Jan Jambon au Cercle de Wallonie. © Belga - ERIC LALMAND

Jan Jambon et le chantage communautaire

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Quand le vice-Premier ministre N-VA Jan Jambon est invité à partager un « regard sur l’actualité » au Cercle de Wallonie, le nationalisme reprend le pas sur le socio-économique. Avec une confidence percutante : « Les transferts Nord-Sud ? Ça nous aide juste pour le marketing.

L’audience est plutôt modeste pour l’événement que constitue la venue d’un vice-Premier ministre à Namur. En ce 29 avril, à 20 heures, seule une petite soixantaine de convives prend part au repas trois services organisé au Cercle de Wallonie dans le cadre d’un « regard sur l’actualité ». Celui de Jan Jambon, ministre de l’Intérieur et ténor N-VA. Le profil de l’orateur n’a visiblement pas suscité un intérêt massif parmi les 1700 membres du prestigieux club d’affaires et d’échanges. Critiqué pour ses ambitions séparatistes et les diverses polémiques qu’il a initiées depuis sa prestation de serment, Jan Jambon y est même devenu la cible d’un boycott diffus. « C’est dommage, soupire André Van Hecke, administrateur délégué du Cercle de Wallonie. Notre volonté est d’offrir une plate-forme de discussion oecuménique, sans barrière politique. Si certaines prises de position sont inacceptables, mieux vaut le dire plutôt que de grommeler dans son coin. »

Dans son préambule de présentation, le libéral Jean-Claude Fontinoy, président du conseil d’administration de la SNCB et de la Société belge d’investissement, insiste sur les 23 années d’expérience de l’invité de la soirée dans le secteur privé. Une connivence salutaire avant le message que s’apprête à délivrer Jan Jambon. Car s’il évoquera la politique de sécurité telle qu’il entend la mener sous ce gouvernement, le prisme communautaire constituera bel et bien le fil rouge de son discours. « Qui aurait cru qu’il ait fallu attendre l’arrivée des nationalistes flamands pour qu’un gouvernement fédéral pose les actes nécessaires pour la relance économique du pays et de ses régions ? » souligne-t-il, attribuant ainsi en grande partie le mérite du changement à son parti.

Au-delà de cette toile de fond qu’il ravivera par petites touches, le ministre N-VA dresse également un bilan vertueux des mesures gouvernementales, en usant de termes calibrés à ce public de patrons d’entreprise plutôt ouverts à l’écoute. « La rage taxatoire est morte avec la naissance de ce gouvernement », assure Jambon, avant d’évoquer le saut d’index, approuvé le 22 avril dernier à la Chambre. La diminution des charges patronales, qui doivent passer de 33 à 25% du salaire brut d’ici à la fin de la législature, constitue logiquement l’autre décision-phare dont Jan Jambon vante les mérites dans son opération de séduction. « Le secteur privé est le moteur de l’économie, affirme cet expert de l’optimalisation des coûts. Le secteur public n’a pas vocation à être créateur d’emplois. Bien au contraire : nous souhaitons que l’appareil d’Etat suive une bonne cure d’amaigrissement. » En l’absence de porte-voix des services publics dans l’assemblée, cette rationalisation ne souffre là encore aucune contestation.

Le nationalisme dormant

Jan Jambon ponctuera son discours par le sous-financement chronique des départements de sécurité du pays, « les parents pauvres des précédents gouvernements ». C’est pourtant lors de la brève séance de questions-réponses qui s’ensuit que surviendra le principal enseignement à tirer, sous l’angle d’un nationalisme dormant dont l’éruption ne pourrait tarder à (re)voir le jour. « On s’est engagé à un standstill communautaire pendant cinq ans, rappelle-t-il en réponse à une question sur les intentions futures de son parti. Mais dès la prochaine campagne électorale, nous reprendrons notre programme, avec la vision qui est la nôtre. » Celle d’un confédéralisme vidant l’Etat de sa substance et dont le véritable dessein s’illustre en pointillé.

Entre les cliquetis de cuillères attaquant la glace fraise-rhubarbe, Jan Jambon s’attaque quant à lui à l’ennemi juré de la N-VA – et par extension de la Flandre dans son discours – qu’est le Parti socialiste pour justifier l’implosion du pays. Avec un chantage communautaire à peine voilé. « Avec ce gouvernement, nous pouvons mettre en oeuvre presque toutes les réformes de notre programme, concède-t-il. Mais qu’a-t-on comme garantie après cette législature ? Si dans le futur, nous sommes obligés de former un gouvernement avec les socialistes, ce n’est pas intéressant pour nous. On doit sécuriser cette politique de centre-droit dans la Belgique si c’est possible, mais dans la Flandre si nécessaire. » D’après Jan Jambon, la menace planant sur l’avenir du pays perdurera donc aussi longtemps qu’il existe un leadership socialiste en Wallonie.

Marketing communautaire

C’est à l’occasion d’une ultime question, axée sur la véritable finalité du confédéralisme que prône la N-VA et ses intentions diffuses actuelles, que Jan Jambon découvre la présence du Vif/L’Express à la conférence. « Ils sont partout », glisse-t-il dans un sourire forcé. Et d’enchaîner : « Notre but n’est pas de changer la Constitution. Le but est d’améliorer le bien-être de nos enfants et petits-enfants. La réforme de l’Etat n’est qu’un moyen pour y parvenir. » Pour sa franchise et son discours qui leur est plutôt favorable, les patrons applaudissent longuement le ministre N-VA au terme de son intervention de 40 minutes. Sans l’avoir réellement mis à mal sur le plan communautaire. « J’essaie de changer cet état d’esprit, commente André Van Hecke. S’il n’a que des béni-oui-oui devant lui, Jan Jambon rentre en Flandre avec le sentiment d’avoir livré un message qui n’est nullement remis en cause. »

Embarrassé par la présence légitime d’un média à qui la N-VA et ses ministres n’accordaient plus aucune interview depuis des mois, le cabinet de Jan Jambon tentera dès le lendemain de connaître la teneur de l’article réservé à l’événement. Et d’évacuer un aveu gênant pour le parti. Interrogé sur le maintien futur du programme communautaire de la N-VA si les transferts financiers Nord-Sud venaient à cesser d’ici quelques années, le nationaliste flamand a laissé échapper une remarque lourde de sens au Cercle de Wallonie : « Les transferts Nord-Sud, ça nous aide juste pour le marketing, Mais en fait, ça ne nous intéresse pas. » Il est des confidences-éclair qu’il vaut mieux taire dans la propagande de la N-VA.

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