents sentimentaux parfois fort appuyés, ne doit pas faire oublier l’essentiel : son amour de la musique.

On y repense en retombant sur les images de Toots, sur scène, à Stockholm, en 99. Il s’agit alors de rendre hommage à Stevie Wonder. Aux accords de Bluesette, Toots, rayonnant, ajoute alors ceux de Isn’t She Lovely. Plongé dans son jeu, les yeux clos, il ne voit pas Wonder arriver derrière lui. Surpris, il éclate alors d’un grand rire franc, avant de se lancer avec cet autre génie dans une longue impro commune, en tous points jubilatoire. A ce moment-là, plus rien ne compte. La musique a pris tout le pouvoir. « I love you, Toots », finira Stevie Wonder. Gêné, il répondra d’une dernière phrase d’harmonica. La pudeur des grands.

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