Un plan révolutionnaire pour BHV

Jusqu’à présent, toutes les tentatives entreprises pour démêler l’écheveau de Bruxelles-Hal-Vilvorde se sont soldées par un échec. Comment sortir de ce guêpier ? En exclusivité pour Le Vif/LExpres, Pierre-Yves Monette l’ex-médiateur fédéral, dévoile les grandes lignes d’une solution originale.

Professeur en médiation internationale au Collège d’Europe, à Bruges, ex-médiateur fédéral, mais aussi ancien conseiller de Baudouin et d’Albert II (de 1991 à 1993), Pierre-Yves Monette s’est livré à un exercice de politique-fiction original, en appliquant au cas BHV les techniques de la médiation. « Si on tient compte de ce que l’autre ressent, de son vécu, on peut imaginer des solutions novatrices, qui ne sont pas celles que le camp d’en face revendique, mais qui répondent néanmoins à ses émotions », avance-t-il.

Pierre-Yves Monette a repéré trois émotions décisives en Flandre : la peur face à la francisation croissante de Bruxelles et du Brabant flamand ; la colère vis-à-vis des francophones de la périphérie qui refusent de s’intégrer ; la ranc£ur héritée du passé. Côté francophone, trois émotions prédominent : l’injustice d’être privés de certains droits ; la colère à l’égard d’une Flandre qui impose sa loi ; la peur de ne pouvoir stopper le nationalisme flamand et d’être enclavés en Flandre.

La solution échafaudée tente de répondre à l’ensemble de ces émotions. Elle repose en grande partie sur un redécoupage des limites régionales. Mais, pour désamorcer la charge symbolique de l’opération, elle raisonne par quartiers, et non par communes. Ce plan, ainsi que la méthode qui le sous-tend, Pierre-Yves Monette a bien l’intention de le présenter à Didier Reynders avant la fin de sa mission royale, le 18 février.

1. Un couloir entre Bruxelles et la Wallonie

La Région bruxelloise est entourée de communes flamandes. Mais, à deux endroits, la Wallonie et Bruxelles se touchent presque. A Rhode Saint-Genèse et à Hoeilaart, la distance à vol d’oiseau entre les deux Régions est en effet inférieure à 5 kilomètres. Pierre-Yves Monette propose d’intégrer en Région bruxelloise une partie de ces deux communes, afin de créer un couloir reliant la Wallonie à la capitale. De quoi rassurer les francophones : en cas de scission de la Belgique, Bruxelles ne serait pas enclavée en Flandre. A Hoeilaart comme à Rhode, c’est une voie ferrée qui servirait de nouvelle frontière régionale. La ligne Bruxelles-Charleroi sépare traditionnellement le Rhode des francophones du Rhode des néerlandophones. Toute la partie à l’est du chemin de fer rejoindrait Bruxelles. Par contre, celle qui se situe à l’ouest, c’est-à-dire le c£ur historique de Rhode (où habite Herman Van Rompuy), resterait en Flandre. A Hoeilaart, la limite serait fixée par la ligne Bruxelles-Namur : l’ouest rejoindrait Bruxelles, tandis que l’est resterait en Flandre. Le corridor ainsi créé représenterait, au total, un petit rectangle de 26 km2. « Plus de deux tiers de ce territoire est couvert par la forêt de Soignes, indique Pierre-Yves Monette. Le tiers restant comprend certes d’importants quartiers de Rhode, mais la maison communale et l’église demeurent en Flandre. A Hoeilaart, la totalité du village reste en Flandre : ne vont à Bruxelles que 300 maisons, peuplées à 90 % de francophones. »

2. La Région bruxelloise élargie

Outre Rhode, les cinq autres communes à facilités de la périphérie seront dans une large mesure rattachées à Bruxelles. A Drogenbos, seule restera flamande la partie se trouvant à l’ouest du ring (où se trouve l’entreprise UCB). Même sort pour Linkebeek, où la proportion de francophones frise les 90 % : seules quelques mini-portions de la commune resteront en Flandre. Les trois quarts de Kraainem rejoignent Bruxelles, mais la Flandre garde tout le vieux centre, avec le château Jourdain. Environ la moitié de Wezembeek-Oppem serait également transférée à Bruxelles, tandis que presque tout Wemmel demeurerait en Flandre, à l’exception des rues les plus proches du Heysel.

3. Un troc entre la Flandre et Bruxelles

Le plan de Pierre-Yves Monette prévoit de faire passer en Région bruxelloise la totalité du ring sud, qui traverse actuellement les communes de Waterloo, puis Hoeilaart, Overijse, Auderghem et Tervuren. Deux petits bouts d’ Overijse et de Tervuren seraient donc transférés à la Région bruxelloise. « En échange, les francophones pourraient donner à la Flandre un triangle de forêt situé au sud du ring, à cheval sur Watermael-Boitsfort et Auderghem », suggère Pierre-Yves Monette. La Flandre recevrait en sus une grande partie d’ Anderlecht, située outre-ring. Entre autres : les quartiers de Neerpede et de Vogelenzang, « encore très ruraux et où les Flamands sont parfois beaucoup plus nombreux que les francophones », précise Monette. But de l’opération : montrer qu’il s’agit d’un grand rabattage des cartes, où chacun perd et chacun gagne.

Dans le même registre, le plan envisage de faire passer la totalité du ring nord en Région flamande. Ce qui implique pour Bruxelles de céder à la Flandre quelques portions de territoire situées à Neder-over-Heembeek, et se trouvant outre-ring. Le bois du Laerbeek à Jette et le quartier Veroost à Ganshoren seraient également « rendus » à la Flandre.

4. De la Wallonie vers la Flandre

La Wallonie aussi devrait sacrifier une partie de son espace : certains quartiers de Mouscron et de Comines, deux communes à facilités situées dans l’ouest du Hainaut, rejoindraient la Flandre.

5. De la Wallonie vers Bruxelles

L’ex-médiateur fédéral envisage aussi de rattacher à Bruxelles une partie du Brabant wallon. L’élargissement de Bruxelles ne se fait donc pas seulement au détriment que de la Flandre. « Ce serait une excellente idée d’y intégrer les communes de La Hulpe et de Waterloo, au moins en partie, ainsi que la localité de Genval, voire tout Rixensart », soutient Monette.

6. Scinder BHV

Ce grand redécoupage géographique ne sera acceptable pour les Flamands qu’à une condition : scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, tant électoral que judiciaire. Quel sort réserver alors aux francophones maintenus en dehors de la Région bruxelloise redessinée ? Monette ne tranche pas. Pour lui, c’est une négociation politique qui doit déterminer où on met le curseur. « Soit on considère que les francophones ont assez reçu en obtenant l’élargissement de Bruxelles à la quasi-totalité des communes à facilités, et on abandonne donc les autres. Soit on s’inspire de la solution envisagée lors du pacte d’Egmont : les habitants actuels de Hal-Vilvorde pourront voter pour des listes francophones bruxelloises jusqu’à leur mort, mais pas leurs enfants, ni les nouveaux arrivants. Soit on laisse une période de transition de dix ans, à l’issue de laquelle ceux qui voudront à tout prix se défendre en français ou voter à Bruxelles n’auront plus qu’à déménager. »

7. L’enseignement bruxellois bilingue

Dernier élément du plan : régionaliser l’enseignement primaire à Bruxelles, qui ne serait donc plus cogéré par la Communauté française et la Vlaamse Gemeenschap, comme c’est le cas actuellement. De plus, l’enseignement bruxellois deviendrait bilingue. Tous les enfants recevraient la moitié des cours en néerlandais et l’autre moitié en français. Cette mesure renforcerait Bruxelles en tant que Région à part entière, mais elle sera aussi une reconnaissance du caractère historiquement flamand de la capitale. L’ensemble du deal serait coulé dans une loi spéciale, voté au parlement fédéral. « Ce faisant, insiste Monette, on inscrit que le néerlandais sera à tout jamais présent à Bruxelles, quoi qu’il advienne. »

FRANÇOIS BRABANT

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