"La Grande mosquée de l'Arabie saoudite représente une menace importante, claire et durable pour notre vivre-ensemble." © Denis Closon/isopix

« Un lien évident entre le djihadisme et l’Arabie saoudite »

Rétablissement de l’autorité de l’Etat et dénonciation du rôle de la mosquée du Cinquantenaire, à Bruxelles : les deux leitmotivs du député Georges Dallemagne (CDH), membre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars 2016.

Les auditions du volet  » radicalisme  » de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars ont confirmé le rôle idéologique de l’Arabie saoudite. Une satisfaction pour vous ?

Je me réjouis qu’il y ait enfin un consensus sur le lien entre le djihadisme et la stratégie internationale de l’Arabie saoudite à travers la Ligue islamique mondiale et, chez nous, la Grande mosquée. Ce que je dénonce depuis longtemps a été objectivé par l’Ocam (NDLR : Organe de coordination pour l’analyse de la menace). Pour moi, c’est l’aspect le plus intéressant du volet  » radicalisme « . On sait maintenant que des financements sont partis de la Grande mosquée vers la Syrie et vers des satellites wahhabites. On a identifié aussi le lien entre le wahhabisme et le terrorisme. En 2013, j’avais été sévèrement critiqué par Denis Ducarme, lorsque j’avais fait ce constat que certaines mosquées étaient des menaces pour notre vivre-ensemble.

Que proposez-vous ?

Pour Georges Dallemagne, l'urgence est de diminuer la menace sur notre pays.
Pour Georges Dallemagne, l’urgence est de diminuer la menace sur notre pays.© Virginia Mayo/isopix

De supprimer le financement international des lieux de culte ou, en tout cas, de le soumettre à l’autorisation préalable du ministre de la Justice. J’ai eu confirmation que c’était grâce à mon action parlementaire et à la suite d’une intervention du ministre de la Justice que la Cetif (NDLR : Cellule de traitement des informations financières) s’était enfin intéressée aux comptes de la Grande mosquée. Je demande qu’il y ait systématiquement un réviseur qui certifie les comptes dans les mosquées car certaines remettent parfois des comptes fantaisistes, une page A4 ou des libellés difficiles à décrypter. L’étape suivante, c’est demander aux représentants saoudiens et aux représentants des autres pays musulmans de se retirer de l’asbl qui gère la mosquée du Cinquantenaire. S’ils ne le font pas spontanément, une clause de la convention de 1969 permet d’y mettre fin pour cause d’utilité publique. D’après la jurisprudence, la sécurité publique est évidemment une cause d’utilité publique. On pourrait alors confier ce lieu de culte à l’Exécutif des musulmans de Belgique, qui ne veut pas y mettre les pieds (NDLR : après les attentats du 22 mars, l’imam directeur de la Grande mosquée avait refusé de dire la prière des morts pour les victimes non musulmanes), alors qu’il s’agit de notre seule mosquée-cathédrale. Nous avons reçu l’imam directeur qui jouit d’un statut diplomatique unique en son genre et qui a pu raconter des choses contraires à la vérité. Je demande qu’on mette fin à ce privilège diplomatique. Enfin, il faut saisir l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes car, sur son site Web, la Grande mosquée prône la soumission des femmes. Il est très important d’avoir un langage et une attitude très fermes. La grande mosquée de l’Arabie saoudite représente une menace importante, claire et durable pour notre vivre-ensemble. Sa stratégie consiste à soumettre l’ensemble de la communauté musulmane à un islam moyenâgeux, rétrograde et hostile. Cette manipulation doit cesser pour permettre à un islam différent d’émerger.

On le dit depuis tant d’années… En 1990, et déjà pour les mêmes raisons, l’Etat lui avait retiré son statut d’interlocuteur.

Jan Jambon est pris comme nationaliste flamand dans un contexte idéologique d’affaiblissement de l’Etat fédéral »

C’est décourageant. J’espère qu’il y aura au moins une majorité pour interdire le financement international des lieux de culte sans autorisation préalable du ministre de la Justice. Et j’espère qu’on avancera sur les autres sujets. Si le pouvoir politique emploie un langage clair, il peut y avoir aussi un déclic dans la communauté musulmane. La société sunnite s’adapte en général aux normes qui prévalent dans un pays, elle ne les combat pas. Il y a aussi la dimension internationale de cette question. Un envoyé spécial des Etats-Unis a interrogé tous les pays musulmans pour savoir d’où venaient les difficultés et ils ont pointé le rôle central de l’Arabie saoudite. Ce rapport est resté confidentiel. J’en ai discuté avec la directrice du département politique de l’ambassade des Etats-Unis. Elle m’a dit que l’Arabie saoudite avait changé. Dernièrement, le roi d’Arabie saoudite a fait une tournée avec sept avions et 600 personnes dans les grands pays musulmans d’Asie. Il renforce ses têtes de pont. Loin de se ralentir, les flux financiers vers la Grande mosquée, dans notre pays, ont doublé entre 2012 et 2015, passant de 500 000 euros à 1,2 million d’euros par an.

Le ministre de la Coopération au développement, Alexander De Croo (Open VLD), souhaite l’arrêt des exportations d’armes vers l’Arabie saoudite qui bombarde le Yémen depuis deux ans. Est-ce le début d’une prise de conscience ?

Autant le Parlement a fait un travail, autant la dernière sortie d’Alexander De Croo est très étonnante. Bien sûr, il faut réduire et, si possible, supprimer le commerce d’armes avec l’Arabie saoudite, j’y suis très favorable, mais de l’endroit où il est, comme vice-Premier ministre, l’urgence est surtout de diminuer la menace qui pèse sur notre propre pays. Et là, c’est un silence assourdissant. Avant nos travaux parlementaires, le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA), minimisait l’influence de la Grande mosquée. J’ai une explication : l’Arabie saoudite a mis en place un gigantesque fonds souverain dont on me dit qu’il est doté de 2 000 milliards de dollars. Sa stratégie est d’investir dans des pays dont l’opinion publique pourrait être hostile à ses intérêts. Je serais surpris que l’Arabie saoudite s’intéresse par hasard au port d’Anvers dont Bart De Wever est le bourgmestre. Ma résolution sur le blogueur saoudien emprisonné, Raif Badawi, contenait un paragraphe demandant qu’on revoie nos relations économiques avec l’Arabie saoudite. Elle a été adoptée à une très large majorité par la Chambre, il y a un an. Le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, ne lui a donné aucune suite.

Le volet précédent de la commission portait sur la sécurité. Quelle va être la nouvelle architecture des services de police et de renseignement ?

Il faut toujours rappeler que le budget annuel de la Sûreté de l’Etat est de 50 millions d’euros et de 200 millions d’euros pour le renseignement aux Pays-Bas. La justice, la police et le renseignement n’ont pas retrouvé leur niveau de financement de 2011-2012. Le parquet fédéral ou les services de renseignement auraient-ils dû être plus proactifs ? Faut-il deux services de renseignement dans un pays comme le nôtre ? A ce stade-ci, la question n’est pas tranchée. Au moins, pourrait-on avoir les mêmes bases de données, les mêmes statuts, une bonne répartition du travail, une circulation de l’information la plus fluide possible et, aussi, un service de renseignement extérieur : sur ce point-là, on va avancer. Notre modèle de sécurité est à renforcer, mais il n’y aura pas de grand chambardement. Aujourd’hui, c’est le parquet qui pilote les enquêtes, fait appel à la police et utilise les services de renseignement comme assistant technique. Mais on s’est rendu compte que, dans certains cas, la police ne répondait pas aux demandes du parquet fédéral, qu’il n’y avait pas de lien entre la police fédérale et la police locale, que la police locale n’était pas informée quand un dossier était fédéralisé, même lorsque ce dossier n’était pas traité et, enfin, que les renseignements étaient un peu hors jeu. Mon souhait est de mieux faire coopérer l’ensemble de ces acteurs et de raccrocher le renseignement à l’appareil sécuritaire.

Après les attentats, vous aviez soutenu la policière Nadia qui avait signalé la radicalisation des frères Abdeslam mais n’avait pas été prise au sérieux…

Elle a donné l’alerte, c’est évident. Nous verrons ce que la commission dira dans ses conclusions. Le service concerné, la DR3, a été trop sur la défensive, ce qui a attiré l’attention. Le parquet fédéral a essuyé des critiques et n’a rien dit. Quand on a su que les renseignements avaient peu d’informations sur les auteurs des attentats, ils n’ont pas commencé à faire des rapports dans tous les sens pour se justifier.

Autre dysfonctionnement, celui des frères El Bakraoui passés sous les radars…

Que ce soit dans le volet  » assistance et secours « ,  » architecture de sécurité  » ou  » radicalisme « , je constate à quel point l’affaiblissement de l’Etat central nuit à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. La DJ-SocTerro de la police fédérale reçoit des informations de Turquie et elle n’en fait rien parce que son mandat n’est pas de coordonner ni de soutenir les autres unités : elle est juste un lieu de réflexion stratégique et, éventuellement, de soutien à la formation. Face au terrorisme ou à des crimes graves, un Etat doit garder une capacité centrale, si pas opérationnelle, du moins de répartition des tâches et de soutien spécialisé. Les cinq PJF chargée de la lutte antiterroriste doivent pouvoir mieux harmoniser et coordonner leurs efforts. On a démantelé le service de lutte contre le trafic d’oeuvres d’art dont on sait qu’il participe au financement du terrorisme (lire aussi Le Vif/L’Express du 31 mars). Interpol, l’Unesco, tout le monde a eu beau hurler, la Belgique et Jan Jambon sont restés sourds. On voit bien toute l’ambiguïté du ministre de l’Intérieur qui, en même temps qu’il cherche à jouer son rôle, est pris, comme nationaliste flamand, dans un contexte idéologique d’affaiblissement de l’Etat fédéral. En matière de secours et d’assistance, c’était la même chose. On ne savait pas où devaient aller les blessés, on ne savait pas combien d’ambulances étaient sur le terrain, on ne savait pas si les hôpitaux étaient en surcharge, la cellule de crise fédérale a mis un temps fou pour se réunir et les instructions de fermeture du métro se sont perdues. Dans ces moments critiques où il s’agit de protéger les citoyens, on a besoin de mécanismes solides, d’une ligne de commandement claire, d’un pilotage précis et ferme.

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